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Désert du Wadi Rum / Photo Mike van Schoonderwalt pour Pexels
Désert du Wadi Rum / Photo Mike van Schoonderwalt pour Pexels
Chroniques

Je m’souviens

Les avions ne sont plus au sol mais circulent moins que les virus, sans parler des conflits et autres drames humains (et écologiques) qui font flamber leur propre taux d’incidence. Les rêves de voyages sont en sommeil et leur espérance incertaine. Pas si grave. En attendant, restent les souvenirs.

Cellule ouverte

Je me souviens de la Jordanie et d’une arrivée solitaire au beau milieu d’Azraq* et de la nuit.
Incapable de trouver l’auberge indiquée dans un vieux guide ! C’était en 1992, en marge d’un voyage en Syrie.
Un routier irakien m’avait alors conduit au poste de police ou je passerai finalement la nuit, en cellule, portes ouvertes, avec trois jeunes flics tout contents de cette irruption imprévue pour tromper leur ennui.
Tout curieux de comprendre pourquoi le port du voile posait tant de problèmes en France (l’une des premières « affaires » de jeunes filles au collège). Tout excités à m’instruire de leurs traditions, tenter me convaincre de leurs valeurs (religieuses), de leur vision d’un voile protecteur de la femme.
Des échanges finalement agréables et calmes. Leur rhétorique aimable aura échoué à m’amener à leurs vues ; mes explications prudentes ne les ont pas plus convaincus.
Au petit matin, alors que le soleil n’était pas encore levé et qu’une pâle lueur à l’horizon l’annonçait, ils me guidèrent vers l’auberge introuvable. Je les laissais sur le seuil, les remerciant pour cette hospitalité inattendue mais, sans leur dire, toujours convaincu d’un voile simple transposition dans l’espace public de l’enfermement des femmes.

Hospitalité sur la mer Morte

Quelques jours plus tôt, sur la route des Rois pour aller dominer la mer Morte et visiter au passage quelques kraks**, je prenais en stop un vieil homme âgé en uniforme. Travailleur agricole, il revenait vers sa maison dans un long trajet qu’il confiait chaque jour au hasard de la route.
En remerciement, il m’invita, longuement. Pièce de réception de béton agrémentée d’un vieux poste radio à napperon et de quelques coussins poussiéreux posés sur un tapis élimé, crissant sous les pas du sable prisonnier de ses fibres.
Il fit rapidement venir le plus jeune de ses trois fils, le seul présent, pour le service avec la cuisine où j’entendais la mère de famille préparer thé et gâteaux. Très vite les quelques mots d’anglais de mon interlocuteur ne suffisaient plus et encore moins, à distance, avec sa femme qui ne parlait qu’arabe.
Une troisième voix s’invita pour traduire, claire et maîtrisée. La voix de sa fille. Il faudra du temps pour que sa femme soit invitée à s’installer, en retrait, dans la pièce. Et plusieurs heures pour qu’exceptionnellement la voix se fasse figure et sa fille nous rejoigne également. Entre-temps son père s’était assuré par ses questions d’une confrontation sans péril avec son ainée dont je sentais l’insistance curieuse à nous rejoindre.
Je ne l’avais donc pas déçu dans mes réponses, au prix de mensonges polis et calculés comme d’ellipses quant à la réalité de mon mode de vie. Il s’agissait de raconter sans choquer.
Palestinien, il m’aura, au départ et au seuil de sa maison isolée dominant la mer Morte, pointé l’autre rive et dit « Israël ».

* : Petite ville du nord de la Jordanie, entre Amman et l’Arabie Saoudite. Carrefour commercial et routier datant des nabatéens. Lawrence d’Arabie y avait installé son QG.
** : Vient de l’arabe karak : forteresse

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À propos de l'auteur

Eric Gauthey

Né avec la crise des missiles de Cuba, son enfance, ses études et ses premières années de la vie d’adulte furent nomades.
Au début des années 90, il émigre à Clermont-Ferrand pour se sédentariser. Son métier, non moins sédentaire, l’engage dans le service au public (transports publics de l’agglomération clermontoise).
Le voyage reste sa passion, pour ses vacances mais pas seulement. Cofondateur d’Il Faut Aller Voir et du RV du Carnet de Voyage, il pousse jusqu’à publier deux ouvrages : « Cher Bouthan » – 2011 et « Buna Tatu » - 2017 (sur l’Ethiopie).

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