À Chamalières, de nombreux résidents de la métropole font leurs courses dans une sympathique rue du centre, portant un nom à consonance américaine : Lufbéry. Ce patronyme est celui Raoul Gervais Lufbéry, personnage souvent méconnu, as de la Première Guerre mondiale, né à Chamalières, le 14 mars 1885, dans une famille franco-américaine.
Famille disloquée
La famille Lufbery est plutôt aisée. Le père, de nationalité américaine, est un chimiste travaillant chez J-B Torrilhon, entreprise de caoutchouc manufacturé, installée dans l’agglomération, avant Bergounian et Michelin. Marié à une auvergnate, Anne Veyssière, le couple donne naissance à trois garçons. Mais la famille connaît un véritable drame, puisque cette dernière décède alors que Raoul, le petit dernier, vient à peine de fêter son premier anniversaire. Monsieur Lufbéry décide, alors, de refaire sa vie, d’abord en France puis repart aux États-Unis, dans le Connecticut, laissant le soin à sa belle-mère chamaliéroise de s’occuper de ses trois fils.
Lufbéry, l’aventurier voyageur
Livré à lui même, Raoul, décide à 20 ans, de parcourir le monde. Il embarque pour l’Afrique du Nord où il exerce une multitude de métiers. Il rejoint la Tunisie puis l’Égypte, où il annonce renoncer à sa nationalité française pour éviter le service militaire, puis Constantinople et l’Allemagne qu’il quitte pour les USA espérant retrouver son père qui, lui même, se dirige vers la France au même moment. Il fait néanmoins connaissance de demi-frères et sœurs avant de repartir vers Cuba en tant que voyageur de commerce. Après trois ans de voyages et différents métiers, il s’engage dans l’armée américaine et se retrouve dans 20e régiment d’infanterie à San Francisco. Il est envoyé à Hawaï, revient à San Francisco et termine son service à Manille en 1910. Il reprend alors ses voyages en Asie : Japon, Chine, Inde et Indochine où il fait connaissance du pionnier de l’aviation Marc Pourpe, qui réalise des exhibitions aériennes au quatre coins du monde. Cette rencontre va changer sa vie puisqu’il devient son mécanicien et le suit en Indochine puis en Égypte où il réussit un raid aérien entre le Caire et le Soudan. Mais la première Guerre Mondiale vient bouleverser le cours de la vie des deux hommes.
De mécanicien à pilote
La guerre déclarée, Pourpe devient pilote dans l’escadrille MS 23. Pour suivre son « patron », Lufbéry s’engage volontairement dans l’Armée Française ce qui lui permet de choisir son affectation. Il devient mécanicien dans le 1er groupe d’aviation, sans doute affecté aux côtés de Pourpe qui se tue accidentellement en 1914.
Raoul Lufbéry décide, pour l’honneur de son ami, de devenir aviateur. Il obtient son brevet de pilote militaire à Chartres en 1915 et le grade de caporal. Il complète sa formation à l’école d’Ambérieu et intègre, en 1915, l’escadrille de bombardement VB 106 à Malzéville. Durant 8 mois, il pilote son avion Voisin pour effectuer des bombardements essentiellement sur la Lorraine allemande. En 1916, il rejoint le Groupement des Divisions d’Entrainement pour se former sur chasseur Nieuport et intègre une nouvelle escadrille constituée de pilotes volontaires américains qui prend le nom d’escadrille Lafayette. Les pilotes américains, souvent fils de bonnes familles, n’intègrent pas vraiment cet homme qui parle avec un drôle d’accent français. Une première victoire dans le ciel de Verdun règle le problème.
Lufbéry devient un as de 14/18
Ce premier fait d’arme est suivie de trois combats victorieux, puis d’un autre alors que son escadrille est affectée à l’escorte de bombardiers. Cette 5e victoire propulse l’adjudant Raoul Lufbéry vers la célébrité. Durant l’année 1917, il participe à tous les combats et se montre le meilleur pilote de son groupe. Même s’il n’est pas le plus brillant, ses talents de mécanicien garantissent sa longévité. Il inscrit sa 17e victoire en 1917. Promu au rang de major, il quitte son escadrille pour former les jeunes aviateurs qui constituent les nouvelles formations américaines officiellement engagées dans la guerre. Il continue cependant à voler au sein du 94th Aéro Squadron, mais alors qu’il est en mission le 19 mai 1918, son avion Nieuport est sévèrement touché par un appareil allemand. Deux hypothèses divergent sur les circonstances de l’issue fatale de ce dernier vol. Un témoin prétend qu’il a été éjecté de son avion dont les commandes ne répondaient plus, d’autres avancent l’idée qu’il a sauté volontairement dans le vide car son Nieuport en feu. Sa mort fait la première pages de la presse française et américaine. Le commandant natif de Chamalières, distingué de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire, de la Croix de guerre et de la British Military Medal repose à jamais au mémorial Lafayette de Marnes-la-Coquette et son souvenir plane au dessus du centre de la ville auvergnate.
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