« Ce soir, Victor est venu fleurir la balustrade qui entoure la statue du général Desaix. Puis, grave et solennel, il s’est mis à jouer La Marseillaise sur son violon. Le pauvre fou protestait ainsi contre l’incurie municipale qui laisse croître un véritable pacage au pied du monument. Un agent de police a dispersé la foule. »
Depuis ce fait divers, relaté par L’Avenir du Plateau central du 22 septembre 1897, les incivilités ont nettement changé de modes d’expression ! Raison de plus pour partir à la rencontre des pittoresques copains de Victor… Voici Aglaé, belle plante qui vend des fleurs sur la Montée de Jaude. Voici le père Alanore, conseiller municipal, pharmacien et docteur ès calembours. Voici un autre « père », Alexandre, pioupiou cassé par la bataille de Solférino et médaillé de toutes les guerres de ses multiples fantasmes. Pour briser les manœuvres d’encerclement de grappes de garnements, il exécute en vociférant de savants moulinets avec sa canne à pommeau de cuivre. Barbe en broussaille, voici « Gabriel-le-Sorcier », la chevelure en jachère coiffée d’un chapeau qui fut haut-de-forme.
En éternel devenir…
Par ailleurs, Son Excellence Paul Auger, confiseur et néanmoins très distingué consul de Belgique, empanaché d’un bicorne, étincèle de décorations.
Quant aux cœurs esseulés, ils ne sauraient manquer d’apprécier à son juste mauvais goût l’élégance ostentatoire de « La Beauté-de-Fontgiève » et « Cocotte ». Pour les plus intellos des désœuvrés, direction le quatrième étage de l’hôtel borgne tenu, rue Sainte-Madeleine, par le peu ragoutant père Baubier. Là, dans sa chambre mansardée, cet ancien séminariste de Montferrand, faussaire jadis condamné et écrivain en éternel devenir reçoit par intermittence sa muse inspiratrice avec qui il visite les coins et recoins de régions passablement éthérées.
Plus prosaïquement, rue de l’Écu[1], Jarrier, le musicien malvoyant mais du flageolet bien jouant, donne un concert de derrière les fagots et le comptoir du Café de la Perle.
L’amour, l’alcool, la folie
Maintenant, en lisant la presse locale, « écoutez : de la rue monte une mélodie pénétrante. Les fenêtres s’entr’ouvrent. Une voix qui dut être belle déraille, vibrante, un air patriotique ou roucoule une romance d’une époque reculée. » C’est « Jean-la-Flûte », la star du pavé clermontois avec ses pantalons aussi longs que sa barbe d’apôtre envahie de tabac. Enfant de Tauves descendu à la ville vendre des journaux, il parle haut, chante juste et boit sec. Le spectacle continue sur les chapeaux de roue avec « Marguerite-en-voiture », clocharde (r)avinée qui, dans ses rêves de Cendrillon, file avec son « Adoré » et en calèche à deux chevaux le parfait amour.
L’amour, l’alcool, la folie, tel est justement le drame en trois actes joué et bissé, de trottoir en bistrot, par « Victor-le-Violoneux », veuf inconsolable et cocu meurtri qui reporte son affection sur l’absinthe nature et le général Desaix. « Déguenillé, titubant, raclant l’unique corde de son violon à demi brisé, il court les rues, se livrant aux excentricités les plus burlesques, déblatérant de sa voix caverneuse les pires insanités. » Victor Blanluette, né à Paris en 1851, est mort à l’hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand, le 9 juillet 1902.
Devins… On rase gratis !
Si certains semblent avoir perdu la boule, d’autres font métier de lire ses messages avec toute l’attention requise par l’intérêt de leur porte-monnaie… Ainsi, 16 rue Saint-Louis[2], se mitonnent les confondantes révélations de Madame Bianca, « somnambule de 1re classe, cartomancienne et chiromancienne médaillée », spécialisée en « procès, mariage, maladie, affaires de famille et commerciales de toute nature. Discrétion absolue. Prix modérés. » À ce sujet, pour 5 F et un timbre pour la réponse, 6bis place Chapelle-de-Jaude[3], Madame Elviane consigne ses visions.
Le « devin-magiste » Michaël (8 rue Antoine-d’Auvergne), lui, est prêt à offrir 1 000 F à « toute somnambule qui prouvera qu’elle est réellement somnambule lucide ». D’inestimables prédictions sont également à découvrir chez Mesdames Ackita (la « Bête à Bon Dieu » du 44 rue Blatin), Paul (33 rue Ballainvilliers), Raphaël (31 rue du Port) ou Estella, 8 rue d’Assas…
À moins de préférer celles de Sacha Guitry qui « devin[ait] le passé d’une femme à la façon dont elle tient ses cigarettes et l’avenir d’un homme à la façon dont il tient la boisson » !
[1] L’avenue des États-Unis, de la place de Jaude à la rue des Gras.
[2] L’avenue des États-Unis, de la rue des Gras à la place Gaillard.
[3] Place de la Résistance.
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