Dans son discret camp de base bourbonnais de La Celle, aux confins du Puy de dôme, où nous l’avions déjà rencontré quatre ans plus tôt, le natif du Lot-et-Garonne naturalisé savoyard puis finalement auvergnat, se révélait toujours aussi insatiable à quelques jours du départ d’une énième aventure. Il faut dire que l’annulation de son projet de l’année 2022 consistant à fêter ses 70 ans au sommet de l’Everest, l’avait laissé d’humeur un brin chafouine.

La résilience du rebelle
Entre une rupture d’anévrisme à l’été 2020, le brouillard du covid et quelques soucis d’organisation, le renoncement s’était imposé à celui pour qui les Drus, les Grandes Jorasses ou les sommets himalayens s’étaient révélés les sublimes décors de ses exploits (1).
Foin du 70ème anniversaire au sommet, l’Everest restait quand-même inscrit au programme de cet éternel rebelle. Balayant donc l’image de ces ‘’Conquérants de l’inutile’’, ouvrage emblématique dans lequel Lionel Terray, alpiniste star du milieu du XXème siècle, avait sublimé la passion montagnarde, Marc Batard relançait un projet qui avait muri au fil des dernières années.
« J’ai vu trop de victimes dans ‘’l’Ice Fall’’, la cascade du glacier du Khumbu, comme en 2014 où 16 sherpas y ont perdu la vie ». Après plusieurs repérages et en partageant l’expérience d’autres alpinistes, Marc Batard s’est fixé le challenge de sécuriser une nouvelle voie d’accès au toit du monde. Initiative saluée notamment par le célébrissime himalayiste italien Reinhold Messner et le traileur-skieur-alpiniste espagnol Kilian Jornet.

Le défi de la sagesse
A l’automne 2021 une équipe de dix personnes emmenée par l’infatigable septuagénaire profitait de conditions météo très favorables pour entamer le travail de sécurisation de la variante népalaise à l’ascension de l’Everest.
Depuis l’altitude 5100 du camp de base de Gorak Shep, l’équipe Batard parvenait en dix jours à poser 1000 mètres de cordes fixes jalonnant un itinéraire rocheux qui précède une arête de neige. « Cette variante doit surtout permettre aux porteurs de contourner la cascade de glace meurtrière du Khumbu. Un passage surfréquenté, avec ses crevasses et amas de séracs en perpétuel mouvement qui a déjà fait 43 morts». (2)
L’expédition de ce printemps 2023 a donc pour objectif de finaliser le projet en sécurisant les 600 derniers mètres de l’approche du camp 1 situé au-dessus de la cascade et en direction du camp 2, altitude 6500. L’équipement de la voie devrait être achevé dans les premiers jours de mai.
Aux côtés de Marc Batard, son ami Gérard Menard, Vincent Gouyet et Jean-Marc Demoz, sont accompagnés d’une petite nouvelle, la népalaise Dabuti Sherpa. A 27 ans elle n’est pas vraiment une débutante, l’Annapurna puis l’Everest en 2019 comptant déjà à son palmarès.

La transmission à Dabuti
Ces sommets légendaires, Dabuti les avait atteints, comme la plupart des conquérants, avec l’apport d’oxygène. L’exploit réalisé par Marc Batard le 26 septembre 1988, ralliant le dernier camp au sommet de l’Everest en solitaire et sans oxygène artificiel en moins de 24 heures (le record tient toujours), suscitait chez elle un grand respect en même temps que l’envie de devenir la première népalaise à toucher, sans bouteilles d’O2, le sommet du Sagarmatha, vrai nom local de l’Everest.
L’occasion était belle de profiter de l’expérience et des conseils du vieux briscard au fil du balisage de la nouvelle voie avec l’idée, peut -être, de poursuivre par une tentative sans assistance respiratoire jusqu’aux fameux 8849 mètres.
Avant d’intégrer la cordée du team Batard, Dabuti Sherpa a passé quelques semaines sur les terres bourbonnaises de son mentor et parcouru pas mal de kilomètres dans l’hexagone afin de promouvoir cette expédition qui, hasard des dates, coïncide avec le 80e anniversaire de la première ascension de l’Everest par Sir Edmund Hillary et Thensing Sherpa le 29 mai 1953.

La voie « Teamwork-Marc Batard »
Teamwork, dont le nom sera associé à celui de Marc Batard pour désigner la nouvelle voie, c’est la société qui soutient financièrement et humainement le projet porté par le ‘’sprinter de l’Everest’’. Car gravir l’Everest coûte cher, très cher. Pour une personne, le package de base tout compris départ (et retour) de France tourne autour de 40 à 50 000€, et cela peut être le double dans des conditions de confort maximum. Le jour de son départ pour Katmandou, étape obligée, Marc m’a passé un message significatif : « Nous sommes très juste financièrement mais nous devrions parvenir à terminer la nouvelle voie ». L’aventure, c’est l’aventure.
Si Teamwork et le cordier isérois Béal sont ses deux principaux partenaires, il est en quête permanente de soutiens financiers, aussi modestes soient-ils comme les 1500€ du conseil départemental de l’Allier ou les 200€ de sa commune de La Celle (415 habitants) alloués à cette expédition du printemps 2023.
La société Carbone Zéro spécialisée dans la production audiovisuelle d’œuvres à haute valeur écologique et sociale vient de lancer une opération de crowdfunding afin de financer la postproduction et la diffusion du film documentaire ‘’L’Everest en partage’’ qui retracera les cinq années de préparation de Marc Batard dans sa reconquête du sommet. Par ailleurs, France Télévisions, intéressée par la synergie Dabuti-Batard, accompagne la cordée sur la voie sécurisée de l’Everest pour un ‘’Faut pas rêver’’ qui sera diffusé sur France3. A suivre.

(1) Voir la chronique ‘’L’homme qui ne manque pas d’air’’ (15/03 2019)
(2) En 2022, 700 alpinistes, dont un tiers de clients et deux-tiers de sherpas, sont
parvenus au sommet de l’Everest, la plupart versant népalais.

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