Réputé spécialiste rock, Bruno Juffin fait ses humanités comme tout le monde. Enfant, c’est Pierre et le loup de Prokofiev et La ballade de Davy Crockett de Walt Disney qui le fascinent. En 1967, il voit les Kinks en concert au Casino de Royat, découvre le hit-parade de Gérard Klein sur France Inter et achète Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles qu’il s’inflige en boucle pendant un an. En 1969, vient l’entrée en fac. Par l’intermédiaire d’un copain, il tombe inévitablement dans la presse rock. « Je découvrais le monde en lisant Rock&Folk. »
Éveil électrique
En 1970, il va voir le MC5 au Marquee à Londres. Ça joue fort, c’est agressif, le public est tétanisé. « Ils m’ont foutu une frousse terrible. Quand je suis devenu prof d’anglais, je me suis contenté d’enseigner des chansons sagement contestataires comme “Strange Fruit” de Billie Holiday. Si j’avais pris “Kick Out The Jams” du MC5, ça aurait fait désordre ! » Quelques mois après ce fameux concert du MC5, Bruno achète Get Yer Ya-Ya’s Out des Rolling Stones. C’est la révélation ! « Les Beatles, c’était la musique de tout le monde, les Stones, c’était libidineux, délinquant, dangereux. » En mai 72, il prend les Flamin’ Groovies en pleine face avec leur version thermonucléaire de Jumpin’ Jack Flash au festival de Bickershaw en Angleterre. Une secousse sismique qui le prépare à la déflagration punk à venir. Bruno est alors fan des New York Dolls, de Television et du Velvet Underground comprenant le guitariste John Cale avec qui il partage une singularité physique étonnante, un visage anguleux taillé à la serpette et une coupe de cheveux façon Stones 66 et toujours élégamment sapé, so british.
Rock in Clermont
Le premier groupe de Clermont que Bruno voit, c’est Bateau Ivre, au Casino de Royat, en septembre 72. Dans les années 80, il se prend de passion pour les Nobodys et Nuit Blanche, futur Folamour. « A Clermont, si tu voulais du hi-energy, tu avais les Real Cool Killers, si tu voulais de la soul, c’était Fafafa et de l’underground, c’était Folamour. Pour le roots, il fallait se tourner vers les groupes de Joël Rivet, les Guêpes ou les Pale Riders. Ce qui suffisait à mon bonheur. » Fidèle à la scène clermontoise sans négliger sa passion outrancière pour les Stones, il suit de près Karma Antica, Jack et les Éventreurs ou les Luvly Suckers de Chris Chester, « le Keith Richards clermontois. » Chris Chester qui justement accompagne Bruno en compagnie d’autres musiciens à l’occasion de cette dédicace à la librairie des Volcans. Dans les années 2000, Bruno déclare sa flamme à Mustang. « Je les ai vus pour la première fois à l’Escapade place de la Liberté, en juin 2007. Le chanteur avait la gueule d’Elvis, ils reprenaient Hank Williams, Johnny Cash, Roy Orbison, le Velvet et Suicide, c’était sidérant ! » Il s’éprend également d’autres artistes locaux comme La Position du Tireur Couché, les Plastic Gangsters, Porn Electric Zombies, Saint-Augustine, Zak ou encore les Wendy Darlings, ces derniers étant toujours en activité.
Shoot électrique
Bruno se nourrit énormément de concerts, à Balthazar à Thiers, au Chris Club, au Club 3000, à la Maison du Peuple. « J’ai des souvenirs plus marquants de la Maison du Peuple que de la Coopérative de Mai, finalement. Le son était moins bon, mais le rock était rebelle, exubérant, excitant. On savait pourquoi on allait voir les Fleshtones, Dr Feelgood ou Johnny Thunders, c’était pour prendre un bon gros shoot électrique. C’était une époque où j’étais encore militant et où le rock était encore un truc de conspirateurs. » Il fait de la radio durant quelques mois en 1982 sur FM 63, station installée à Aubière. Il diffuse les Cramps, Dwight Twilley, les Panther Burns, tous les groupes évoqués par Philippe Garnier dans Libé. « J’ai toujours été un maniaque de la presse rock. Dès 1972 je me suis abonné à Creem, la bible rock’n’roll de Detroit. Comme un guitariste peut être marqué par Chuck Berry, j’ai été marqué par Lester Bangs, que j’arrive encore à imiter, mais en anglais uniquement. J’ai commencé à écrire quand Spliff a lancé le fanzine VU à la fin des années 80, puis un jour j’ai vu une petite annonce qui disait qu’un certain Alain Delacroix voulait créer un fanzine consacré au Velvet. J’ai téléphoné et on est allés interviewer Moe Tucker et Sterling Morrison à Paris. J’étais aux anges. » Puis, en 92, c’est l’aventure Rock Sound qui débute à Clermont, un magazine « entre Best et les Inrocks. » Quand la ligne éditoriale change, Bruno ne s’y reconnaît plus. Il arrête de collaborer fin 94 pour proposer des chroniques aux Inrocks. Le début d’une nouvelle histoire qui le conduit tout doucement à écrire des livres faisant aujourd’hui référence. Son dernier ouvrage consacré à 50 concerts du « plus grand groupe de rock’n’roll du monde » à travers les âges bénéficie d’une présentation très soignée. Grand format, couverture cartonnée, photos magnifiques, blu-ray du film Shine a Light de Martin Scorsese embarqué, le tout sous la plume acérée et érudite de Bruno Juffin avec une préface de Michka Assayas. Notre petit doigt nous dit que Noël approche…
Rencontre- showcase avec Bruno Juffin, samedi 30 novembre à 16h30 à la Librairie Les Volcans.
Commenter