Accueil » Chroniques » de Chazerat : un nom d’hôtel et bien davantage…
L’hôtel de Mortemart, modèle de celui de Chazerat. 1945 © René Giton, dit « René-Jacques » - D.R.
Chroniques

de Chazerat : un nom d’hôtel et bien davantage…

Après l’évêché, la faculté des lettres et la direction départementale des services fiscaux, l’hôtel de Chazerat abrite, depuis 1982, la Direction régionale des Affaires culturelles (Drac). L’intendant de Chazerat, lui, a régné sur la province d’Auvergne de 1771 à 1789.
Un intendant « habile et intègre ».
Anonyme – © Musée Mandet, Riom Communauté (photo P. Denier)

Fils et petit-fils de deux premiers présidents de la cour des aides de Clermont, Charles-Antoine-Claude de Chazerat – baptisé le 20 avril 1729 dans la paroisse Saint-Genès – hérite de leur charge en 1753. Parmi ses autres titres[1] et fonctions : géographe ordinaire du roi, maître des requêtes et surtout 43e, et dernier, « intendant de justice, police et finances en la généralité de Riom et province d’Auvergne ».

Quatre, rue des Nobles (devenue Pascal), il possède, par sa mère, l’hôtel qui jouxte l’hôtel Poisson, palais de l’intendance depuis 1685 lorsque l’institution a déménagé de Riom. Victime d’un incendie le 7 juin 1759, l’hôtel de Ribeyre-Chazerat est à rebâtir. S’attèlent à la tâche les architectes Pierre Peyrat, Gilbert Fournier et Antoine Deval, chapeautés par le Rouennais de renom, Antoine-Matthieu Le Carpentier, alors en Auvergne. Sa cour ovale à pilastres[2] rappelle celle imaginée, en 1710 à Paris, par Germain Boffrand pour l’hôtel de Mortemart.

Contraint par les « idées nouvelles » de la Révolution à des années d’exil suisse (à Berne), c’est derrière la pierre de Volvic (andésite) de son hôtel que le nonagénaire Chazerat s’éteint, le 17 septembre 1824, en bon et loyal serviteur de la France dite d’« Ancien Régime ». Le cimetière des Carmes accueille son repos éternel.

L’intuition du thermalisme…

L’intendant s’efforce d’améliorer l’ordinaire du recrutement militaire en déclarant la guerre aux agents recruteurs qui enrôlent trop de jeunes gens par surprise ou violence. L’une de leurs victimes, Sébastien Groslier, de Châtel-Guyon, se plaint amèrement d’avoir signé « dans un moment où [il] était ivre à ne pas savoir ce qu’[il] faisait ».

Initiateur des Promenades de Saint-Flour, Chazerat dote Riom, capitale judiciaire de l’Auvergne, de sa Comédie et de la porte de Layat, confiée au célèbre architecte Claude-Marie Attiret. Précurseur du thermalisme auvergnat, il fait percer une route entre Clermont et Le Mont-Dore, où son projet d’édification d’un établissement thermal est stoppé par la Révolution.

L’intendant s’intéresse également aux arts en apportant son soutien au poète Jacques Delille et à la circulation des savoirs en incorporant la Société d’agriculture – qu’il avait créée en 1761 – à la Société littéraire de Clermont[3], dans laquelle il fut reçu en 1754, selon Ambroise Tardieu. Sa ville natale lui doit son premier Jardin botanique, ouvert le long de la rue Bansac en 1781, le bâtiment du Poids de Ville (la salle Gaillard) et le percement de la rue Neuve (rue du Onze-Novembre).

Baptisé le jour de sa naissance © A.D. 63

Royaliste et humaniste

Contre la pauvreté – Giacomo Ceruti, Trois mendiants (v.1736) – © Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid

Pendant que l’émissaire royal Chazerat prend, au nom de Leurs Majestés Louis XV et Louis XVI, des mesures sévères contre les récalcitrants à la corvée, l’éclairé Chazerat stimule la culture de la pomme de terre, développe les mines, soutient la quincaillerie de Tallende, les papeteries d’Ambert et de Chamalières, les faïences et textiles de Clermont ou les tanneries de Maringues. Pour lutter contre les disettes à répétition par un acheminement régulier des blés et farines, il ordonne la construction de routes (Clermont-Le Puy, Saint-Flour-Aurillac…) et de ponts, à Vieille-Brioude, Meilhaud, Riom, Davayat, Thiers…

Quant à Chazerat l’humaniste, il initie des dépôts de mendicité pour assurer aux vagabonds un minimum vital quotidien de nourriture, se préoccupe de la hausse alarmante des enfants abandonnés[4] et n’hésite pas à faire vendre aux pauvres de Clermont le pain à un cours inférieur au prix officiel, en payant lui-même la différence. De quoi s’assurer une postérité élogieuse, entretenue plus d’un siècle après sa mort par l’inspecteur divisionnaire des monuments historiques et historien Jean-Baptiste Bouillet, admiratif devant « cet administrateur habile et intègre [et] cet homme vertueux dont la mémoire sera toujours chère à l’Auvergne ».

Les intendants, rois en France

Comme leurs ancêtres les missi dominici mérovingiens, institutionnalisés par le carolingien Charlemagne en 802, puis nos préfets « bonapartistes », les intendants furent, du XVIIe siècle à leur suppression par la Constituante, le 22 décembre 1789, les courroies de transmission du pouvoir central dans les provinces. De plus en plus omnipotents tandis que le pouvoir royal devient despotique, ils ne relèvent que du Conseil du roi et imposent en tout domaine leur loi aux gouverneurs et cours des provinces, dites pourtant « souveraines » !

Souvent maîtres des requêtes, ils se retrouvent volontiers – comme Chazerat – « recyclés » en conseillers d’État au terme de leur mission, dont la durée augmente parallèlement au déclin de l’absolutisme de Louis XIV. En perpétuels déplacements sous son règne – histoire de ne pas avoir le temps de faire de l’ombre au Roi-Soleil –, les trente-trois intendants du royaume s’incrustent de plus en plus dans « leur » province au long du XVIIIe siècle.

Contre le ténia, lettre aux administrateurs de l’hôtel-Dieu (26 août 1775). Coll. A. Redon / A.-S. Simonet.

 

[1] Chevalier ; Comte de Lezoux ; vicomte d’Aubusson et Montel ; baron de Lignat, Bort et Codignac ; seigneur de Ligones, Seychalles, Mirabelle, Saint-Agoulin et autres lieux…

[2] Incluse dans le classement partiel du bâtiment aux monuments historiques, en 1979.

[3] L’Académie des sciences, belles-lettres et arts.

[4] En 1777, 920 sont à la charge de l’hôpital Général (360 dans l’établissement et 660 en nourrice).

 

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

Commenter

Cliquez ici pour commenter

Sponsorisé

Les infos dans votre boite

Sponsorisé