Pas de tourment, non. Mais de la peine, oui, à ressentir ce voyage qui s’achève, à devoir laisser ce pays piège, succombant à son charme et le quitter comme une déchirure. Une frustration aussi de n’y pas délayer plus encore les jours et les semaines pour encore mieux s’en emplir.
Tête en l’air
Ce n’est pas la saison des roses à Kashan mais les distilleries, elles, ne s’arrêtent pas de produire leurs essences. Elles embaument aux détours du long bazar et ramènent, dans les échoppes, le visage à hauteur d’homme. C’est pourtant plutôt la tête renversée et les yeux au plafond que j’aurai visité cette ville.
Il faut dire que les voûtes du bazar sont exceptionnelles bien qu’anciennes, plus que certaines arches du 19ème. Entre les deux, le contraste saisissant d’une construction élégante de briques aux sobres motifs géométriques et l’exubérance raffinée des muqarnas qui font assaut de variations. Un piège du regard pour admirer ces coupoles magnifiques et subtiles.
Ce raffinement qui sied si bien à l’Iran se retrouve tout autant dans l’architecture du hammam Sultan Amir Ahmad, sur ses toits aux kyrielles de dômes incrustés de petits oculus de verre qui laissent une douce lueur filtrer pour les salles en dessous.
Ces mêmes toits en belvédère sur la ville qui, elle aussi oasis, laissent poindre ici où là quelques bagdir, moins nombreux cependant qu’à Yazd. Ils marquent l’emplacement des nombreux palais qadjar décatis ou rénovés mais qui, tous, illustrent un âge d’or des arts et de la culture.
Les salles intérieures du hammam ne sont pas en reste.
Elles jouent de subtiles variations ornementales pour remplacer la répétitivité du bâti par l’imposition d’une architecture parfaitement élaborée au service du bien être des corps et de l’âme. A chaque salle sa fonction. A chaque fonction son décor.
A l’extérieur, il règne dans les rues de cette ville pourtant grande une forme d’indolence, comme un ralenti des mouvements et une ambiance sonore ouatée que seuls percent les moteurs fatigués. Les minarets comme les voûtes se parent de noir. La fête des martyrs est d’actualité. Si nous avons commémoré l’an passé le centenaire de la fin de « notre » grande boucherie (14-18), celle de la guerre Iran-Irak n’a que 30 ans. Elle fut sanglante, elle fut et reste symbolique pour ce pays chiite qui se sent isolé et menacé par les majorités sunnites environnantes. Elle est encore dans toutes les têtes, dans toutes les familles. Elle est aussi une manifestation – encore – du pouvoir des mollahs.
Partir et revenir
Les heures passent et s’installe dans ces derniers moments pérégrins l’habituelle lassitude nostalgique des fins de voyages.
Comme l’émerveillement naïf des premiers pas, ces deux sentiments marquent toujours le début et la fin de ces parenthèses. Partir et revenir. Entre les deux, une expérience de l’ailleurs. Celle d’Iran aura de toutes une saveur unique, celle d’être tombé sous le charme des choses et des êtres ; gardant en retrait mais en conscience des réalités moins poétiques. Un pays du grand écart.
Le dernier jour, dans les jardins du palais du Golestân à Téhéran, une silhouette se fond sur la mosaïque du mur.
La mèche s’échappe à nouveau du voile pour rappeler à la réalité dans un tableau abstrait.
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