Trétaux dans le Massif est un vaste projet initié par le Wakan Théâtre, qui retrace l’histoire du théâtre dans le Massif central entre 1759 et 1911. Basé sur une étude menée par trois historiens-chercheurs de l’Université Clermont Auvergne, il a donné lieu à la création d’un site web, d’une création théâtrale, d’une conférence musicalisée, de deux films documentaires et d’un objet artistique hors du commun appelé sculpture vidéo monumentale.
Cette œuvre, signée Anne-Sophie Emard et Pierre Levchin du Collectif Dersu & Uzala, est composée d’un socle en bois reprenant les contours du massif sur lequel reposent, tels des blocs de roche noire volcanique, 12 écrans vidéo, qui ramènent à la vie les théâtres et les compagnies des XVIIIe et XIXe siècles lorsqu’ils étaient en activité sur le territoire. Pour mieux appréhender cet « objet » rien de mieux que de rencontrer le duo qui l’a imaginé et réalisé.
« C’est plutôt un dispositif, une installation »
7 Jours à Clermont : Est-ce que cette sculpture est vraiment une sculpture ?
-Anne-Sophie Emard : La Sculpture c’est le titre. Effectivement c’est plutôt un dispositif, une installation puisqu’il a du son, de l’image, du volume. Lorsqu’il y a plusieurs matériaux et que c’est immersif c’est une installation. Sculpture est le nom donné pour cette partie du projet Tréteaux dans le Massif.
7JàC : Comment avez-vous été amenés à collaborer avec Le Wakan et Dominique Touzé ?
-Pierre Levchin : Dominique cherchait des plasticiens pour mettre en forme des images du théâtre de l’époque, sous forme d’un mixe d’images filmés et d’archives.
-Anne-Sophie Emard : Il nous avait dit qu’il fallait que ce soit comme une sorte de musée itinérant pour accompagner la pièce et les conférences. Il tenait à ce qu’il y ait de la vidéo et nous sommes rendu compte très vite que la contrainte viendrait de la projection qui impose d’avoir tout le temps des espaces sombres. Alors pour faciliter l’installation du dispositif dans des lieux qui ne sont pas forcement des lieux dédiés à l’art, on a imaginé un dispositif qui peut s’apparenter à de l’art contemporain en fait. La sculpture peut être présentée dans un gymnase si on veut.
7JàC : A-t-il été sensible au fait qu’avec des plasticiens la vision serait plus artistique que technique ?
-Pierre Levchin : oui mais je pense qu’il ne l’avait pas imaginée si importante. Quand on lui a proposé ce projet, il y avait une contrainte financière importante mais en même temps il s’est dit que si cela pouvait marcher cela serait génial. En fait il a été séduit pas cette forme qu’on lui proposait et qui rentrait dans le cahier des charges de l’itinérance. Cette itinérance était d’ailleurs la problématique du théâtre à cette époque. Le problème dans le Massif était bien de savoir par où devaient passer les compagnies pour se diffuser au maximum sur un territoire souvent « répulsif ». Cet aspect nous a beaucoup surpris quand on a précédé au tournage.
La Sculpture a demandé plusieurs années de travail
7JàC : Vous avez du vous-même réfléchir comme les compagnies ?
-Anne-Sophie Emard : Oui. Le travail a duré plusieurs années. Il a fallu imaginer comment l’idée artistique pouvait prendre une forme et être la plus autonome possible. Il fallait pouvoir la transporter un peu partout et qu’elle ne nécessite pas d’avoir un technicien en permanence. Ensuite, il fallait trouver des personnes capables de mettre en forme certains éléments de notre projet, notamment la base de la sculpture. C’est le décorateur de cinéma et de théâtre Alain Picheret qui s’en chargé, c’était son dernier travail, après il a pris sa retraite. Il a fallu aussi trouver comment faire fonctionner 12 écrans qui n’en forment qu’un seul.
7JàC : Comment s’est déroulée la mise en œuvre ?
-Anne-Sophie Emard : la partie la plus longue a été de collecter les données des trois chercheurs. On a lu les données alors que ce n’était pas notre domaine, pour les interpréter. Nous avons listé tous les lieux pour les tournages avant de se déplacer dans l’ensemble du Massif central.
-Pierre Levchin : Cela nous a pris à peu près trois ans. On partait 5 jours, 10 jours ça et là, en fonction du montage et de la production. Durant les tournages nous nous sommes trouvés face à la question de la localisation des théâtres. Certains avaient existé mais comment retrouver leurs traces ? Donc on finissait souvent dans les archives municipales. Les chercheurs avaient collecté des écrits prouvant l’existence de théâtre, dans une église par exemple ou dans des bâtiments détruits. Avec cela nous devions nous « démerder »… et mettre en image des choses qui parfois n’avaient plus aucun support visible. Comme nous n’avions pas de mission réellement documentaire on a parfois pris la décision d’interpoler.
7JàC : Comment avez-vous corrélé les époques ?
-Anne-Sophie Emard : On a décidé de beaucoup documenter tous les déplacements en se demandant ce qui reste aujourd’hui du XVIIIe siècle et ce qui témoigne du regard que portait, un directeur de troupe, des comédiens à travers ces espaces là. Finalement ce qui n’a pas trop changé ce sont les paysages. Il y a des choses préservées que l’on a pu mettre en image et que l’on a entremêlé avec des éléments qui pouvaient rappeler cette l’époque. Certaines fois nous nous sommes retrouvés face à des théâtres qui ont tellement été transformés que l’on ne pouvait plus répondre à la commande de Dominique Touzé. Donc parfois, on a du inventer des choses, pour remplacer ce qui n’existe plus.
7JàC : Sans entrer dans les détails, la Sculpture est un peu complexe techniquement…
-Pierre Levchin : Est-ce utile d’en parler ? le plus important c’est le résultat…non ? bon : 16 000 par 2 000 pixels par écran.
-Anne-Sophie Emard : Mais si… il faut en parler. Il y avait un enjeu important et de toute façon qui dit sculpture dit technique. La sculpture relève toujours d’une forme de technique. Cela requiert un certain savoir-faire. Ici le plus intéressant est le travail de mémoire sur un support numérique, une mémoire qu’il faut entretenir et transmettre. Grâce à la technique mise en œuvre on rend la chose accessible au plus grand nombre.
La Sculpture Tréteaux dans le Massif est présentée jusqu’au 20 avril à la Chapelle des Cordeliers à Clermont.
Musique : Pierre Levchin / Voix : Dorian Sauvage / Construction : Atelier Artifice / Extension construction : Fabrice Coudert & Vincent Adamczak / Recherches historiques et ethnographiques : Cyril Triolaire, Philippe Bourdin & Romuald Féret
Tout savoir sur le projet Tréteaux dans le Massif : cliquer ICI
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