Je n’avais pas prévu d’y aller et trouée temporelle, désir de sortir un jeudi soir, je voulais aller au cinéma, m’absorber dans un film comme on le fait dans les bras d’un amant. Puis, j’ai vu passer sur le fil de Bernard, la mention de ce spectacle.
Emilie de la Comédie me dit qu’il y a des places. J’y vais. Je m’installe au restaurant. Après un malentendu avec le chef de salle à qui je ne peux pas expliquer que j’ai besoin de m’installer dans un angle, on trouve consensus, ce sera tapas et bière blanche ; acras de morue un peu gras mais délicieux, crème de fourme très bonne et un truc dont j’ai oublié le nom mais très bon. J’aperçois Céline Bréant, on se fait signe, on se connaît sans se connaître, on doit être voisines, nos gamins sont dans la même classe. Là-dessus, après la lecture de quelques pages d’un Belezi, arrive Grégory Bernard. Ancien étudiant, collègue, élu à la mairie de Clermont mais surtout un ami. On papote. On papote vrai. Art, mon projet de cartographie littéraire de ma ville commencée l’an passé mais aussi interaction sociale. J’ai droit à un verre de pinot servi en trop, tout va bien. Grégory est d’excellente compagnie. Et c’est l’heure.
La réponses des hommes, spectacle de 3h20 entracte comprise. Faut voir. Pourquoi pas.
Je me suis dit au pire, si c’est une purge, je pars à l’entracte.
Des comédiens exceptionnels, une mise en scène épique superbe, du génie visuel et musical, des textes puissants. La présence de musiciens en live absolument magique. Des morceaux de bravoure très jouissifs par leur transgression : la scène de la famille autour des cadeaux de Noël. La conférence du musicologue secrètement pédophile. Une fresque dystopique avec cette sirène qui rompt les tableaux et pose le leitmotiv du « nous sommes désolés » énigme qui se dévoile à la fin du spectacle en aporie collapsologue. Des moments d’une justesse sublime dans le jeu des acteurs filmés en gros plan pour saisir les grimaces «psychologiques » de leurs tourments intérieurs. Il n’y a pas une seule fausse note. Le travail plastique est d’une grande abondance et virtuosité, le son et l’image saturent le spectateur qui ne perd pas son temps à attendre que quelque chose se passe, il se passe tout le temps quelque chose.
Oui, mais.
Il s’agit d’une réflexion en huit fictions, sur la question de la morale. Le bien, le mal et ses frontières. Une série de tableaux avec des personnages aux prises avec leur contradiction. Une femme qui travaille dans l’humanitaire, prête à sauver l’humanité mais empêchée de trouver un lien maternel avec son bébé et se résout à le faire adopter. Une catholique charitable habituée aux bonnes œuvres qui finit par assassiner sa sœur. Etc. Dans la première partie on cherche cohérence dans cette juxtaposition et l’on passe quand même aisément d’un tableau à l’autre. Oui, mais.
Et à l’entracte, je ressens quelque chose d’indécis. Une insatisfaction. Tout ce talent et je ne suis pas repue. Ni même émue. Quelque chose me manque. Mais je ne veux pas partir.
La seconde partie, tournée vers l’espace ultime du paradoxe est moins juxtaposée, c’est presque un spectacle (suffisant ?) à lui tout seul. Autour du lien fraternel entre un psychiatre qui travaille avec des pédophiles et un musicologue qui tente de réfréner en lui ces mêmes pulsions interdites qui le submergent. Ce zoom sur la pédophilie comme phénomène ultime où le mal devrait s’écrire en lettres capitales (avec désir de peine capitale pour beaucoup) est très intéressant. Ce questionnent sur la morale me passionne, m’a toujours passionnée, c’est l’objet sous-jacent de mes deux romans publiés et les deux autres à venir. Oui, mais.
On n’interroge pas la morale en faisant la morale.
C’est ce qui me laisse sur ma faim. Il y a trop d’apologues, de contes dans ces fictions. Le conte de fée cruel ou pas, porte une morale. Dans ce spectacle, on propose des « histoires » où les injonctions à être bon, où la bonté devient son contraire dans une juxtaposition quasi binaire. Le désir que quelqu’un meurt pour celui qui a besoin d’une greffe de rein. Le désir d’aider et le désir d’en profiter, pour soi. Bref une théorie de morale relative : Oui, mais.
Je n’ai pas vécu d’expérience esthétique totale parce qu’il m’a manqué quelque chose de plus que l’ambivalence : la pensée des causes.
Le spectacle construit comme un exercice de style virtuose – je sais bien que jamais j’aurais le dixième de ce talent-là – m’attriste par l’absence d’une véritable dialectique. Nous avons la thèse et l’antithèse. Et c’est ce qui rend parfois le spectacle un peu didactique. S’il y avait eu synthèse, il y aurait eu interrogation sur ce qui fonde le désir d’aider dans chacune des histoires. Il aurait sans doute fallu gratter les personnages, leur construire une profondeur en dehors du dilemme auquel nous assistons. Sans doute abandonner un désir de fresque parfois abstraite et s’attacher à la situation concrète.
Peut-être est-ce le lieu du roman plus que du théâtre ?
L’ambivalence est magnifiquement interprétée, mais l’ambivalence – quand il s’agit d’éthique- est insuffisante à décrire un fait moral. L’éthique sans la pensée des causes, reste en surface de l’individu, et c’est ce qui m’a empêchée de jouir totalement de la totalité offerte par tout ce talent.
Il y a pour moi trois conditions nécessaires pour écrire une critique. La première : avoir le temps, la seconde : avoir envie, la troisième : avoir aimé (qui me vient souvent de la seconde). Je ne veux pas perdre du temps de vie à nuire à mon prochain, cela abîme ma joie. (de vivre). Ce matin, j’avais le temps et l’envie d’écrire, parce que ce spectacle m’a fait penser, c’est donc que j’ai aimé le vivre. En cela mes réserves sont un peu chichiteuses, petites mesquineries de prof de philo de province qui gribouille une très bonne copie parce qu’elle n’est pas parfaite ou pire, jalousie d’une écrivaine de dixième division qui veut percer dans le théâtre et qui n’y arrive pas… Si je le confesse, peut-être serais-je pardonnée ?
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