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Dans le métro de Shangaï, « [v]euillez ne pas cracher n’importe où » ; choisissez juste le bon endroit ! / Photo Jakub Hałun
Dans le métro de Shangaï, « [v]euillez ne pas cracher n’importe où » ; choisissez juste le bon endroit ! / Photo Jakub Hałun
Histoire

Des usages de la bienséance…

Les codes de bonne conduite en société découlent d’habitudes culturelles, lesquelles résultent de facteurs géographiques, climatiques, historiques, politiques ou religieux. Ainsi, en Chine, cracher un peu partout est normal tandis que finir son assiette signifie que le convive n’est pas rassasié.

En France, des siècles durant et jusque dans les années 1950, chaque glotte de la « bonne société » devait impérativement étouffer d’impromptus fous rires tapageurs derrière le voile pudique d’un gloussement de meilleur aloi. Mieux ou pire encore, aux temps féodaux qui – est-ce un hasard ? – furent aussi ceux de la théocratie catholique triomphante, les monastères imprégnés de l’atmosphère du film Au nom de la rose considéraient le rire comme une intrusion satanique des parties viles du corps dans les hautes sphères réfléchissantes. Pour preuve irréfutable que seul le diable était capable de pousser l’outrecuidance jusqu’à s’esclaffer en l’homme, dans le Nouveau Testament Jésus ne rit pas une seule fois…

Le rire du philosophe Démocrite, souvent jugé fou par les Grecs /Photo Johannes Moreelse (v. 1630) – Centraal Museum, Utecht

Rire sain et eau malsaine

La Galerie des Glaces et ses courtisans, à la fin du XVII e siècle.
© Dessin de Sébastien Le Clerc - RMN-GP (château de Versailles) - Gérard Blot
La Galerie des Glaces et ses courtisans, à la fin du XVII e siècle. © Dessin de Sébastien Le Clerc – RMN-GP (château de Versailles) – Gérard Blot

Pourtant, le paradis sur Terre ne pourrait-il pas ressembler à la formule écrite en 1534 par Rabelais dans l’« avis aux lecteurs » de Gargantua : « [R]ire est le propre de l’homme » ? Loin de se cantonner à des démonstrations grandiloquentes, le rire rabelaisien se veut pédagogique, émancipateur et source d’épanouissement intellectuel raisonné.
Autres temps, autres codes… Dans le Versailles du Grand Siècle, grouillant de quelque 7 000 personnes et ouvert au peuple, parmi les ors, les fêtes, les intrigues et sarcasmes courtisans, l’usage intensif de parfums aux fortes senteurs de civette ou de musc faisait notamment écho aux recommandations des médecins, persuadés de la dangerosité de l’eau, susceptible de transmettre des maladies. Néanmoins, une chaise de commodité équipait chaque logement du château et Sa Majesté bénéficiait d’un appartement de bains même si, lors du grand lever, ses commissions se déroulaient en public, sous les regards aussi flattés qu’inquisiteurs des gentilshommes à brevet d’affaire et de son porte-chaise d’affaires 1 * . À ce scatologique propos…

« Comment allez-vous ? »

Comme rien n’est supposé plus important que notre santé physiologique, au siècle du Roi-Soleil, poser cette question témoignait de l’intérêt certain de « l’interviewer » pour le métrage et la consistance des déjections matinales de son interlocuteur. ― « Monsieur le marquis, quelles sont les nouvelles du jour ? Flasques, dures, spontanées, capricieuses, moulées délicatement ou en douloureuses saccades ? »
Eh oui ! À l’époque des médecins malgré eux de Molière, un examen clinique oral s’avérait nettement moins risqué qu’une docte saignée.
Et la France de l’aube de l’an de grâce 2023, agitée de colères trop sourdes pour ne pas être préoccupantes et de réformes dites indispensables loin de soulever l’enthousiasme général, « comment va-t-elle » ? Mollement, sans aucun doute. Moralité : en cas de débâcle(s), l’essentiel est de ne pas trop s’emmerder…

1*Sa mission, transmise à son fils, consistait à dissimuler les besoins naturels de Louis XIV.

Moral en berne… / photo
M. Ungar

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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