Philippe Bourdin, professeur d’histoire moderne à l’Université Clermont Auvergne est membre de l’Institut universitaire de France et spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Révolution française et de l’Empire. Il a écrit ou dirigé une quarantaine d’ouvrages, parmi lesquels Aux origines du théâtre patriotique (CNRS Éditions, 2017). Sa dernière parution La Comédie de Clermont-Ferrand, deux siècles de théâtre en province, de Louis XV à la troisième république est un ouvrage très documenté de 384 pages et 300 illustrations sur le théâtre à Clermont entre le milieu du XVIIe et la fin du XIXe siècle.
O.P : Aujourd’hui La Comédie est installée dans son lieu identitaire. Le théâtre clermontois a-t-il enfin trouvé sa stabilité géographique dans la ville ?
P.B : Il faut constater qu’il a fallu plus de deux décennies pour que le projet aboutisse avec beaucoup d’errements à l’intérieur de la cité. Si je le souligne c’est parce que finalement c’est une constante. Depuis le début d’un théâtre en dur à Clermont, il y a eu ces hésitations, sur la forme, sur le lieu dans la ville. C’est intéressant de constater ces errements qui ne sont pas spécifiques à Clermont. Les hésitations ont été constatés dans beaucoup de ville en France à la même époque.
O.P. Le financement des lieux a également été un problème ?
P.B : Oui c’est la deuxième remarque que je fais. Ces théâtres ont eu du mal à être construits par les seules finances municipales. Dans les différentes salles de Clermont, il a fallu régulièrement que l’Etat apporte sa caution et son aide financière.
O.P. Les différentes municipalités clermontoises étaient frileuses sur le plan financier ?
P.B : Si les délais et les manières de faire à Clermont ressemblent beaucoup à celles des autres territoires, les municipalités dans le temps, ont moins investi que des municipalités de taille comparable et de manière assez forte. Au XIXe siècle c’est au maximum 0,24% du budget municipal qui est consacré au théâtre alors que dans des villes de taille comparable, c’est au minimum 2%. Certains Conseils municipaux étaient très divisés sur l’intérêt de la présence du théâtre et il y a toujours eu une minorité ou une majorité catholique, selon les époques, très agissante, inquiète des mœurs qui étaient répandues par l’intermédiaire de la scène clermontoise.
O.P : La première salle est donc située rue Thomas, avec une forme typique de l’époque.
P.B : Le premier théâtre qui est construit est rectangulaire. Il fait 10m de large et presque 40m de long. C’est une salle étroite avec une petite scène, flanquée des coulisses pour les comédiens et avec deux rangs de loges. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a danger en particulier d’incendie. Au XVIIIe et XIXe siècle, le feu est un des risques majeurs des salles publiques. (voir reconstitution en 3D par le Wakan Théâtre au bas de cet article)
O.P : De fait cette salle était condamnée d’avance.
P.B : Quand arrive la révolution, en 1792, la municipalité de Clermont se pose la question de construire une nouvelle salle. Il y a un statu sur la destruction de la première et on s’interroge sur le lieu de construction de la seconde. Faut-il profiter du rachat des biens religieux en biens nationaux, pour reconstruire le théâtre dans une église comme cela a pu sa faire dans d’autres endroits de France, y compris à Paris. Finalement après tergiversations, la décision de construction ne sera prise qu’en 1799 et ne va aboutir que sous le Premier Empire. Le second théâtre de Clermont sera construit sur la place dite Place devant Clermont, l’actuelle place de la Victoire. On empiète à l’époque sur cette petite place et sur le jardin de l’Évêché qui viennent d’être rachetés comme bien national.
O.P : L’histoire de cette nouvelle salle n’a pas été un long fleuve tranquille
P.B : Cette salle est inaugurée avant même d’être terminée, en 1807. Les travaux ont duré d’autant plus longtemps que les plans initiaux de l’architecte municipal Deval, n’ont cessé d’être revus, de part sa volonté mais aussi de celle de ses successeurs. On a cessé d’ajouter des étages. Il y aura trois étages de loges cette fois. On s’est interrogé sur l’aspect extérieur de la salle, sur la construction d’un foyer et de loges pour les artistes, puis d’un foyer pour les spectateurs et j’en passe… La salle est plus grande que la première, elle peut compter jusqu’à 600 spectateurs, le double de la précédente. Petit à petit on va additionner d’autres bâtiments, notamment un château d’eau pour améliorer le confort. Les spectateurs en connaîtront la présence et l’usage jusqu’à ce que la salle soit détruite car durant les spectacles on entendait les clapotis du réservoir.
O.P : C’est dans cette salle que le théâtre est passé de la bougie à l’éclairage ?
P.B : Oui. cette salle va connaître énormément d’aménagements d’une période à l’autre. Sous la Monarchie de juillet on va passer de l’éclairage à la bougie à l’huile puis au gaz. Cela va changer de beaucoup le confort des spectateurs qui voient « une autre salle et un autre spectacle ». De fait la question de l’éclairage et aussi de l’acoustique qui n’est pas traité à Clermont, change la manière de jouer des artistes. Au XVIIIe, ils sont dans la pénombre et composent avec une mauvaise acoustique. L’essentiel du jeu se passe sur le devant de la scène avec une gestuelle très accentuée, c’est ce que l’on nomme la gestuelle baroque, elle est très codifiée. A chaque geste, un sentiment.
O.P : Cette évolution va donc impacter la mise en scène ?
P.B : Oui, avec l’amélioration de l’éclairage on peut jouer profondeur mais il faut toujours parler très fort quand on est comédien de province. Cela n’est pas sans conséquence sur la carrière des artistes qui se présentent à la Comédie Française où l’acoustique est bonne. Ils « gueulent » et leur admission est loin d’être acquise. On ne les laisse pas jouer les cinq soirs qu’ils sont censés faire pour être admis. Ils partent au bout de la seconde ou de la troisième représentation.
O.P : Et donc le théâtre finit par descendre boulevard Desaix ?
P.B : Et non… malgré les réparations régulières qui en change d’ailleurs le style, la salle est jugée dangereuse car les « rustines » n’assurent pas la sécurité. En 1883, la municipalité décide de la construction d’une nouvelle salle et envisage de quitter l’emplacement privilégié autour de la Cathédrale pour redescendre vers la place de Jaude. Cela crée débat, car la place est utilisée pour les foires et les marchés. Finalement un compromis est trouvé avec une salle provisoire, en bois avec une jauge importante jusqu’à 1000 personnes et un confort très relatif qui va encore nécessiter des travaux réguliers pour améliorer le chauffage qui ne sera jamais efficace à cause des courants d’air. Cette salle va être gérée par des entrepreneurs privés, le chef de troupe Desplat en association avec les frères Veyre. Située place Chapelle de Jaude, actuelle place de la Résistance, elle va fonctionner jusqu’en 1890, date de l’inauguration de l’Opéra municipal que l’on connaît encore aujourd’hui.
La Comédie de Clermont-Ferrand, deux siècles de théâtre en province, de Louis XV à la troisième république
par Philippe Bourdin, aux Presses Universitaires Blaise-Pascal, hors collection.
584 pages et 300 illustrations, format 21×27 cm.
Lire aussi notre article : Plongée dans le théâtre clermontois de Louis XV à la 3e République #1
Reconstitution en 3D de la première salle en dur de la Comédie, en 1759 par le Wakan Théâtre.
Commenter