Américaine vivant à Paris depuis les années 80, la plasticienne Susan Shup maîtrise à merveille la langue française avec, toutefois, une légère pointe d’accent « very charming ». Cette aisance à parler langue de Molière permet à ses interlocuteurs de comprendre rapidement qu’ils sont en présence d’une artiste assez rock’n roll, prête à faire voler les conventions en éclats, dans une exubérance toutefois contenue, pour imposer ses points de vue, tant sur l’art que sur la vie et le monde en général. Susan Shup est multi-héritière, des peintres figuratifs américains de l’après guerre mais aussi de ceux qui ont animé par la suite le réjouissant Pop art. Artiste résolument moderne, elle n’hésite pas à changer de médium délaissant parfois pinceaux et couteaux pour l’infographie ou la vidéo
Le poids des mots
Susan Shup commence à dessiner, très jeune en regardant la télévision, tout en s’intéressant au son et à l’enregistrement. A l’adolescence, elle continue de dessiner mais commence à jouer avec les mots en écrivant de la poésie. Le statut d’artiste devient prédominant marqué par plusieurs périodes qui débutent avec des natures mortes pour se poursuivre avec des choses moins académiques et un peu plus expérimentales : les new image paintings, les automatic paintings, et autres abstractions gestuelles, autant de mouvements qui la conduisent, in fine, vers une peinture monochromes qui s’expose partout en Europe. Un jour de la décennie 90, elle reçoit un coup de fil alors qu’elle est en train de peindre. Devant prendre des notes, mais n’ayant rien d’autre sous la main qu’un pinceau et la toile, elle se met à écrire directement sur son tableau. Cet acte est une révélation, acte fondateur d’une nouvelle façon de s’exprimer, rapidement baptisée painting out loud, littéralement peinture à voix haute. La création de Susan Shup devient joyeuse dans la forme mais reste sérieuse sur le fond car les mots ont un sens et du poids.
Expérience sensorielle
Être face à un tableau de Susan Shup est une expérience sensorielle. Le regard est comme happé par la violence des couleurs, l’épaisseur de la matière, la divergence des formes parfois géométriques, parfois rendues vivantes par les coulures de peinture. Puis vient le moment où, aller plus loin dans l’interprétation, impose de prononcer à haute voix le ou les mots inscrits sur la toile. Et même si des mots n’apparaissent pas sur toutes les toiles, commence alors l’immersion dans le « langage painting » de l’artiste, accès pour un voyage au centre de la « pensée shupienne ». Une fois le code décrypté et alors qu’un œil distrait ouvrirait l’hypothèse que tout a été jeté en vrac sur la toile, le propos devient limpide et révélateur d’un monde empêtré dans ses questionnements et ses contradictions. Susan Shup est là pour le rappeler, donnant finalement à l’art, son rôle premier de miroir d’une époque.
Exposition Susan Shup, I collect language, Galerie Louis Gendre 7 rue Charles Fournier à Chamalières, jusqu’au 11 mars 2023, du mercredi au vendredi de 14h à 19h, le samedi de 10h à 18h.
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