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Arlette Levy-Andersen.
Histoire

Arlette Lévy-Andersen, de Clermont à Auschwitz

Victime de la rafle survenue à Clermont-Ferrand le 25 novembre 1943, cette ancienne étudiante en anglais a survécu au camp de la mort. L’Université Clermont Auvergne est en train de traduire, du danois, un livre racontant son histoire. Itinéraire...

Clermont, le 25 novembre 1943. Ce matin d’automne, le froid est perçant et le ciel gris. Arlette Lévy, alors étudiante en anglais, grimpe dans son bus pour rejoindre le site de Carnot. Elle vit au “Bon Accueil”, une pension de famille de Durtol tenue par Georges Froidefond, le maire de la commune. De chez elle, elle apprécie la vue sur les montagnes auvergnates. Sa famille a quitté Paris pour se réfugier en zone libre. Là où les juifs, pensait-elle, pouvaient encore vivre en toute sécurité.

Pendant son cours de littérature, cette bonne élève est assise au premier rang. Malgré la guerre, malgré les rafles, malgré le nazisme, la jeune femme refuse de céder à la peur. Il y a bien des allemands dans les rues, bien sûr. On dit aussi que la menace se rapproche… Mais Arlette tente vaille que vaille de vivre normalement. A-t-elle seulement le choix ?

Soudain, une alarme retentit. L’étudiante aperçoit des soldats allemands courir le long des fenêtres. Pas de doute, quelque chose de grave est en train de se produire. L’histoire lui donnera raison : il s’agit d’une rafle, la plus importante survenue dans le milieu universitaire durant la seconde guerre mondiale. Elle visait l’université de Strasbourg, alors repliée à Clermont-Ferrand. L’objectif des nazis était de débusquer les juifs, les résistants et les communistes. La plupart ont été déportés et tués. Pas Arlette Lévy, qui a survécu au pire… Mais ça, elle ne le sait pas encore.

Arlette Lévy-Andersen et son fils Christian © F. Boyer

« Arlette Lévy, 19 ans, Juive »

A Carnot, étudiants et enseignants sont poussés sans ménagement dans la cour intérieure. Arlette a tout juste le temps d’attraper son manteau. Pendant plusieurs heures, on contrôle leur identité. Ils sont plusieurs centaines à attendre dans le froid. Certains sont assis par terre, d’autres tenus en respect par les armes. Sans eau ni nourriture. Au troisième étage, Paul Collomp, qui occupe la chaire de professeur de Latin et de Grec, refuse de donner les adresses des absents. Il est abattu sur place. Son agonie dure plusieurs heures. A quelques pas de là, Arlette ignore ce qui l’attend. Elle est effrayée.

« Arlette Lévy, 19 ans, Juive ». Après avoir présenté ses papiers, Arlette grimpe dans un camion pour rejoindre la caserne du 92ème Régiment d’Infanterie. Les garçons et filles sont séparés. Son groupe est conduit dans un gymnase sans confort. Durant ces quelques semaines, l’étudiante clermontoise écrit une vingtaine de lettres à ses parents. Apparemment tout ne va pas si mal… Malgré l’incertitude pesant sur son sort, elle fait contre mauvaise fortune bon cœur, se montrant même optimiste et joyeuse. Sans doute pour ne pas inquiéter ses proches.

Cette étrange parenthèse s’achève au début de janvier 1944. Triées, les personnes au patronyme juif quittent la ville dans un train de nuit. Direction le nord de la France… Arlette éprouve un sentiment de liberté, vite effacé par la présence des gardes armés. Le train arrive à Paris, sa ville natale, au petit matin. De la gare du Nord, on intime aux passagers l’ordre de s’entasser dans des bus. Au terme de leur périple, ils arrivent au camp de Drancy, surnommé plus tard l’antichambre de la mort. Ici aussi, Arlette a la chance de pouvoir envoyer quelques lettres à ses parents. Mais comme à Clermont-Ferrand, elle ne laisse rien transparaître de son inquiétude. Elle occupe un dortoir avec d’autres prisonniers. Ses journées se résument aux corvées de ménage et de repas.

