Toute sa vie d’errances, Chateaubriand a poursuivi la sylphide de son adolescence frustrée. Charlotte Ives, Henriette de Belloy, Delphine de Sabran, Natalie de Noailles, Cordelia de Castellane, Juliette Récamier, Hortense Allart, Léontine de Villeneuve et l’Auvergnate Pauline de Beaumont, née en août 1769 à Mussy-l’Évêque1, ont habité ce « cœur plein, un monde vide [où] sans avoir abusé de rien, on est désabusé de tout ». Il était son « enchanteur ». Elle fut son « hirondelle », l’espace de trois printemps et d’une tragédie.
Acte I – Premiers émois
Paris, 1800 – Retour de Marengo, le Premier consul Bonaparte prépare son éternité. Retour de Londres, l’exilé Chateaubriand prépare Attala et Le génie du christianisme. L’écrivain Joseph Joubert, lui, prépare une rencontre entre son amie Pauline et François-René, l’ami de son ami le marquis de Fontanes, un politicien opportuniste. Le coup de foudre est instantané : « Le style de M. de Chateaubriand me fait éprouver une espèce de frémissement d’amour ; il joue du clavecin sur toutes mes fibres », commente Pauline qui s’abandonne volontiers en confidences sur toutes ses années d’insouciance dans la Limagne des « villages blancs [et] des collines rougeâtres »… D’abord la propriété paternelle (jusqu’en 1784) de Chadieu (commune d’Authezat), puis La Barge avec ses jardins à la française du XVIIe siècle inspirés de Le Nôtre. C’est là, près de Courpière que, le 13 octobre 1746, est né son père, le comte Armand-Marc de Montmorin Saint-Hérem, dernier ministre des Affaires étrangères de Louis XVI. En 1767, il épouse Françoise Gabrielle, fille du marquis de Tanes, originaire du Piémont, et de Louise Alexandrine de Montmorin. Sans être une beauté, elle n’en est pas moins sa cousine !1
D’abbaye en couvent
Vient ensuite le temps de l’éducation, ou plutôt du modelage des demoiselles « bien nées ». De 8 à 13 ans, comme sa sœur Victoire, la petite Pauline est livrée aux leçons de morale de sa tante, abbesse de l’abbaye de Fontevrault, alors considérée comme la maison ordinaire des filles de France. Ainsi « formatée », elle suit, à Paris, les cours de maintien du couvent princier de Pentemont (rues de Grenelle et de Bellechasse), passage obligé pour exercer sa mission d’aristocrate, de bonne épouse et de mère.
Le 27 septembre 1786, la voilà donc parfaitement programmée pour prendre mari, en l’occurrence l’insignifiant comte de Beaumont, un gamin de 16 ans. Elle en a 17. Aussi arrangé que bref1, son mariage ne sert qu’à attiser sa vie mondaine. Dame d’honneur de la jeune comtesse de Provence, elle reçoit en son salon de l’hôtel paternel de la rue Plumet les hommages de bon aloi du poète Chénier ou de son ami Trudaine de Montigny2.
La bourrasque révolutionnaire balaie cet ordonnancement ancestral. La peur succède à la quiétude. La terreur remplace vite la peur. Son père – qui a paraphé le passeport du roi avant la fuite à Varennes en croyant signer un passeport pour une princesse russe – est empalé. Sa mère et l’un de ses frères perdent la vie sur l’échafaud, sa sœur Victoire perd la raison et elle, phtisique, la santé.
