Elle serait scandaleuse, disqualifiée, bannie, vouée aux gémonies, aux flammes de l’enfer. Pensez-vous, Françoise Sagan, la femme libre, iconoclaste, sincère, anti-sociale, dans une époque pudibonde, castratrice, coincée, au discours unique- un monologue- et à la langue policée. Inconcevable, inimaginable. Elle serait bâillonnée depuis longtemps, silencieuse, interdite. Elle qui brûlait la vie pour mieux s’en délecter ou peut-être fuir une indicible mélancolie. Tout le contraire de ce qu’il est aujourd’hui conseillé de faire, à longueur de messages et de slogans, de préceptes et de leçons uniformes.
Sans l’ombre d’un doute
Si l’on boit aujourd’hui, c’est pour ajouter aussitôt, et sans l’ombre d’un doute, «avec modération ». Et si l’on prend un verre, c’est pour s’entendre dire « deux, bonjour les dégâts ». Comme si toute responsabilité individuelle, tout jugement, toute libre arbitre, toute réflexion personnelle, toute capacité à l’auto-discipline avait quitté définitivement l’être humain, portant matricules, noms de code et mots de passe , si occupé à cliquer ou twitter, à se connecter ou faire des copier-coller qu’il n’en posséderait plus une bribe de conscience ou de réflexions. Incapable de philosopher, d’arbitrer et de fixer « sa » limite. Dès lors, les censeurs, les bien-pensants et la haute administration sont en piste pour édicter LA règle.
Les grands prédicateurs
Comme Brigitte Bardot « sur la plage ensoleillée », Françoise Sagan était le symbole féminin d’une époque où l’on revendiquait d’abord le plaisir, l’audace et la liberté. Pas seulement une liberté économique, la possibilité de dire, de faire, de choisir, de choquer, le cas échéant. Sagan fonçait dans la vie, sans peur de transgresser, comme elle appuyait sur le champignon dans sa décapotable qui filait vers Saint-Tropez. N’écrivait-elle pas dans l’un de ses ouvrages : « Qui n’a jamais aimé la vitesse, n’a jamais aimé la vie ou alors, peut-être, n’a jamais aimé personne (…) La vitesse n’est ni un signe, ni une preuve, ni un défi mais un élan de bonheur… » Aujourd’hui, qui sait si ces mots ne tomberaient pas sous l’effet de la loi, agitée par les grands prédicateurs de la sécurité routière, sous couvert de statistiques, comme on efface, sur les photos, les cigarettes des lèvres des fumeurs quitte à réécrire l’histoire … Georges Pompidou, qui roulait allègrement dans une Porsche 356 et fumait des anglaises à tire-larigot, avait eu cette phrase de bon sens à propos des moralistes et des empêcheurs de tourner en rond : « Il faut arrêter d’emmerder les Français ». Edouard Philippe, alors, n’était pas né…
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