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Chroniques

Le crépuscule et l’aube

En bon Gallois de la génération des JPR Williams, Phil Bennett ou Gareth Edwards, tous inscrits au panthéon des Diables rouges à l’emblème du poireau, Ken Follett n’avait sûrement pas le rugby en tête en titrant son dernier roman-fleuve qui ramène l’Angleterre aux heures sombres de son histoire. Mais si l’on imagine remplacer les horribles attaquants Vikings du haut moyen-âge par l’affreux Covid de 2020, le crépuscule est bien évocateur du paysage sportif de cette fin d’année.

Quittant le Pays du soleil levant pour l’Auvergne, Kotaro Matsushima se montrait impatient de partager la passion des supporters clermontois : « Le stade a l’air merveilleux, avec les spectateurs si proches des joueurs, l’ambiance doit y être formidable. Il me tarde de découvrir ça ». 

Kotaro Matsushima- photo Y.M.

Et patatras ! Depuis son arrivée à l’ASM en juillet la star du rugby nippon, révélation de la dernière Coupe du monde, doit se contenter d’exercer ses talents offensifs devant des gradins que les contraintes du reconfinement ont fini par vider de tout spectateur.

Les sanglots (longs) des violons de l’automne

Depuis l’ouverture du TOP 14 début septembre contre Toulouse avec un quota de 10 000 spectateurs, le volcan Marcel-Michelin s’est effondré en caldera puis en morne plaine. Le crépuscule avait commencé d’envelopper les 5000 supporters du quart européen et de la troisième journée du championnat avant que la nuit ne tombe sur les 1000 spectateurs autorisés lors des visites de Paris et Pau. Le match à suivre, à huis clos cette fois, venant corser de 800 000€ une addition ou plutôt une soustraction qui s’élèvera déjà à 2,70M€ de perte. Le pire est à venir quand on sait que les deux matchs du Tournoi des 6 Nations programmés en février et mars 2021 sont d’ores et déjà prévus à huis clos.

Régime sec aux buvettes- photo Y.M.

Dans le concert général du sport pro qui réclame une aide accrue de l’Etat, la voix du rugby se fait la plus prégnante. Avec 80% des ressources issues de la billetterie, des hospitalités et du sponsoring, le huis clos propulse la plupart des clubs de l’élite vers un scénario catastrophe même si la télé lui évite de disparaitre du paysage et de tomber dans l’oubli de ses supporters et partenaires.

Vu à la télé… ou pas

Soumis à un calendrier qui se trouve sans cesse chamboulé par la contamination au point que des rencontres ont déjà été repositionnées en milieu de semaine en décembre et janvier, le Top 14 et la Pro D2 doivent impérativement continuer d’occuper les écrans du diffuseur même si la manne télévisuelle (pas plus de 20%) n’a rien à voir avec celle du football.

Seules les caméras…- photo Y.M.

La part prépondérante des droits TV (en moyenne 60% du budget) permet au Clermont Foot et aux pros du ballon rond de poursuivre une route un peu moins chaotique qui, jusque-là et bien qu’affectée par le confinement, respecte les calendriers et console les abonnés aux chaines de sport. Mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne entre ceux qui sont télévisés et ceux qui ne le sont pas.

Si la compétition de l’élite se poursuit en pointillé et à huis clos pour les volleyeuses de Chamalières, cela sent les oubliettes pour les handballeuses clermontoises et les filles du rugby de l’ASM-Romagnat qui sont ‘’aux arrêts’’ jusqu’à la St-Sylvestre. Côté basket, la Pro B demeure sur le pont tandis que les matchs de la JAV-Clermont, dont l’avenir immédiat est fortement compromis par l’absence de spectateurs, sont reportés jusqu’en décembre. Le ministère des sports ayant laissé les autorités fédérales et les ligues professionnelles libres de leurs stratégies, le flou est absolu. En espérant qu’il ne se révèle pas mortifère. 

Vogue la galère

Photo Y.M.

On aurait tort de s’apitoyer sur la seule problématique des vitrines plus ou moins clinquantes des PME du sport-spectacle car c’est bien TOUT le sport qui navigue aujourd’hui en eaux troubles par une nuit sans lune.

La plupart des compétitions, regroupant dans l’hexagone 17 millions de licenciés amateurs, se retrouvent à l’arrêt sans aucune certitude. Reprendra-t-on en décembre, janvier, février ou plus tard encore… ? Dirigeants bénévoles, éducateurs et pratiquants sont embarqués dans une même galère avec une même équation à résoudre : comment organiser et assurer ensuite un hypothétique redémarrage de l’activité quand on sait qu’hormis les cotisations des pratiquants, quelques subventions et les pubs des calendriers gentiment offertes par les commerçants du coin, ce sont les passages des spectateurs aux guichets, les recettes des buvettes les bourriches et les lotos de fin d’année qui alimentent le viatique de tous ces ‘’petits’’ clubs, leur permettant d’avancer d’une saison à l’autre ?

En n’oubliant pas que c’est bien là, dans ce terreau des campagnes, des villages ou des banlieues qu’ont éclos un jour les stars qui animent le business du sport professionnel.

Photo Y.M.

La délivrance de l’aube

« Coûte que coûte », du bas de l’échelle jusqu’à l’élite, chacun s’en remet donc à l’Etat pour sauver ce qui peut l’être : la survie des uns et les gros salaires des autres. Plombée par ses embrouilles avec Médiapro concernant le versement des droits TV, la Ligue1 s’est affichée parmi les quémandeurs. On est quand même en droit de se demander où serait la morale si le contribuable devait cracher au bassinet pour garantir les revenus démesurés des stars du Foot.

Mis sous assistance respiratoire par des prêts bancaires garantis d’État (5,5M€ à l’ASM Clermont) qui assurent provisoirement la trésorerie, les entreprises du sport pro attendent maintenant comme le messie les aides directes du gouvernement après validation par l’autorité européenne. Les cadeaux du Père Noël suffiront-ils à éviter qu’une nuit profonde succède au crépuscule ?

Flamboyances- photo ASM Rugby.

La réponse viendra surtout de la résorption de la crise sanitaire qui passe par la clairvoyance de chacun à ne pas succomber à la tentation d’un déni complotiste délirant promu par quelques people de la médecine, du showbiz ou de la politique.

Il va falloir à Kotaro Matsushima faire preuve d’un peu de patience en attendant que le Michelin retrouve l’ambiance de feu qui colle si bien à l’âme du rugby. Puisqu’en ce début de saison les ‘’jaune et bleu’’ semblent avoir retrouvé des couleurs, souhaitons que la délivrance de l’aube chère à Ken Follett tienne ses flamboyantes promesses.

 

 

 

À propos de l'auteur

Yves Meunier

Bourbonnais originaire de Gannat où il s’est essayé au rugby sous le maillot de l’ASG pendant une douzaine d’années. Diplômé d’Etudes Supérieures en Sciences Economiques à l’Université de Clermont. Journaliste à France3 Région de 1972 à 2007. Aujourd’hui impliqué avec des amis dans une aventure viticole du côté de Saint-Emilion et toujours en prise avec le sport auvergnat au sein de l’Union des Journalistes de Sports en France.

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