Accueil » Culture » Louis Gendre : « faites vous plaisir, achetez, bon sang, achetez ! »
Louis Gendre & Mariko Kuroda / Photo DR
Louis Gendre & Mariko Kuroda / Photo DR
Culture

Louis Gendre : « faites vous plaisir, achetez, bon sang, achetez ! »

Le monde de l'art contemporain est-il en train de basculer vers une prise de contrôle par les groupes financiers et les GAFAM ? Le galeriste chamaliérois Louis Gendre le redoute mais reste philosophe en gardant son cap.

Louis Gendre et son associée Mariko Kuroda ont ouvert la galerie d’art contemporain Louis Gendre à Chamalières en 2015 après avoir travaillé longtemps à Paris et sur les principales places du marché de l’art. Comme de nombreux secteurs économiques, le monde de l’art contemporain change et voit arriver des acteurs qui pourraient bien le faire basculer du côté sombre de la finance. Louis Gendre et son associée s’en inquiètent mais ne souhaitent pas pour autant changer radicalement leur approche et leurs objectifs.

7 Jours à Clermont : sentez-vous que le marché de l’art est en train d’évoluer ?
Louis Gendre : J’ai récemment lu un article dans The Art Newspaper expliquant ce qui se passe actuellement en Angleterre. Il me semble qu’il résume bien l’évolution du marché de l’art, à l’image de la Galerie Perrotin à Paris qui a cédé 60 % de ses parts à des fonds de pension américains ou Google qui aide au financement des musées et des grosses galeries. On commence à se poser la question de savoir qui va désormais choisir les artistes. Avec ces gens là, cela sera forcement les artistes rentables. Je sens que le monde de l’art va se tourner vers un mode de fonctionnement, proche de celui de la chanson. Certains artistes ne sont jamais mis en avant alors qu’ils le méritent.

7JàC : La Galerie Louis Gendre à ouvert il y a 8 ans, cette évolution vous touche-t-elle directement ?
L.G : Non, mais je ressens qu’avec la crise, il y a moins de visiteurs, ce qui n’est pas trop dérangeant parce que j’ai encore des acheteurs. Ce sont d’ailleurs toujours les mêmes et ils reviennent avec plaisir. Ils ont conscience du travail accompli par la Galerie et connaissent les noms importants : Anish Kapoor, David Nash, David Hockney, Déborah Roberts… et j’en oublie. Ils savent qu’ils peuvent les trouver chez nous et je suis très content que nous puisions les proposer. Avec Mariko, nous essayons aussi de mettre en lumière des artistes clermontois qui sont vraiment super bien. Je pense à Anne Marie Rognon. Ici personne ne voulait acheter ses œuvres quand elles valaient 200 euros, maintenant que son travail vaut beaucoup plus, les demandes sont là et ses créations se vendent bien. Tous les acheteurs qui nous ont écouté sont très contents aujourd’hui.

7JàC : Y-a-il un profil type d’acheteurs clermontois ?
L. G : Non, aujourd’hui les gens sont les mêmes qu’à Paris où tout le monde peut aller voir les expositions… mais on peut aussi faire l’aller-retour depuis Clermont en une journée pour visiter ces expositions. Peut-être que les Clermontois sont un peu plus frileux.

Sébastien Maloberti, "Playground" 2022
Sébastien Maloberti, « Playground » 2022

7JàC : Avez-vous des déceptions par rapport à des expositions montées qui n’ont pas rencontré leur public ?
L. G : Oui…. mais j’aurai toujours des déceptions. Je sais que c’est le jeu et finalement cela m’est un peu égal. Par exemple j’ai eu très peu de visiteurs pour l’exposition de Sébastien Maloberti alors que c’était extraordinaire ou plus récemment celle de Suzanne Triester qui était exposée à Chamalières, mais aussi en même temps au Centre Pompidou de Metz, à Helsinki et à New-York dans une galerie très importante. Ici les gens ne se déplacent pas… Moi je suis surtout déçu pour l’artiste. Mais ce n’est pas pour cela que je vais quitter Clermont. Le but est de faire quelque-chose de vachement bien ici. Si les gens viennent tant mieux, s’ils ne viennent pas, j’en prends mon parti.

