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Illustration Zaïtchick.
Chroniques

Le courage de la parole

OKAYClick to Tweet« Depuis quelques jours, l’homme que je suis a l’impression d’être un étranger dans son propre pays, de découvrir des mœurs dont il ignorait tout… Tant de femmes sont-elles victimes de tant de prédateurs ? Je ne mets en doute aucun témoignage mais, si je me souviens bien, Freud a commencé à élaborer sa théorie psychanalytique en découvrant combien de jeunes filles de Vienne affirmaient avoir été violées par leur père ? Y a t-il un lien avec le débat actuel ? »

Ce confinement des hommes et des femmes dans un rôle prescrit, accentue leur séparation. Dès la petite enfance et tout au long de l’adolescence, la représentation symbolique de cette division conforte un machisme qui s’impose aussi bien aux jeunes garçons qu’aux petites filles.

Avec #BalanceTonPorc, une déferlante de dénonciations anonymes a donné la sensation d’un comportement qui pourrait paraître majoritaire. Mais certains aspects fantasmatiques de cette initiative, qui ne peut écarter les dérives, ne vous ont pas échappé. Les singularités sont gommées ce qui, là aussi, génère un malaise.

Nombre d’hommes ne se retrouvent pas dans la métaphore animale. Ils partagent les paroles, les valeurs des femmes. Ils se reconnaissent des droits identiques. Mais d’autres, abusent de leur pouvoir, social ou familial, imposent leur volonté de jouissance sans se soucier, le moins du monde, du consentement de la personne qui devient pur objet de leur fantasme.

DE LA HONTE À LA PAROLE

Aujourd’hui, de nombreuses femmes qui ont subi ces abus, trouvent la force de parler. Elles s’étaient tues car la honte, les sentiments de déshonneur, la peur, la perte d’un avant aussi, inhibent et rendent la prise de parole extrêmement difficile. D’autres avaient effacé de leur mémoire les instants tragiques qu’elles avaient vécues… L’anonymat des réseaux sociaux leur donne le courage d’affronter leur douleur. Elles sont soutenues dans leur démarche par d’autres femmes (et par d’autres hommes). Elles essayent de trouver les mots pour dire l’indicible, pour énoncer une souffrance trop longtemps contenue. L’atteinte portée à leur identité profonde les en avait, jusque-là, empêché.

Et, « il faut bien que quelqu’un fasse le premier pas, si l’on doit s’en sortir »*. Alors, afin que « les choses » bougent, du point de vue de la cité, de la loi, il est nécessaire de sortir du mimétisme, de la parole majoritaire, pour témoigner, parler en son propre nom. Cela nécessite du courage. « Il n’y a pas de cité valide sans souci de soi. Pas d’intérêt public sans implication ni convocation du moi. »**

Etre victime de telles agressions ne réduit pas systématiquement une personne au statut de victime d’un point de vue psychopathologique. Si des symptômes, des inhibitions apparaissent et perdurent, ils se traitent et s’apaisent par la parole.

Les aider à trouver leur voix et leur voie, c’est à dire le chemin vers celui qui peut entendre, est aujourd’hui, plus que jamais, une nécessité pour notre civilisation.

 

* Vladimir Jankélévitch, Le sérieux de l’intention.

** Cynthia Fleury, La fin du courage

À propos de l'auteur

Karine Mioche

Elle exerce  la psychologie clinique en cabinet libéral, à Clermont-Ferrand et en centre thérapeutique. Au sein de son cabinet , situé en centre-ville, elle est associée à trois médecins. Elle y accueille des adultes, des adolescents et des enfants. Par ailleurs, elle écrit, effectue des recherches et réalise des expertises.

16 Commentaires

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  • Belle chronique de Karine Mioche. Brièveté et clarté, pas de langue de bois et de la rigueur dans les propos. Bravo pour l’illustration qui fait référence à « Elvire, Jouvet 40 » Pièce de Brigitte Jaques-Wajeman -1987. Félicitations à Karine Mioche.

  • Dans une société de l’image, la théâtralité des évènements récents permets de mettre en lumières les drames de certain.e.s et les fantasmes d’autres.
    Ce fonctionnement ouvre la possibilité d’un jugement populaire, les sorcier.ere.s sont pointé.e.s du doigt ; le bûcher est allumé sur la place publique. Mais qui brûlera dessus ?

    • Je proposerais bien les partisans de l’écriture inclusive…
      Plus sérieusement, n’y a-t-il pas aussi un enjeu de pouvoir ? Certains hommes abusent des femmes parce que leur statut leur permet de se comporter ainsi (richesse, respectabilité, influence, relations) mais des femmes, dans leurs positions peuvent elles aussi se comporter de la même manière…
      Est-ce qu’au-delà du contexte « machiste », n’y a-t-il pas surtout le sentiment chez les puissants – ou puissantes – qu’on peut tout se permettre à partir du moment où on a le pouvoir (que donne l’argent)… Et ce dans un contexte de reniement des valeurs démocratiques (et égalitaires) prônées par notre démocratie au profit du cynisme, de l’individualisme et de l’égoïsme exaltés par la société de consommation ? (Avoir plutôt qu’être – et avoir même les êtres.)

  • Encore une fois les excès de quelques uns rejette la faute sur tous.
    Il est bon que soit condamné les agresseurs et que la peur change de camps. Il est juste regrettable à mes yeux qu’on ait attendu si longtemps et que cela sorte comme un tsunami par lui même excessif hélas par le nombre et « agressif » à tous les hommes.

  • Quand un problème, majeur ou pas, s’empare de notre société, il semble effectivement, que nous sommes parfois submergés par son ampleur. L’incompréhension et même l’angoisse peuvent prendre le dessus, ou, éventuellement, créer l’indifférence.
    J’apprécie la mise en lumière de l’article des différentes facettes des relations hommes-femmes de l’actuel sujet douloureux.
    A mon avis, effectivement, « l’ensemble » garçons-filles dès l’enfance est très important, sans pour cela estomper leurs différences; ceci réduisant les pulsions dominatrices de l’un sur l’autre, procurant aux adultes une assurance de mieux se rencontrer, et être mieux armés pour réduire le nombre épouvantable des abus, qui se font jour actuellement.

    Par contre, comment protéger les enfants?

    • Votre question de la protection des enfants ouvre un autre sujet absolument fondamental et qui pourrait faire l’objet d’une prochaine chronique.
      Merci de vos commentaires.
      KM

  • Vivifiant petit texte qui se démarque heureusement du discours convenu lu et entendu dans la presse, Unanimisme (vertueux ? Peut-être, en tous cas quelque peu suspect) tout prêt à laisser l’indignation sombrer dans l’oubli –ou plus justement dans une forme d’amnésie collective, dès le prochain scoop médiatique.
    En soulignant, comme en filigrane, les incertitudes et les ambiguïtés de ces prises de parole collective, KM entre-ouvre des pistes de réflexion, nécessaire pour dégager un espace de liberté partagé, rejetant à la fois prédation et indifférence.

    • Merci pour votre commentaire. Vous soulignez quelque chose qui m’est précieux. Les incertitudes, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ouvrent. KM

  • Cet article évoque précisément ce que je ressentais confusément, sans parvenir à l’exprimer… Merci pour cette analyse si claire ! Ces propos font un bien fou…

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