L’après-midi est tiède et somnolente lorsque les coureurs s’élancent depuis Le Réveil-Matin, un estaminet de Montgeron en banlieue parisienne. Quelques timides nuages courent dans un ciel bleu délavé en ce premier jour de juillet 1903. Le XXe siècle se lève et le Tour de France ouvre son histoire.
Le premier Tour ? Une course folle, improbable, contre-nature : 2428 kilomètres à parcourir sur de lourds et fragiles vélocipèdes, à lutter contre le vent, sous la pluie ou dans la canicule, en pleine nuit ou sous un soleil de plomb, et toujours sur des chemins escarpés, recouverts de poussière et de bosses, jonchés de cailloux. Il faut être inconscient pour tenter l’aventure et admirable pour la mener à son terme. Maurice Garin, fier coursier portant légitimement le numéro un est le premier vainqueur de cette épreuve infernale. Surnommé « Le petit ramoneur », ce natif de la vallée d’Aoste en Italie, naturalisé Français, l’emporte à 25,579 km/h de moyenne, sur un engin dépassant les 16 kilos… Le Tour de France a pris son envol et seules les guerres, désormais, auront raison de sa superbe.
Au plus près du public
Le Tour n’est pas seulement une compétition sportive, c’est une sublimation bucolique de la France, de ses paysages, ses traditions, ses clochers, ses parfums, ses couleurs, dans la splendeur évanescente de l’été. Lorsque le peloton passe, précédé de la sempiternelle caravane, les villages se pâment, les cloches sonnent, les troupeaux de vaches s’interrogent : tout le pays est sur le trottoir dans un même élan d’enthousiasme juvénile et sans chauvinisme excessif. Ni hautain, ni capricieux, le Tour de France vient à la rencontre de son public, se déploie devant le pas des portes. Il appartient dès lors un peu à chacun de nous. « Le Tour de France constitue une fabuleuse fête populaire et itinérante, un long drame qui s’accomplit au regard de tous » résumait Pierre Chany, le seul journaliste à avoir suivi cinquante éditions.
Le plus beau des décors pour le Tour de France
Recueil épique, la grande épreuve représente aussi un formidable livre de géographie : Tourmalet, Izoard, Galibier, Restefonds, Ventoux , Aubisque : combien de Français ont-ils appris les tours et détours, les coins et recoins de leur pays en suivant les péripéties de « La Grande Boucle ». Au début du siècle dernier à travers les journaux, porteurs quotidiens de nouvelles et vecteurs irremplaçables d’imaginaire ; puis l’oreille collée à leur transistor. Enfin par l’intermédiaire de la télévision et des premières retransmissions de l’Eurovision. Le Tour sillonne ainsi les plaines, battues par les vents, il longe les côtes découpées ou les plages de sable à perte de vue, se heurte aux montagnes recouvertes de lourds nuages, saute de vallée en vallée, traverse les régions et parfois franchit les frontières. Chaque nuit, il s’endort fourbu et rêve de prochains exploits. Chaque matin, il se lève d’un pied léger, prêt à dévorer de nouveaux espaces. C’est ainsi, qu’inlassablement, il écrit son histoire depuis cent vingt ans.
Images du passé
Nul autre sport mieux que le cyclisme ne s’empare et ne s’inspire de son passé. Nulle autre épreuve que le Tour ne sait aussi bien respecter ceux qui l’ont animé à la sueur de leurs fronts, au fur et à mesure de leurs efforts, leurs souffrances, leurs exploits. Tous les héros du Tour n’occupent pas la même place dans sa longue et prestigieuse histoire. Il y a ceux qui s’accrochent, subissent à l’ombre de la gloire, et ceux qui triomphent ; les anonymes, engloutis par le tumulte du peloton ou écrasés par l’impitoyabilité de la montagne, et ceux qui s’envolent vers les sommets tels des voltigeurs. Les porteurs d’eau et les chefs de file. Les « gregarii » et les « fuoriclasse ». Les besogneux et les « aristocrates ». Mais tous, à leur façon, ont écrit au moins un mot, une virgule ou une parenthèse de son incomparable légende. Le Tour sait aussi être cruel : il engloutit les illusions et brise parfois les destins. L’image de Tom Simpson titubant entre les lacets surchauffés du Mont Ventoux avant de s’effondrer sur ses pentes lunaires, hante encore les esprits des plus anciens. Les suiveurs n’ont pas oublié la chute fatale de l’Italien Fabio Casartelli dans un lacet du Portet-d’Aspet ou celle, dramatique, du Français Roger Rivière, fauché en pleine jeunesse, en descendant l’anodin col de Perjuret, au beau milieu des Cévennes.
Héros in
Au Panthéon des coureurs, les cracks d’hier côtoient ceux d’aujourd’hui. Coppi, l’élégant au visage émacié ; Anquetil, l’impassible rouleur ; Merckx, l’ogre insatiable ; Hinault, le Breton volontaire, et Indurain, le tranquille et puissant Navarrais se sont pour toujours échappés du commun des sportifs. Ils ont inscrit cinq fois leur nom au palmarès, imposant leur loi à des générations de coureurs.
Les champions contemporains roulent dans le sillage de cette illustre lignée. A l’image d’un lutin slovène, espiègle et vorace, enfant prodige du cyclisme moderne, en rupture avec les stéréotypes, qui affole, à son tour, les compteurs. Et si Pogacar, auteur d’un début de saison en fanfare mais retardé par une méchante chute sur Liège-Bastogne-Liège, rejoignait ses ainés les plus titrés ? Pour l’heure, il lui faudra déjouer les pièges le long de 3404 kilomètres, entre Bilbao et les Champs-Elysées et affronter un Danois dont les performances ne manquent pas d’être « étonnantes ». Ça n’est pas une mince affaire qui l’attend.
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