En 1968, tandis que la France vit son mois de mai et que les chars soviétiques répriment dans le sang l’élan démocratique du « petit frère » tchécoslovaque, comme ils l’avaient fait en Hongrie en 1956, la Grèce vit sous le joug d’un régime militaire et dictatorial, conduit par le colonel Georgios Papadopoulos. Le 13 août, dans la chaleur de l’été hellène, un attentat à l’explosif est commis contre l’omnipotent chef de l’état alors qu’il se rend à Athènes, par la route du Cap Sounion, longeant la mer Egée. Le chef du groupe qui a conduit l’opération, un certain Alexandros (dit Alekos) Panagoulis, sera arrêté et condamné à mort, peine qui ne sera jamais éxécutée sous la pression de l’opinion internationale. Le procès qui aboutit au jugement est suivi par deux observateurs judiciaires: l’Italien Luigi Saraceni et le jeune avocat français Denis Langlois, représentant de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme. L’expérience va durablement marquer Denis Langlois qui publiera en 1969 Panagoulis, le sang de la Grèce aux Editions Maspero. Le livre ressort aujourd’hui aux Editions SCUP.
7 Jours à Clermont: Qui est Denis Langlois en 1968?
Denis Langlois: En août 1968, j’avais 28 ans et je venais tout juste de devenir avocat, depuis le mois de mai en réalité, et j’étais l’avocat de la Ligue des Droits de l’Homme… C’est à ce titre, pour la Fédération Internationale, que l’on m’a demandé de suivre ce procès. Il faut se resituer dans le contexte de l’époque, extrêmement militante. En France, on sortait tout juste du mois de mai 68 et c’était une période de grande contestation à l’échelle internationale: en Italie, en Allemagne, en Amérique du sud, aux Etats-Unis, partout, il existait des mouvements.
7JC: Que représentait alors la Grèce des colonels pour des militants comme vous?
DL: C’était l’une des trois dictatures de l’Europe occidentale, avec l’Espagne de Franco et le Portugal de Salazar. L’opinion publique internationale se révélait souvent hostile à ces régimes militaires mais les gouvernements occidentaux, pour leur part, fermaient les yeux à l’exception de la Scandinavie. Il est vrai que le coup d’état des colonels en Grèce, au mois d’avril 67, avait été soutenu par les Etats-Unis, désireux de s’opposer ainsi, stratégiquement, au bloc communiste de l’est de l’Europe.
7JC: Quelques mots sur Alekos Panagoulis…
DL: La Ligue des Droits de l’Homme en France hébergeait la Ligue grecque en exil. D’autre part, beaucoup d’articles étaient parus sur le coup d’état dans les journaux occidentaux. Bien entendu, avant de me rendre à Athènes, j’en avais beaucoup entendu parler. Durant le procès, il était impossible d’avoir des contacts personnels avec l’accusé mais j’ai pu m’entretenir avec son avocat. L’extrême courage de Panagoulis, devant les juges, a surpris tout le monde. Il revendiquait son acte, réclamait la peine de mort, voulait prouver que la résistance était possible. Il en est d’ailleurs devenu le symbole.
7JC: En quoi le procès a-t-il été marquant pour un jeune avocat de 28 ans?
DL: D’abord, c’est la première fois que je suivais un procès débouchant sur la peine de mort. En fait, c’était une caricature, les juges obéissaient à la junte militaire. Dans la réalité, le chef de l’Etat, Georgios Papadopoulos était plutôt opposé à ce que la peine de mort soit prononcée mais il était entouré par des militaires plus durs que lui… Pour moi, ce fut aussi la découverte, sur le terrain, des réalités d’une dictature. Suivre le procès lui-même avait quelque chose d’exaltant, surtout avec la personnalité de Panagoulis. J’avais l’impression de vivre un moment historique et d’avoir une responsabilité, en tant que témoin de cet événement.
7JC: Ecrire un livre, cela faisait partie de cette responsabilité…
DL: Le but était bien-sûr d’émouvoir la population française. Le livre est un compte-rendu du procès, j’ai voulu lui donner aussi une dimension littéraire. En tous cas, dans le climat militant de l’après mai 68, l’ouvrage a connu un gros succès. Il a participé à sa façon au combat contre la dictature.
7JC: Pourquoi une réédition aujourd’hui?
DL: Le 17 novembre, ce sera le 50e anniversaire de la condamnation à mort de Panagoulis. Il y a donc l’effet de l’anniversaire. Le récit originel est intégralement publié et nous avons ajouté une dernière partie « Vie et mort d’Alekos Panagoulis », sous forme chronologique, avec des photos, des documents. Il est mort jeune, à l’âge de 36 ans, alors que la dictature militaire grecque était tombée. L’accident de la circulation, dont il a été victime, demeure assez troublant…
Retrouvez les chroniques de Denis Langlois « Poussières volcaniques » sur 7 Jours à Clermont.
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