Jean-Michel Frixon entre chez Michelin à 17 ans en tant que coursier. Ce premier emploi au milieu des murs sombres de la manufacture clermontoise ouvre, pour lui, la longue séquence de sa une vie professionnelle. En 1993, après 17 ans de service, il se retrouve, comme 184 collègues, rayé de la liste du personnel. Michelin est en pleine période de restructuration et enchaîne ce que l’on nommait à l’époque des plans sociaux, des plans de sauvegardes de l’emploi dit-on aujourd’hui, comme pour faire oublier les effets dévastateurs des licenciements. Le matricule F276710 est traité de parasite et d’inutile par un chefaillon, qui met en avant son manque de diplôme. Alors que se jouent des drames personnels, son dossier tombe entre les mains d’un cadre qui ne comprend pas que l’on puisse licencier sèchement quelqu’un dont les états de services sont bons. Avec bienveillance, il le sauve du naufrage en lui trouvant un nouveau poste au service logistique. Jean-Michel Frixon est affecté au déchargement des camions, un service où l’on travaille au rythme des 3/8.
Marche ou crève
Sortie de l’ornière, Jean-Michel Frixon, travaille dur mais trouve son épanouissement dans le sport qui le protège de l’alcoolisme fréquent dans les ateliers. Il pratique la marche athlétique de vitesse, une discipline d’endurance, qui malmène les articulations et fatigue les corps… il en a l’habitude. L’idée lui prend de participer au championnat du Monde à Porto Rico. Comme le voyage coûte cher, il écrit une missive à Edouard Michelin. Exceptionnellement, le grand patron le reçoit, l’écoute et finance le voyage. À son retour, auréolé d’un titre de champion du Monde vétéran, il lui offre son maillot en remerciement de son coup de main et de son écoute. Le matricule F276710 sera le seul Bib invité aux obsèques du dernier de la dynastie Michelin à avoir dirigé l’entreprise.
Le témoignage de Jean-Michel Frixon
Finalement Jean-Michel Frixon atteint l’âge de la retraite sans changer d’entreprise. 43 ans au service de Michelin cela marque un homme. Mais il se rend compte que durant toutes ses années où il fut un ouvrier invisible et docile, cible idéale pour managers intermédiaires prêts à tout pour exercer leur maigre pouvoir, il est resté finalement très discret sur sa condition et sur ce qu’il a du subir. Alors, il se met à son ordinateur pour coucher ses mémoires. Son objectif n’a rien à voir avec de la vengeance. Il souhaite juste laisser une trace de ce qu’il a vécu ne serait-ce que pour sa descendance, pour qu’elle prenne conscience de ce que fut sa carrière et de ce qu’il n’a pas partagé dans le cercle familial. Le témoignage est fort, son entourage le pousse à le publier. Ainsi naît son premier livre Michelin, matricule F276710. Persuadé que la multinationale va l’attaquer en justice Jean-Michel Frixon s’attend à un retour de manivelle. Il a bien lieu mais pas sous la forme redoutée. La direction de l’entreprise accueille l’ouvrage avec intérêt mais aussi avec stupéfaction. Les « haut gradés » déclarent qu’ils ne savaient pas que cela se passait comme cela dans les ateliers. Ils l’invitent à venir témoigner auprès des cadres. L’ancien ouvrier craint la récupération, mais la direction souhaite juste mettre à profit son expérience pour améliorer ses méthodes managériales.
Le tour de France des usines
Jean-Christophe Guérin alors patron du manufacturing Monde de Michelin, comprend la valeur du témoignage de l’ancien ouvrier. Il saisit l’opportunité de la sortie du livre pour lancer une réflexion sur les méthodes managériales du groupe. Il propose un tour de France des usines à la rencontre des dirigeants. La direction assume les dérapages de son management, Jean-Michel Frixon accepte le défi. Il visite 15 unités, rencontre les cadres, leur explique ce qu’il a vécu, ce qu’il a subit, avec ses propres mots et sans langue de bois. L’homme de l’ombre arrivé 43 ans plus tôt comme simple coursier se transforme en consultant au moment même où le monde salarié s’interroge sur le sens du travail. Le matricule F276710 sort enfin de l’ombre, il est l’invité des médias locaux puis des nationaux. Son expérience passionne les rédactions qui l’invitent à témoigner : La Parisien, Radio France, BFM, ARTE lui donnent l’occasion de faire passer un message fort : «Il faut revenir à l’humain et respecter les gens».
De toutes cette expérience le clermontois fidèle à Bib, tirera un second livre L’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres.
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