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Georges Groine: l’œil du bivouac.
Chroniques

Quand l’œil s’ouvre sur les souvenirs

1er janvier 1980, terrain militaire d’Olivet près d’Orléans, prologue du Paris-Dakar. Voilà des heures qu’un camion frigo Mercedes immatriculé 63 est planté dans le sable. Des éclairs dans le regard, son pilote fulmine de voir défiler les autres concurrents. A la nuit tombante, un char AMX30 du 12ème régiment de cuirassiers sortira l’équipage du mauvais pas. Quarante ans plus tard, la mélancolie s’est posée sur les yeux de Georges Groine.

Il y a quelques années, un accident vasculaire lui avait fait perdre un œil. « Mais bon, c’était pas grave, je me débrouillais ! »

Et puis le noir intégral s’est installé. « C’est comme si je n’existais plus !»

Terrible parole de la part d’un homme qui a toujours voulu faire la course en tête.

« Tu es là, on discute…sinon, je ne parlerais même plus !»

Sauf, quand-même, avec son épouse Janine qui l’assiste en permanence.

Dakar 83: jour de victoire.

Pas froid aux yeux !

J’étais venu prendre des nouvelles du Clermontois, ex charcutier-camionneur-renard du désert avec qui j’ai eu la chance de partager quelques épisodes de ses aventures.

Comment sortir Jojo de sa mélancolie sinon en relançant la mécanique des souvenirs et du langage ?

A commencer par ce mémorable lendemain de réveillon à Olivet. « J’avais très envie de donner une image sportive des camions. Comme ce deuxième Dakar leur était ouvert, je me suis lancé dans l’aventure ! » Le boss du rallye lui avait assuré que ‘’ça passerait avec un 2 roues motrices’’. Allons-y donc !…quitte à boucler la galère sur un wagon du train des naufragés entre Gao et Tambacounda.

A Dakar, Jojo et ses équipiers purent quand-même tenir leur challenge : dresser un buffet auvergnat sur la plage.

Camion à la une.

Je résume bien sûr car au fil du ‘’flash-back’’ Jojo retrouve sa verve de toujours. Du premier transport de pièces pour des clients en 81, suivi de ses victoires et surtout celle de 83 avec le doublé Mercedes camion-voiture en compagnie de Jacky Ickx et Claude Brasseur.

La course et l’aventure jusqu’en 86 où il échoue au port, enlisé dans un marécage du nord-Sénégal et encore secoué par le drame de l’accident d’hélico qui vient de coûter la vie à Thierry Sabine, Daniel Balavoine et trois autres passagers.

Bon pied, bon oeil !

 « Depuis trois ans, j’avais des camions 6×6 qui assuraient l’assistance des privés et je me dis qu’il y avait sûrement un virage à prendre dans cette direction. Je rencontrais Jean Todt qui préparait quelque chose avec Peugeot

Une expédition dans le Ténéré pour mettre au point un proto 205 avec Ari Vatanen, des tests concluants et voilà une affaire qui roule. Peugeot signe le contrat d’assistance.

Les yeux de Jojo brillent encore à l’évocation de ces années bonheur ! Dans la voix la fierté est là, comme avant. « Peugeot gagne le Dakar 87…et les suivants. Dix années de collaboration avec le groupe PSA, d’abord avec Jean Todt et Peugeot, ensuite avec Guy Fréquelin et Citroën. »

La création d’une structure adaptée, le Team Georges Groine, se révéla nécessaire en 89. « On a tout gagné, et pas seulement sur le Dakar. Avec Le Tunisie, le Maroc, les bajas, j’avais toute l’année dix camions pour PSA…et dix autres pour assurer les roulements ».

La Peugeot 205.

On en oublierait presque l’expédition humanitaire ‘’Sahel 84’’, de Nouadhibou à Agadès ou Objectif Sud en 89, rallye 100% camions, de Clermont à la Sierra Leone en longeant les côtes africaines, accompagné d’un bateau-cuisine qui alimentait le bivouac du soir sur les plages. Folie douce !

«…et Paris-Pékin, s’enthousiasme Jojo, sur lequel on a montré qu’on était plus qu’un atelier de mécanique ambulant en servant les participants sous un chapiteau, à table, pour le dîner ». Il faut avoir goûté à la saveur de cet aligot servi un soir d’août 95 quelque part en Mongolie !

Et le point d’orgue de l’an 2000 quand le Team Groine assure l’intendance du Dakar entre le Sénégal et les pyramides d’Egypte…vingt ans après le buffet auvergnat de la plage.

Les yeux de la tête !

Au tournant du siècle, la suite se révélera exaltante mais finalement teintée d’amertume. Mercedes présente sa nouvelle génération de 4×4 en assurant l’écurie clermontoise de son soutien dans le développement de la version rallye-raid du ML.

L’aventure du ML.

Et voilà Jojo, en version tout sourire, ouvrant la partition Johnny. « Ah, là, il y aurait à raconter ! » Car avant de partir sur le Dakar avec Nissan en 2002, c’est bien au volant d’un ML clermontois que notre rocker national avait fait ses premières armes sur le rallye de Tunisie 2001. « Le plus dur ?…me réveiller si tôt ! » avouait alors l’oiseau de nuit avant de mettre la voiture sur le toit et d’allumer le feu au bivouac avec un live impromptu de Toute la musique que j’aime.

Et comme dira l’artiste à l’arrivée d’une étape un peu galère : « Si on n’avait pas perdu une heure et quart dans le sable…on serait arrivé depuis une heure et quart ! » Imparable… Bien vu. Johnny !

«… mais les anecdotes plus piquantes restent en off !» conclut Jojo. Le succès sportif des ML sera au rendez-vous avec cinq victoires en coupe d’Europe de 2000 à 2004. Mais économiquement, le vent a tourné. « On a beaucoup investi dans la préparation des voitures et…. on a bouffé des ronds parce que les accords avec Mercedes France n’ont pas connu la suite espérée ».

Soupirs, silence et fin de la grande aventure. 

« Bon alors maintenant, il faut l’huile de pépins de raisin, le sel, la moutarde, un peu de vinaigre, échalotes émincées, persil…et finir à l’huile d’olive pour bien durcir ». Sa fille Françoise, de passage chez les parents, écoute en tenant le bol des jaunes d’œuf. Son épouse Janine observe et Jojo enchaîne «…il va falloir ajouter les blancs montés en neige et brasser avec une cuillère en bois…attention, surtout ne pas tourner mais brasser ! »

Jojo et Johnny.

En d’autres temps il n’aurait confié à personne le soin de monter cette mayo mousseline, mais aujourd’hui, à 85 ans, Georges Groine est aveugle.

Les camions et les bagnoles, la cuisine (ah, les pieds de cochon !), les boules, la chasse…autant de passions qui ne revivent que lorsque l’œil s’ouvre sur les souvenirs.

Merci Jojo pour ce moment !

À propos de l'auteur

Yves Meunier

Bourbonnais originaire de Gannat où il s’est essayé au rugby sous le maillot de l’ASG pendant une douzaine d’années. Diplômé d’Etudes Supérieures en Sciences Economiques à l’Université de Clermont. Journaliste à France3 Région de 1972 à 2007. Aujourd’hui impliqué avec des amis dans une aventure viticole du côté de Saint-Emilion et toujours en prise avec le sport auvergnat au sein de l’Union des Journalistes de Sports en France.

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