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36 avenue Julien, des pieux de bois « foncés », une technique comparable à celle de la cathédrale de Strasbourg, annoncent l’immeuble Chabert... Coll. Jean-Paul Lanquette
Chroniques

Marius Lanquette et son « instinct » de la (co)propriété

Depuis que la Constitution de 1791 l’a considérée comme « un droit inviolable et sacré », la propriété fait travailler idéologues, argent et corps de métiers.

 À son sujet, l’architecte Marius Lanquette (1895-1952) conjugue une hauteur de vue et d’immeubles certaine : « Posséder sa maison, c’est plus qu’un désir chez l’homme, c’est un instinct. […] Les oiseaux, eux, sont tous propriétaires. Quelques-uns s’introduisent bien dans les nids des autres ; ce sont des voleurs et non des locataires. Il y a plusieurs types de constructions. […] Mais de même que les recherches zoologiques les plus poussées n’ont jamais permis de découvrir que trois sortes de poissons, les petits, les moyens et les gros, de même ne peut-on construire que des immeubles grands, moyens ou petits. »… Et de féliciter les Américains qui « ont compris depuis longtemps que la construction en commun est moins coûteuse en haut qu’en large ». Pour loger le Clermont des années 1920, qui grandit aussi vite que Michelin, il décide donc d’importer à Clermont la méthode dite « de Grenoble ».

« [C]ivilité » à tous les étages    

Une copropriété cossue et amicale selon les principes de construction participatifs de M. Lanquette.
Coll. Jean-Paul Lanquette

Le principe en est simple, sa maîtrise plus compliquée. En amont, l’architecte réalise des plans très détaillés et réunit une équipe de futurs propriétaires « ayant par leur profession, leur mentalité, une conception de la civilité telle que [leurs] rapports deviennent très vite amicaux ». Puis, en chef d’équipe des acquéreurs (d’un ou plusieurs appartements), il détermine un nombre de tantièmes correspondant à autant de marchés de travaux qu’il y a de copropriétaires et d’entreprises impliqués. À chacun de payer mensuellement sa quote-part aux artisans et d’aménager son chez soi à sa guise.

Faisant abstraction de l’énorme travail de gestion induit par cette organisation, Marius Lanquette préfère, sous forme de lapalissade, en souligner le grand mérite qui « réside dans le fait qu’un toit ou un terrain coûte le même prix pour abriter dix appartements qu’un seul ». Prolongement logique de son raisonnement : « ascenseurs, chambres de domestiques claires, confortables et chauffées, garages eux aussi chauffés, téléphone général, tapis, escaliers de service, minuteries, sécurité spéciale contre l’incendie ou concierge deviennent possibles par la division de leur prix. »

Marius Lanquette et sa fille Jeanine- collection J.P.Lanquette.

Une administration cool ! 

Entre les deux guerres, nécessité de bâtir et volonté de construire beau – avec corbeaux, ferronneries d’art ou cannelures – font loi. Pas de paperasserie redondante et démotivante. Juste l’essentiel. Ainsi, le 30 octobre 1930, Marius Lanquette expédie à la Ville de Clermont-Ferrand une « pétition », accompagnée de plans et coupes suggestifs, afin d’obtenir l’autorisation de « construire un immeuble au bord de l’avenue Julien ». Quelques semaines plus tard, la réponse positive lui revient, « sous la condition expresse qu’il sera installé un robinet d’eau potable chez chaque locataire ». La seule réglementation alors officiellement incontournable est celle en vigueur à Paris et applicable à Clermont depuis le 3 décembre 1902. Elle stipule que « la hauteur des bâtiments bordant les voies publiques, mesurée sur le milieu de la façade à partir du pavé ou au-dessus du trottoir, est déterminée par la largeur légale de ces voies », d’où la présence très fréquente d’étages en décrochement de façade. Oui, mais qu’advient-il quand un immeuble donne sur deux rues de largeur différente ? L’autorité publique se contente de rappeler au respect de la loi sur les deux artères. À l’architecte de cogiter subtilement !

Du centre-ville aux boulevards Cote-Blatin et Lafayette, le père clermontois de la copropriété élève moult immeubles, notamment ceux connus sous les noms de Chabert et Fourton, 36 et 42 avenue Julien. Bâtis autour de 1930, ils inscrivent la capitale auvergnate dans l’Art déco, reconnaissable à ses volumes géométriques, son décor épuré et ses contrastes entre les aplats d’enduits clairs et les éléments décoratifs*.

En ces années pas si folles, sociétés civiles immobilières opportunistes et promoteurs morfals restaient à inventer… 

Merci à…

Jean-Paul Lanquette, petit-fils de Marius, qui fut président de l’Ordre régional des architectes (1998 à 2006) et de la Cellule économique régionale de la Construction (CERC) d’Auvergne.

* Parmi d’autres adresses Art déco : 11-11bis boulevard Duclaux et 33 rue Montlosier (architecte Ernest Pincot) ; la Polyclinique de Jean Amadon ; la faculté, 34 avenue Carnot, signée Marcel Depailler ; la maison-magasin, 9 rue de Maringues, due à Valéry Bernard et Henri Pouzadoux…

 

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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