« Son visage était amaigri et pâle. Ses yeux coupés en amande auraient peut-être jeté trop d’éclat si une suavité extraordinaire n’eût éteint à demi ses regards en les faisant briller languissamment, comme un rayon de lumière s’adoucit en traversant le cristal de l’eau. Son caractère avait une sorte de raideur et d’impatience qui tenait à la force de ses sentiments et au mal intérieur qui l’éprouvait. « 3
Acte II – Entracte à Savigny
C’est dans cette « force » et l’été 1801 que Pauline puise le « grand courage » de soustraire Chateaubriand au microcosme parisien et aux longs cheveux blonds de Delphine de Sabran. Elle loue une maison à Savigny-sur-Orge pour être la seule « à entendre le son de sa voix chaque matin, le voir travailler » et lui prodiguer caresses et conseils. Il écrit : « Sans la paix qu’elle m’a donnée, je n’aurais jamais fini Le génie du christianisme. […] La nuit, quand les fenêtres de notre salon champêtre étaient ouvertes, [elle] remarquait diverses constellations en me disant que je me rappellerais un jour qu’elle m’avait appris à les connaître. »
Ce jour approche, inexorable comme « le mal intérieur qu’elle éprouvait ». En 1803, à Rome, nommé Premier secrétaire d’ambassade, Chateaubriand fait de la diplomatie. En cure au Mont-Dore, Pauline fait de la « déprime » et, le 6 septembre, dans un dernier sursaut, ses valises pour l’Italie, l’amour et la mort.
Acte III – Derniers transports
« »Il y a -s’épanche-t-elle – quelque chose de pathétique dans l’attention portée par une mourante à celui qui l’a abandonnée ». Les 8 et 9, la malade est à Clermont, chez son amie madame de Vichy. Le 1er octobre, elle fait escale à Milan. Le lendemain, Chateaubriand l’attend à Florence. Le 4 novembre, à Rome, elle agonise dans ses bras en lui murmurant : « Je tousse moins mais je crois que c’est pour mourir sans bruit. […] Mon dernier rêve sera pour vous. » Il se lamente : « Oh ! Moment d’horreur et d’effroi. [Ainsi], la personne qui tint le plus de place dans mon existence à mon retour de l’émigration [ouvrait] la marche funèbre de ces femmes qui ont passé devant moi. » Pour que « l’amitié ne lui manquât pas comme la fortune », François-René enterre Pauline à l’église Saint-Louis-des-Français, en grande pompe. La princesse Borghèse (Pauline Bonaparte) prête même sa voiture pour le cortège.
« [A]u berceau de Pascal et au tombeau de Massillon »
Du 11 au 15 août 1805, à peine deux ans après la mort de Pauline de Beaumont, Chateaubriand passe cinq jours en Auvergne1. Si, « par pure affaire de conscience », il gravit le puy de Dôme en « près d’une heure, avec autant de peine que le Vésuve, par un chemin roide et glissant », c’est « la position de Clermont, une des plus belles du monde », qui retient toute son attention : « Qu’on se représente des montagnes s’arrondissant en un demi-cercle ; un monticule attaché à la partie concave de ce demi-cercle ; sur ce monticule, Clermont. » De la place du Taureau (rond-point de la Pyramide), il contemple la Limagne de son « hirondelle » : « Les blés mûrs ressembloient à une grève immense, d’un sable plus ou moins blond. L’ombre des nuages parsemoit cette plage jaune de taches obscures, comme des couches de limon ou des bancs d’algue. »
15 juillet 1838 – Sur la route des eaux de Cauterets, vieillard perclus de rhumatismes et de souvenirs, Chateaubriand est royalement reçu, au nom de l’Auvergne légitimiste, par l’ancien député de Féligonde, le journal La Gazette et un banquet de cinquante couverts. Avant de reprendre, en chaise de poste, la route de Saint-Flour, l’illustre visiteur regarde une dernière fois la Limagne…
« Mon pays sera mes amours Toujours. »
Pour en savoir plus
Agénor Bardoux, Études sur la fin du XVIIIe siècle – La comtesse de Beaumont – Pauline de Montmorin, éd. Calmann Lévy, Paris, 1884 ; rééd. Hachette Livre-BnF, Paris, 2016.
1 Charleville-sous-Bois (Moselle)
2 Les quartiers de noblesse des Montmorin remontent à 957. Le 28 mai 1421, ils s’adjoignent le nom de Saint-Hérem.
3 Le divorce par consentement mutuel sera prononcé en juin 1800.
4 Petit-fils de l’intendant d’Auvergne, de 1730 à 1734.
5 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.
6 Chateaubriand, Cinq jours à Clermont (Auvergne), éd. Pourrat frères, 1837.
Commenter