Le paradoxe du sanglier
Voici l’affaire…
« ÉLEVEUR DE SANGLIERS DE RACE PURE (86) VEND : sangliers de chasse/sangliers à trophée ; sangliers pour entraînement de chiens ;
marcassins pour repeuplement ; spécialité de laies pleines. Livraison possible sur le territoire national. »
On n’invente rien. On voudrait bien, mais on n’invente pas. Il s’agit du département de la Vienne, mais on peut trouver l’équivalent près de chez soi.
On nous serine depuis des années qu’il y aurait invasion du territoire français par les « cochons », comme les appellent les chasseurs. Si bien que les sangliers sont déclarés « nuisibles » et qu’on leur livre une guerre sans merci. Avec la bénédiction des pouvoirs publics, les nemrods tentent d’éradiquer cette population vorace accusée de saccager les cultures. C’est que nos loulous ne font pas dans la délicatesse. Question tenue à table, ils laissent à désirer, ils piétinent, ils labourent, ils salissent, ils saccagent, faut bien le dire… Cela ne leur est pas pardonné : chaque année, plus d’un demi-million de ces malotrus sont passés par les armes.
A la guerre comme à la guerre
Mais quoi, me direz-vous, s’il y en a trop, il faut bien agir… Et moi, je vous répondrai : s’il y en a « trop », comment se fait-il qu’il y ait des quidam qui font tout pour qu’il y en ait encore davantage ? Parce que j’ai bien lu, tout de même : « marcassins pour repeuplement »… Et « spécialité de laies pleines »… Il y a là un grand mystère…
Pas tant que cela, finalement. Faute de « gros gibier » (à part quelques cervidés, plus grand-chose à se mettre sous la dent), les chasseurs sont tout contents de sortir leurs armes lourdes, façon fusils d’assaut, pour dégommer le poilu qui déboule, sa famille derrière lui, et massacrer sans façon aussi bien les gros que les petits, lancer leurs chiens dessus pour finir le boulot lorsqu’ils ne sont que blessés et se faire de beaux tableaux de chasse que l’on peut contempler sur Internet… Plus il y en aura, de sangliers, plus on en tuera : faut qu’ça saigne…
Mauvaise réputation
Sauf que, ce qu’on ne vous dira pas, c’est qu’en des temps moins fastes, les sangliers se faisaient rares. Donc les chasseurs, qui ne détestent rien tant que le chômage technique, ont opéré des croisements avec des cochons domestiques, comme ça, pour voir… Vif succès de l’opération ! Les sangliers se sont mis à proliférer. Histoire d’en remettre une couche, les chasseurs pratiquent ce que l’on appelle l’agrainage. Et aujourd’hui, ils peuvent se livrer quasiment toute l’année à leur loisir favori, en récoltant les honneurs par-dessus le marché car, depuis que les sangliers sont devenus la bête noire des agriculteurs, des automobilistes, et en général l’ennemi public numéro un, ceux qui en font des brosses à cheveux sont considérés comme des sauveurs !
C’est injuste et cruel, car les sangliers ce ne sont pas que des bêtes sauvages affamées, des destructeurs façon Attila (et quand bien même…). Tous ceux qui ont eu l’occasion d’élever un marcassin orphelin vous le diront : ces animaux-là sont surprenants, ils se comportent comme des chiens, affectueux, sociables, pot-de-colle même, ils répondent à leur nom, en un mot ils présentent toutes les caractéristiques d’animaux intelligents, sensibles, émotifs (cela dit, ils le sont tous…).
Mais que les sangliers se rassurent : bientôt, ils ne seront plus seuls à se faire embaucher comme trophées de chasse. Au train où vont les choses, les loups leur feront concurrence, et peut-être même aussi les ours !
Commenter