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Léon Melchissédec - Coll. A.-S. Simonet
© Alfred Gendraud - Signature de Léon Melchissédec. CP, 1913 Coll. A.-S. Simonet
Chroniques Culture Histoire

Il était une voix, Léon Melchissédec

Si un melchisédech n’est pas une bouteille de trente litres de champagne c’est qu’il s’agit de Pierre-Léon Melchissédec, gloire clermontoise du chant qui a fait vibrer l’opéra de Paris... Et quitté la nomenclature des rues de sa ville natale !

Fils d’André (commis de bureau) et de son épouse (née Légère Nivat), né le 7 mai 1843, 65 rue Fontgiève, il s’est un temps plu à écrire son patronyme Melchissédech en référence au prénom du scientifique bourlingueur ami de Blaise Pascal, Melchissédech Thévenot, qu’il pensait, à tort, appartenir à sa famille. Par ailleurs, c’est avec humour qu’il réagit au best-seller La France juive, du journaliste Édouard Drumont qui l’y dénonçait comme juif : « Je suis catholique, mais Auvergnat. » Chez les Melchissédec, les repas de famille sont copieusement chantés puisque deux de ses oncles sont barytons, Léon à Lyon et Guillaume à Nancy ! Quant à leur neveu Léon, lui-aussi baryton de prédilection (Les Dragons de Villars, d’A. Maillart ; Mireille et Roméo et Juliette, de Ch. Gounod…), son exceptionnelle tessiture vocale lui permet d’aborder également les répertoires de basse chantante (Mignon, d’A. Thomas ; Le Chalet, d’A. Adam ; La Fille du régiment, de G. Donizetti…) et même de ténor, dans Zampa, de F. Hérold, et Richard Cœur de Lion, d’A. Grétry.

Pierre Léon sur le registre des naissances clermontois. © A.D. du Puy-de-Dôme
Pierre Léon sur le registre des naissances clermontois. © A.D. du Puy-de-Dôme

De l’Opéra-Comique à l’Opéra de Paris

En attendant, après des études au lycée de Nîmes et des débuts sur scène comme second violon au théâtre de Saint-Étienne, en 1862 il chante pour la première fois en public devant les mineurs de Rive-de-Gier. Il a 19 ans. À 77 ans, pour sa dernière apparition, il participe à la fête annuelle 1919 des médaillés militaires, au Trocadéro. Ces cinquante-huit ans de surmenage vocal n’ont nullement altéré la voix de cet
hyperactif passionné et allergique à un concept d’actualité, la retraite !
À sa sortie du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, avec en poche un deuxième prix d’opéra et d’opéra-comique, il est engagé à l’Opéra-Comique où il débute le 12 août 1865 avant de briller, à partir du 16 juillet 1866, dans José-Maria, une création du compositeur et organiste Jules Cohen, maître de chapelle de Napoléon III. Salle Favart, il se fait également remarquer dans les bras de sa future épouse, Mademoiselle Michaelis, fille de l’agent chargé d’acheter les pièces et de les revendre en Amérique.
Sergent-fourreur lors des six mois du siège de Paris (1870-1871), Melchissédec retrouve, après la guerre, l’Opéra-Comique. Engagé, en 1876, au Théâtre-Lyrique-National 1 , il y crée Paul et Virginie, de V. Massé, en compagnie du ténor Victor Capoul, et Le Timbre d’argent, de C. Saint-Saëns. Le temps de la consécration est venu ; le 7 novembre 1879, le chanteur entre à l’Opéra de Paris et connaît un triomphe immédiat dans le rôle de Nevers des Huguenots, de G. Meyerbeer, puis s’attèle à tout le répertoire : Guillaume Tell de Rossini, Aïda et Rigoletto de Verdi, Faust de Gounod 2 , etc.