7JàC : Est-ce que finalement, tenir une galerie d’art contemporain est quelques chose de plus difficile en province qu’à Paris ?
Oui forcement parce qu’à Paris, il y a une élite culturelle. Mais moi, cela m’intéresse davantage de faire ce travail ici, parce qu’il à des effets de mode à Paris alors que ce n’est pas le cas ici, où les gens sont à mon sens plus vrais. Faire le travail de galeriste en province correspond davantage à ce que nous souhaitons faire. Avec Mariko, nous n’avons pas envie d’ouvrir une autre galerie à Paris comme l’a fait Claire Gastaud. Si nous avions voulu le faire, nous serions restés à Paris qui est à mon sens une ville assez extraordinaire pour l’art. Donc nous faisons ici ce que nous devons faire avec les moyens dont nous disposons. C’est notre destin !

7JàC : Pour autant, réfléchissez-vous à faire évoluer vos propositions ?
L. G : Oui, mais nous n’allons pas le faire parce que le marché est difficile mais parce qu’il y a un projet qui nous tient à cœur. Je ne peux pas en parler aujourd’hui. J’ai échangé avec des personnes impliquées dans les affaires culturelles qui ont accueilli l’idée positivement. J’espère que nous allons pouvoir réaliser ce projet.

7 JàC : Et vous poursuivez votre travail à l’international ?
L. G : Oui avec les salons : Nous allons à Kyoto avec Marcin Sobolev fin octobre, à Luxembourg début novembre… En fait la plupart de nos clients sont à l’étranger. Nous avons décidé de ne plus participer à Arts Paris. Ce salon est devenu trop cher et en plus, si on souhaite y présenter les artistes locaux que l’on défend pour les faire évoluer, ce n’est pas possible. Au moins à l’étranger, on ne sait pas qui ont est, nous ne sommes pas jugés uniquement sur le fait que notre galerie est installée à Chamalières et pas à Paris. Je me souviens, quand je faisais Art Paris, les gens importants du milieu de l’art passaient devant nous sans nous regarder. Ils savaient exactement où aller, toujours les mêmes endroits qui présentent les mêmes artistes…

7 JàC : Que dites vous aux gens qui sont attirés par l’art mais n’osent pas en acheter ?
L. G : Je leur dis : ouvrez les yeux, faites vous plaisir, achetez, bon sang, achetez ! Quand on entend que les Français ont des livret A et des comptes épargne à ne plus savoir quoi en faire, je pense à une phrase du film de Sacha Guitry Le roman d’un tricheur « Je n’aime pas les gens qui font des chèques sans provision mais je déteste les gens qui ne font pas de chèque avec provision».

7 JàC : À propos de provision, acheter un artiste chez Louis Gendre peut s’apparenter à un placement ?
Un placement ? Franchement, je ne dirai jamais cela parce que ce serait se prendre pour Madame Irma. Personne n’a jamais su prédire si un tableau allait prendre de la valeur. Le premier investissement, c’est le plaisir. Quand on achète une œuvre, si on l’aime, on la rentabilise parce qu’on la regarde, on en est content et cela fait vraiment plaisir de l’avoir chez soi. Une fois que l’on a passé le pas, on a envie d’y retourner, parce qu’en retour, on reçoit un vrai bénéfice. En fait, c’est cela l’investissement.

7 JàC : Malgré tout, les acheteurs qui vous ont fait confiance ne l’ont pas regretté
L.G : Je dois dire qu’avec David Hockney c’était facile…. un peu moins avec Déborah Roberts parce qu’à l’époque son travail ne valait rien et aujourd’hui, il vaut beaucoup. On a toujours su trouver de très bons artistes dont les cotes sont montées, y compris Anne-Marie Rognon. En tout cas, je ne dirai jamais que je vais faire gagner de l’argent… parce d’abord, j’en fais perdre puisqu’il faut acheter les œuvres (rire)…

Galerie Louis Gendre, 7 rue Charles Fournier à Chamalières : prochaine exposition, Marcin Sobolev 09 septembre – 04 novembre 2023.

À propos de l'auteur

Olivier Perrot

Pionnier de la Radio Libre en 1981, Olivier Perrot a été animateur et journaliste notamment sur le réseau Europe 2 avant de devenir responsable communication et événements à la Fnac. Président de Kanti sas, spécialisée dans la communication culturelle, il a décidé de se réinvestir dans l'univers des médias en participant à la création de 7jours à Clermont.

Commenter

Cliquez ici pour commenter

Sponsorisé

Les infos dans votre boite

Sponsorisé