Accueil » Chroniques » Gordon-Bennett 1905, en coupe bien réglée
Chaussé de pneus Michelin et de lunettes Mirovitch, Théry gagne ! Coll. Patrice Besqueut
Chaussé de pneus Michelin et de lunettes Mirovitch, Théry gagne ! Coll. Patrice Besqueut
Chroniques

Gordon-Bennett 1905, en coupe bien réglée

Mercredi 5 juillet 1905 : comme le vote de la loi de séparation des Églises et de l’État, la victoire de Léon Théry dans l’édition auvergnate de la coupe Gordon-Bennett fait beaucoup parler...
Gordon Bennett Jr, le père de la compétition. Coll. Patrice Besqueut
G. Bennett Jr, père de la compétition.
Coll. P Besqueut

Hello James Gordon Bennett Jr (1841-1918) ! Magnat new-yorkais d’origine écossaise de la presse américaine ! Novateur et mécène insatiable, arrivé à Paris en 1887 pour lancer l’édition européenne de son journal Le New York Herald, il n’hésite pas à envoyer l’un de ses journalistes dans le bassin du Congo retrouver Livingstone. But du reportage : tenir les lecteurs en haleine et surtout créer l’événement…
1900 : cocorico ! La France occupant la pole position mondiale, Gordon Bennett confie à l’Automobile-Club de France le soin de lancer la coupe qu’il crée et sponsorise, l’année du lancement d’une autre coupe fameuse, appelée Davis en 1945, à la mort de son initiateur.
Le règlement prévoit des équipages nationaux de trois voitures maximum, équipées sur place, et l’obligation pour le pays victorieux d’accueillir la coupe suivante. De Paris à Lyon en 1900 et de Paris à Bordeaux en 1901, Panhard-Levassor règne sans partage.

Les « Boches » annulent les festivités

À Laqueuille, une passerelle en bois pour franchir la voie ferrée. Coll. Louis/Françoise Saugues
À Laqueuille, une passerelle en bois pour franchir la voie ferrée.
Coll. Louis/Françoise Saugues

Mais, en 1902, après une kyrielle d’abandons sur ennuis mécaniques, la Wolseley de l’Anglais Selwyn Edge s’impose. L’année suivante, les courses étant interdites en Angleterre, la Mercedes du Belge Camille Jenatzy (1) triomphe en terre irlandaise. C’est donc sur le circuit allemand de Bad Homburg (près de Francfort), dans une atmosphère électrique alimentée par la douloureuse question de l’Alsace-Lorraine, l’implication personnelle de l’empereur Guillaume II et l’instauration d’éliminatoires françaises que, le 19 juin 1904, Léon Théry (1879-1909) (2) et sa Richard-Brasier deviennent des héros nationaux. D’autant que les « Boches », mauvais perdants, annulent toutes les festivités !
En prévision de l’édition 1905, l’enthousiasme de toute une région pour le « Circuit d’Auvergne » relègue en dernière ligne les projets proposés par Aix-les-Bains et Vichy. Fin 1904, le maire de Clermont Antoine Marie-Charles Fabre et les frères Michelin se portent garants auprès de l’Automobile-Club de France. Début 1905, les 200 000 francs de la souscription (plus de 600 000 €) sont sur la table. Merci Michelin, qui cisèle le circuit au départ de la plaine de Laschamps par le col de la Moréno, Rochefort-Montagne, Laqueuille, Bourg-Lastic, Herment, Pontaumur (3), Pontgibaud, le col de la Nugère, le Cratère, Durtol et la Baraque. Merci Michelin, dont le service Cartes et Guides concocte de révolutionnaires dossiers de presse. Bergougnan et Torrilhon apportent aussi leur écot. À l’Automobile-Club d’Auvergne de jouer le maître de cérémonie…

Bib en pole

À Herment, un âne têtu, un bolide et un cycliste à terre. Coll. Patrice Besqueut
À Herment, un âne têtu, un bolide et un cycliste à terre.
Coll. Patrice Besqueut

