1898 – L’année de naissance de Léonie Bathiat (Arletty) et Enzo Ferrari est aussi celle de la piteuse reculade de Fachoda et des élections législatives des 8 et 22 mai, au scrutin uninominal à deux tours par arrondissements… Et ça chauffe, tant à Paris que dans les sept circonscriptions du Puy-de-Dôme ! La presse s’en pourlèche les commentaires. Heureux Auvergnats qui peuvent alors lire La Croix d’Auvergne, hebdomadaire nationaliste et clérical dans lequel Monseigneur Gabriel Piguet se fera remarquer pendant la Seconde Guerre mondiale, bien avant de se retrouver Juste parmi les nations.
Également à leur disposition, L’Avenir du Plateau central (proche de La Croix) ou Le Républicain du Puy-de-Dôme, soutien du président du Conseil, le modéré Jules Méline. Le Moniteur, lui, plus franchement républicain, sera, en 1927, racheté par Pierre Laval qui débuta sa carrière politique à la S.F.I.O. (Section Française de l’Internationale Ouvrière) où il rencontra, en « camarade », son confrère journaliste et avocat clermontois Alexandre Varenne (1) … Enfin, Le Tocsin populaire est communiste avant l’heure (2) .
« [Mettre] les juifs et les traîtres à leur place »
Travaux pratiques dans la circonscription de Clermont I qui regroupe les quatre cantons clermontois, Pont-du-Château et Vertaizon. Le sortant – et futur vainqueur, dès le premier tour – est le médecin de la gauche radicale-socialiste Léon Chambige, qualifié de « franc-maçon » par La Croix, de « radical » par L’Avenir et de « républicain » par Le Moniteur. Contre lui, son adversaire malheureux de 1893, le candidat du parti bonapartiste Jean-Ferdinand, dit Fernand Mège, également franc-maçon. Cet avocat, fils du maire de Clermont Jacques Mège, fut déjà député, de 1889 à 1893. Si L’Avenir le traite de « républicain libéral », Le Moniteur voit en lui un « réactionnaire clérical ». De façon générale, la droite fustige les francs-maçons, les juifs – donc les Dreyfusards – et affiche un nationalisme intransigeant. Pour preuve cet éditorial musclé de La Croix du 8 mai 1898 : « Pour que le travail et le commerce soient prospères, il faut […] à la tête du gouvernement des hommes qui fassent respecter la justice, l’armée, l’ordre, qui mettent les juifs et les traîtres à leur
place au lieu de fricoter avec eux, comme l’ont fait des Dreyfusards que nous
connaissons. »
De Bardoux à Ferry…
Fait très révélateur de l’état d’esprit de l’opinion, une majorité des candidats promet une application « modérée » des fameuses lois scolaires de 1881, 1882 et 1889, bien loin de faire l’unanimité, même dans les milieux républicains. D’ailleurs, n’est-ce pas Agénor Bardoux (3) qui fut, en tant que ministre de
l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts (de décembre 1877 à janvier 1879), l’initiateur des lois Jules Ferry ? Lui, l’avocat chrétien d’éducation maternelle orléaniste, le centriste de gauche qui détestait « la bouillie des révolutions » et un proche d’Adolphe Thiers ! Diable ! Les oukases de notre « pensée unique » manquerait-ils du sens de la nuance ? Non, ce serait presque une excuse…
Bonus : Dreyfus or not Dreyfus…
Capitaine artilleur polytechnicien, Alfred Dreyfus est juif, alsacien et soupçonné d’espionnage au profit de l’ennemi prussien. Condamné, en 1894, à la déportation perpétuelle sur l’île du Diable, son cas déchaîne les passions. À de nombreuses et sanglantes émeutes antisémites, qui gagnent même l’Algérie, répond la détermination de sa famille soutenue par Clemenceau (alors simple journaliste) et bientôt Émile Zola. Au mois de janvier de cette année 1898, après l’acquittement du commandant Esterhazy (le vrai traître ?), Zola publie dans L’Aurore à l’intention du président de la République Félix Faure son fameux J’accuse. Ce pamphlet lui vaudra 3 000 francs d’amende et un an de prison pour diffamation envers une autorité publique, en même temps qu’une belle gloire posthume.
L’affaire Dreyfus gagne Clermont par le tram. Le Moniteur du 5 septembre 1899 évoque la violente dispute qui vient d’opposer, au départ de Jaude, deux messieurs distingués, l’un arborant la Légion d’honneur, l’autre une « rosette aussi multicolore qu’exotique » ; il s’agit de l’historiographe Ambroise Tardieu qui reçoit une « gifle magistrale » et se fait traiter de rastaquouère (4) !
(1) Socialiste franc-maçon (1870-1947), fondateur du journal La Montagne (1919), ainsi appelé en référence aux « Montagnards », les députés les plus radicaux de l’assemblée législative de 1791.
(2) Du congrès de Tours de la S.F.I.O. (décembre 1920), est né le P.C.F.
(3) Le grand-père maternel de Valéry Giscard d’Estaing.
(4) Ce terme, qui désigne communément un étranger enrichi de façon louche et ostentatoire, se confond volontiers
avec le juif.
Commenter