Roméo et Juliette, décor d’Eugène Carpezat © BnF
Roméo et Juliette, décor d’Eugène Carpezat © BnF

Professeur, conférencier et écrivain

Avec le succès, l’artiste voit plus loin que le palais Garnier. Ses tournées le mènent jusqu’à Monte-Carlo où il créé le rôle de Méphisto dans La Damnation de Faust (1883), de Berlioz, avant de retrouver, en 1894, le Conservatoire de Paris. En tant que professeur de déclamation lyrique, il y forme pendant près de trente ans d’innombrables élèves parmi lesquels la basse chantante, également peintre, Louis Azéma (1876-1963) et l’une des plus grandes cantatrices de son temps, Marthe Chenal (1881-1947), qui triompha à New York. C’est elle qui, le 11 novembre 1918, drapée d’un drapeau tricolore, entonna La Marseillaise sur le péristyle de l’Opéra, devant une immense foule.
Insatiable, Melchissédec se révèle un conférencier dynamique et un auteur soucieux de consigner dans ses ouvrages, qui font l’objet de communications à l’Académie des sciences, sa manière d’appréhender l’art du chant : Pour chanter, ce qu’il faut savoir ; Le mécanisme et l’émission de la voix… À sa mort, le 23 mars 1925 à Neuilly-sur-Seine, le « prêtre du bel canto » 3 écrivait Le Bréviaire du chanteur.

Un élève à La Roche-Blanche

Le baryton Ernest Lazzare est depuis quelques années un paisible retraité à La Roche-Blanche quand le quotidien La Liberté lui consacre un reportage, le 26 mai 1962 4 . Natif de Tunis en 1891, Ernest fait des études d’architecte avant de se consacrer à son amour du chant et de rencontrer, au lendemain de la Grande Guerre, le professeur Melchissédec sur lequel il ne tarit pas d’éloges… « Avec [lui] c’est tout le corps qui entre en jeu dans le chant : la respiration, les muscles, le larynx, la bouche. [Son] secret [réside dans] la technique de l’ouverture buccale, de l’accommodation vocale qui ne s’obtient qu’après un long entraînement et un contrôle sévère [en] permet[tant] d’obtenir des voyelles pures sur toute l’étendue de l’échelle vocale. » Suivant les traces et méthodes de son maître, en 1924, Lazzare rejoint Tunis où il fonde une première école de chant, prélude à cinq autres, tant en Tunisie qu’en Égypte et à Paris.

Ernest Lazzare feuillette ses souvenirs... © La Liberté / Coll. A.-S. Simonet
Ernest Lazzare feuillette ses souvenirs… © La Liberté / Coll. A.-S. Simonet

In memoriam ou non…

Au Mont-Dore, depuis 1892, curistes, touristes et autochtones peuvent, au départ du centre-ville, flâner en admirant les paysages qu’offre le chemin de Melchi-Rose, ainsi baptisé en hommage aux quatre concerts gratuits donnés pour sa réalisation par Léon Melchissédec et la cantatrice Marie Roze.
Par contre, la rue clermontoise Melchissédec – qui reliait depuis 1933 l’avenue de Beaumont (de la Libération) au boulevard Gergovia (François-Mitterrand) et abrita la scierie de Gustave Morand-Cohade puis, lors de la Seconde Guerre mondiale, les baraquements des Chantiers de Jeunesse – s’est peu à peu effacée des plans de la ville à partir de 1970, engloutie dans les travaux de la gare routière et de la Chambre d’Agriculture. À Clermont où, en mai 1866, il avait offert une triomphale interprétation de Guillaume Tell lors d’une fête de bienfaisance, quand la prestigieuse carrière de Léon Melchisédec retrouvera-t-elle la voie de sa voix ?

1 – Le théâtre de La Gaîté.
2 – Le 2 avril 1884, sous sa baguette, il chante une reprise de Sapho.
3 – Le Figaro, 25 mars 1925.
4 – Coll. A.-S. Simonet.

Feue la rue clermontoise Melchissédec... © Le Moniteur, 1933
Feue la rue clermontoise Melchissédec… © Le Moniteur, 1933
Au Mont-Dore, le chemin de Melchi-Rose © Gite la Villa des Dahlias
Au Mont-Dore, le chemin de Melchi-Rose © Gite la Villa des Dahlias
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À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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