Avant de parler de Matignon, il convient d’évoquer d’Eddy Merckx. En 1969, la domination de «L’Ogre de Tervueren » (l’autre surnom du Cannibale) est sans limite et sans partage. Il plane sur le Tour de France, vole de succès en triomphes. Dans les Pyrénées, il a assommé ses adversaires, les reléguant à plus de 8 minutes lors d’une chevauchée fantastique du côté du Tourmalet et de Mourenx… Il les a éparpillés, pulvérisés, mis K.O. Cette année-là, Roger Pingeon, Raymond Poulidor et Felice Gimondi ne boxent pas dans la même catégorie que le champion belge. Sur la ligne d’arrivée au Parc des Princes, près de 18 minutes sépareront le vainqueur de son dauphin. Un gouffre…
Barry Hoban : bis repetita
Le Tour est joué et le peloton, éreinté, n’a plus qu’à expédier les affaires courantes lorsqu’il remonte vers l’Auvergne en direction de Paris. Barry Hoban a pleinement profité de la situation, s’imposant coup sur coup à Bordeaux (là où il avait échoué d’un souffle en 64 face à Darrigade) puis à Brive, à chaque fois en réglant un groupe de cinq coureurs. Difficile pour le talentueux coureur anglais d’envisager un triplé car le puy de Dôme n’est pas vraiment sa « cup of tea ».
Le puy de Dôme est donc l’ultime excroissance s’offrant aux roues des coureurs, à l’issue de la 20e étape Brive- Clermont. Une occasion pour les grimpeurs de s’offrir un bouquet, à 48 heures de Paris pour peu qu’Eddy Merckx, le cannibale, soit suffisamment rassasié. On va à un train de sénateur, ce vendredi 18 juillet, par une belle chaleur, sur les 130 premiers kilomètres de la course lorsque se dresse la Côte de Chavanon qui n’a rien d’un épouvantail. L’endroit choisi par un coureur de l’équipe Frimatic Viva de Gribaldy pour prendre la poudre d’escampette.
L’escapade de Matignon
Le fuyard en question n’a pas de quoi inquiéter le peloton. Son palmarès est insignifiant et, pourtant, ça n’est pas tout à fait n’importe qui. Pierre Matignon, un Angevin de 26 ans, présente en effet la particularité d’être la lanterne rouge de la course, c’est-à-dire le dernier du classement. Chaque col l’a vu en difficulté et son retard prend des allures astronomiques… Son ambition semble d’ailleurs se limiter à ramener cette lanterne à Paris, synonyme d’un peu de célébrité et de quelques engagements lors de la lucrative tournée des critériums.
Pourtant Matignon caracole en tête, tandis que la silhouette ronde du puy de Dôme grandit à l’horizon. Et l’écart sur un peloton paresseux s’accroît à chaque coup de pédale : trois minutes, rapidement, puis cinq à trente kilomètres de l’arrivée. Il lui en faudrait davantage pour posséder une chance de rallier le sommet en vainqueur. Et il obtient ce gain supplémentaire : tandis qu’il franchit la banderole des vingt kilomètres, le voilà pourvu d’un avantage de 7’40…
Merckx…second
Derrière, les Peugeot de Roger Pingeon ont enfin secoué le peloton, la bagarre est lancée sur les premières rampes qui mènent au pied de la montagne. Et l’effet est immédiat : le joli matelas accumulé par le fuyard fond déjà comme neige au soleil. Arc-bouté sur son vélo, souvent en danseuse, la lanterne rouge, transcendée, livre le combat de sa vie. Les quatre kilomètres qui mènent au sommet ressemblent à un calvaire. Mais la gloire, même éphémère, est au rendez-vous pour ce sans grade. Lorsque Merckx, longtemps soutenu par son équipier Van den Boosche, met le turbo et se débarrasse de Poulidor, son ultime opposant, Matignon, qui décédera en 1987, est déjà en vue de l’arrivée. Sa victoire, insolite et paradoxale, marquera de manière anecdotique ce Tour 69. Ce Tour, écrasé par Merckx, où le dernier fut un jour le premier.
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