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Jessy Trémoulière / photo Yves Meunier
Jessy Trémoulière / photo Yves Meunier
Chroniques

Aux bonheurs de « Fougère »

Invitée incontournable des grandes tables, l’eau minérale de Saint-Géron, qui jaillit près de Brioude, prétend réduire la fatigue et accroître le métabolisme énergétique. A deux pas de là, les Trémoulière pourraient bien avoir branché les robinets de la ferme sur la source à l’étiquette ‘’bleu-blanc-rouge’’. Le tricolore qui va si bien à la fille de la maison, sacrée numéro un du rugby mondial 2018.

Elle m’avait dit : « Tu verras, il y a un panneau ‘’La route du lait’’ devant l’entrée de la ferme ». Pas d’erreur, c’est bien là ! Il tombe des cordes sur la ferme de Barlières et la campagne altiligérienne mais, en ces temps de sécheresse, les paysans ne font pas grise mine quand vient la pluie.   

Mens sana in corpore sano

Un grand seau de lait dans chaque main, sourire aux lèvres, Jessy sort de la salle de traite pour abreuver les plus jeunes veaux avant de distribuer la farine et le foin à leurs aînés. Séance musculation parmi d’autres au fil d’une journée bien remplie sur l’exploitation familiale de 250 ha conduite en bio avec 180 têtes de bétail dont une cinquantaine de laitières.Y a du boulot ! 

« Ce qui importe c’est que je me sente bien dans mon quotidien, en rapport avec la nature ». Des mots qui résument bien la personnalité de celle qui fut d’abord multisports, douée pour le foot, avant de découvrir la balle ovale à 16 ans au lycée agricole de Brioude-Bonnefont. Équipière à Romagnat de 2010 à 2017 puis au Stade Rennais jusqu’à cette année.

Avec le coq- photo FFR.

Avec 53 sélections internationales à XV, deux grands chelems dans le Tournoi des six nations en 2014 et 2018, une coupe du monde et deux victoires historiques faces aux Néo-zélandaises, l’extrait du palmarès est éloquent.

Simply the best  

Avec Johnny Sexton- photo World Rugby.

Si éloquent d’ailleurs qu’en novembre 2018, la numéro 15 tricolore se voit sacrée meilleure joueuse de l’année aux World Rugby Awards à Monaco. Première française en haut du podium, l’Irlandais Johnny Sexton l’accompagne dans les honneurs rendus par le Prince Albert. 

« Après ma fracture du péroné, à l’automne 2016, j’en ai bavé mais j’ai serré les dents en me disant qu’il fallait que je m’en sorte pour être un jour la meilleure. Et voilà, le rêve s’est réalisé…le bonheur ! » D’un coup, la notoriété de Jessy bondit à travers les médias. Sans que les passages sur les plateaux télé ne lui mettent la grosse tête. « Je sais que je dois ça aussi aux succès du XV de France, au collectif ; ce n’est pas pour autant que je vais être la meilleure sur tous les terrains. Et puis cela ne change rien à mes projets ! »

Sachant qu’en France le rugby pro féminin n’existe pas, c’est la FFR qui gère les compétitions des filles, les internationales bénéficiant de contrats qui en font des ‘’semi-pro’’.

Pendant quatre saisons, de 2015 à 2019, Jessy était sous contrat fédéral de Rugby à 7. Un contrat à 75% rémunéré 2400€ mensuels qui ne lui laissait guère de temps pour faire autre chose. Les exigences physiques, les blessures, les saisons à rallonge du 7 et les séjours à ‘’Marcatraz’’ (1) ont eu raison de son tempérament. 

Raffut- photo FFR.

L’appel du terroir

Quitte à sacrifier une perspective olympique avec le 7, notre n°1 mondiale en titre vient donc de basculer sur un contrat fédéral à XV, moins contraignant, avec un ‘’mi-temps’’ à 1600€.

Et de Rennes, où elle a pu continuer de grandir tout en gagnant quelques sous supplémentaires, voilà ‘’Jess’’ de retour sur le pré de Romagnat sachant que le club, même estampillé ASM, n’a pas davantage les moyens de rémunérer les joueuses que de distribuer des primes de match.

L’appel du terroir a été le plus fort. 

« Pour moi, l’aspect financier est secondaire…priorité à mon équilibre personnel, je ne veux pas rester cloisonnée dans le rugby. La famille, la ferme, le pays…tout cela me manquait ! ».

A 27 ans Jessy n’abandonne pourtant pas ses ambitions, ni avec les bleues du XV de France qu’elle retrouvera pour le test-match contre l’Angleterre le 9 novembre au stade Michelin, ni avec les Jaunes de l’ASM Romagnat qui auront entamé le championnat Elite1 à la mi-septembre. 

La culture de l’authentique   

Avec le père- photo YM..

Dans un coin de sa tête la fille Trémoulière se verrait bien entamer une formation d’entraîneure en commençant avec les jeunes. Cette année déjà, elle donne un coup de main à l’école de rugby de Brioude et la suite pourrait peut-être se dessiner du côté du Pôle espoir féminin d’Issoire. Histoire de se rôder.

Pour l’heure, Jessy assume son bonheur autour des prés de la ferme aux côtés de son frère aîné Amaury (l’autre frère Thibaut travaille au service des eaux de la ville de Brioude) et de son père Serge qui sont en GAEC à la tête de l’exploitation. L’après rugby est d’ailleurs écrit : La fille de la maison prendra la place du père lorsqu’elle aura raccroché les crampons.

Mais Jessy, qui a perdu sa mère lorsqu’elle avait 14 ans, est bien plus que la fille de la maison. C’est elle qui prépare les repas quotidiens, le père prenant le relais quand le rugby éloigne ‘’Fougère’’ de la campagne brivadoise.

‘’Fougère’’… joli surnom que lui ont donné ses coéquipières tricolores un jour de mise au vert dans les montagnes cantaliennes. Ici comme chez Pagnol on cultive l’authentique. Assidue du potager familial ‘’Fougère’’ avoue se régaler des ‘’côtes de bœuf Trémoulière’’. Du fait maison, comme les croissants qui accompagnent le café même si elle affirme en souriant « ne pas les avoir très bien réussis ».

Il parait que l’eau de Saint-Géron favorise aussi la bonne humeur. Ça se pourrait bien !

(1)Nom ironique donné au Centre National de Rugby de Marcoussis en référence au célèbre pénitencier de la baie de San Francisco.

Avec Fabrice Ribeyrolles, entraîneur de l’ASM Romagnat- photo YM.

À propos de l'auteur

Yves Meunier

Bourbonnais originaire de Gannat où il s’est essayé au rugby sous le maillot de l’ASG pendant une douzaine d’années. Diplômé d’Etudes Supérieures en Sciences Economiques à l’Université de Clermont. Journaliste à France3 Région de 1972 à 2007. Aujourd’hui impliqué avec des amis dans une aventure viticole du côté de Saint-Emilion et toujours en prise avec le sport auvergnat au sein de l’Union des Journalistes de Sports en France.

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