Cette dernière coupe Gordon-Bennett – puisque le Grand Prix de France, tant espéré par l’Automobile-Club de France, se substituera à elle en 1906 – s’annonce au couteau. Pour en découdre, d’une part la France contre le reste du monde (4), d’autre part Michelin contre Continental qui, le 9 mai 1905, a fait à la Manufacture l’affront suprême, largement relayé par L’Auto (l’ancêtre de L’Équipe), de conduire Auguste Fraignac au sommet du puy de Dôme, en 3 heures 52 minutes, par le seul accès alors existant, le sentier des muletiers !
La revanche est à la mesure de l’humiliation : sur les 137,144 kilomètres du circuit, à parcourir quatre fois (soit 548,576 kilomètres). Le chronomètre Théry, sa Richard-Brasier bleu de France, ses pneus Bib La Semelle – conçus pour résister aux arrachements provoqués par les dérapages – et son fidèle mécanicien Muller triomphent de la fougue des F.I.A.T. italiennes, à la stupéfiante moyenne de 78 km/h, avec des pointes à 170, sur des routes pas goudronnées ! Paris acclame Théry et le président Émile Loubet le reçoit, avec Charles-Henri Brasier, à l’Elysée.

Penser à tout…

Un franc pour une poule estourbie ! Coll. Patrice Besqueut
Un franc pour une poule estourbie Coll. P Besqueut

Durant six mois, les organisateurs se mobilisent à respectable hauteur de 350 000 francs-or : construction de trois ponts provisoires de chemin de fer à Laqueuille, Le Vauriat et Volvic ; pose de barrières de sécurité en bois sur 11 kilomètres du circuit ; à Laschamps, conception et réalisation des 200 et 153 mètres de tribunes (d’une capacité de 6 000 et 4 000 places) réservées respectivement à l’Automobile-Club d’Auvergne et à l’Automobile-Club de France… Sans oublier un café-restaurant, une galerie marchande, une tribune de presse pour 300 journalistes du monde entier (avec kiosque à journaux, télégraphe et téléphone), un centre de secours et sanitaire, des kilomètres de câbles électriques et l’épandage, à l’essai peu concluant, d’un produit antipoussière, le Pulveranto.
Vraiment très prévoyante, l’intendance de la course demande à chaque constructeur une provision de 200 francs pour indemniser les propriétaires des volatiles écrabouillés. Et ce selon un barème précis : une poule vaut 1 franc, un canard monte à 1,50 franc, une oie atteint 2 francs ! Quant au célèbre âne d’Herment, il traverse obstinément la route au passage des automobiles sans finir en saucisson ! Justement, c’est près d’Herment que, lors des essais, survient le seul accident mortel de l’épreuve. Soigneusement tu, il coûte la vie à une fillette. Sur les lieux de l’accident, une grange en pierre de taille rappelle sans doute sa mémoire et ses compensations financières…

Pour en savoir plus : Patrice Besqueut, La coupe Gordon-Bennett 1905, dessins d’Alain Bouldouyre, éd. du Palmier, 2005.

1905-2005, la Monnaie de Paris est de la fête. Coll. A.-S. Simonet
1905-2005, la Monnaie de Paris est de la fête.
Coll. A.-S. Simonet

1- Le premier à atteindre les 100 km/h, en 1889, sur pneus Michelin
2- Mécanicien de formation, enterré au Père Lachaise
3- Son hôtel de Lyon et ses inoubliables « tombeaux de foie gras » !
4- Allemagne, Autriche, États-Unis, Grande-Bretagne et Italie.

 

Le « Circuit d’Auvergne » au carrefour clermontois des Quatre-Routes. © Jean Argellier
Le « Circuit d’Auvergne » au carrefour clermontois des Quatre-Routes.
© Jean Argellie

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

Commenter

Cliquez ici pour commenter

Sponsorisé

Les infos dans votre boite

Sponsorisé