Le documentaire de Thomas Christiansen © DR

Le début du cauchemar

Le 20 janvier 1944, c’est le début du cauchemar. A la tombée de la nuit, les soldats poussent près de 1.155 personnes, dont Arlette, dans le convoi n° 66. Entassés dans des wagons à bestiaux, les prisonniers ignorent le sort qui les attend. A la promiscuité et l’obscurité s’ajoute l’angoisse de l’inconnu. Après trois jours et trois nuits d’enfer, le train atteint sa destination finale, Auschwitz, au sud de la Pologne. Nous sommes le 23 janvier 1944 au petit matin.

“Les personnes plus âgées, ainsi que les familles comportant des enfants devaient monter dans des véhicules, « pour leur épargner la fatigue de la marche » nous disait-on. Nous avons rapidement compris qu’on ne pouvait rien espérer de bon des Allemands. Ces pauvres gens avaient été envoyés directement dans les chambres à gaz” racontera-t-elle plus tard.

Devenue un simple numéro, Arlette endure pendant plusieurs mois un calvaire innommable. Elle doit sa survie à la chance, dit-elle, mais aussi à l’ingénieur (et prisonnier) Jacques Stroumsa, qui l’embauche dans l’usine d’armement et l’exonère des pires tâches. Elle a découvert le nom de son sauveur 50 ans plus tard, à la télévision, lors de l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Elle a également survécu à deux marches de la mort entre Auschwitz et Ravensbrück dans l’hiver 44-45.

Vous avez dit “détail de l’Histoire” ?

Des 1.155 juifs du convoi 66 entre Drancy et Auschwitz, seuls 47 ont survécu, dont Arlette Lévy. Elle rentre finalement à Paris en mai 1945, avant de se marier à Ole Andersen et de s’installer au Danemark, où elle exerce le métier de professeur de français au lycée de Fredericia (Jutland). Pendant de nombreuses années, Arlette Andersen n’a rien dit de son histoire. Puis un jour, elle a décidé de parler. “Pour d’aucuns, Auschwitz n’existe pas ; un homme politique d’extrême droite en France, Jean-Marie Le Pen, a déclaré que ce n’était qu’un détail. Et peut-être la raison la plus importante de mon engagement tient au fait que j’étais parmi les plus jeunes [déportés à Auschwitz] qui sont revenus en 1945 : le temps faisant son œuvre, aucun témoin de cette époque bientôt ne sera encore vivant. C’est pourquoi, j’ai commencé à raconter mon histoire ». Depuis, elle a donné plusieurs centaines de conférences pour témoigner de l’horreur de la shoah. A 96 ans, sa parole est plus que jamais nécessaire.

 

Bientôt un livre aux Presses universitaires Blaise-Pascal

Les faits retranscrits dans cet article sont issus de l’ouvrage “Vi Er Her For At Dø (nous sommes ici pour mourir)” du journaliste et photographe Thomas Christiansen. Fabrice Boyer, directeur des bibliothèques de l’Université Clermont Auvergne, est actuellement en train de le traduire du danois au français. Il a bénéficié du soutien de l’enseignante-chercheuse Catherine Morgan-Proux. Le livre devrait paraître à la fin de l’année – sans doute lors des commémorations de la rafle de Clermont-Ferrrand – aux Presses universitaires Blaise-Pascal. Un film documentaire sur Arlette Lévy-Andersen a également été réalisé.

 

 

 

À propos de l'auteur

Emmanuel Thérond

Titulaire d'un Master en Littératures Modernes et Contemporaines, Emmanuel Thérond est journaliste en Auvergne depuis 2004. Il a commencé sa carrière à La Montagne, avant de rejoindre la rédaction d'Info Magazine, où il a travaillé durant 15 ans. Il écrit également pour la presse professionnelle, en particulier Le Moniteur du BTP, dont il assure la correspondance locale. Depuis 2019, il signe dans Le Parisien - Aujourd'hui en France.

1 Commentaire

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  • On attend le livre avec impatience.

    Elle avait, comme les autres, le numéro tatoué sur le bras. Le seul que j’ai vu en vrai…

    Bravo pour cet article et aussi pour l’initiative.

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