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Eric Dacheux. Crédit photo : CNRS.
Économie

Le « délibéralisme », une alternative économique au cœur des recherches d’Eric Dacheux

20 ans que ce professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université Clermont Auvergne à l'UCA, réfléchit * sur une alternative économique au libéralisme : le délibéralisme. Inspiré des principes de l'ESS , elle est disponible, dans sa synthèse, aux éditions Erès, dans un livre intitulé : « Défaire le libéralisme, refaire la démocratie. Les enjeux du délibéralisme. »

Penser un système alternatif au libéralisme, ça fait 20 ans qu’Eric Dacheux, fondateur du laboratoire Communication & solidarité à l’UCA , s’y attelle * dans une approche pluridiscinaire qui associe champs politique, économique et symbolique. Partant des impasses du capitalisme – et dans une approche fusionnant théorie et réalité -, Dacheux propose de dépasser ce modèle politique issu des Lumières. Prometteur sur le papier. Générateur, à long terme, d’inégalités croissantes où l’intérêt personnel ne rencontre plus l’intérêt du bien commun. « Toute la richesse depuis vingt ans a été captée par le sommet » (1), analysait, en 2012, le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz lors d’un interview pour Le Monde. Et « [ c’est lui ] qui fixe les règles du jeu politique qu'[il met] au service de [ses]intérêts.» (2) Un fossé creusé à la faveur d’une crise sanitaire où le patrimoine des grandes fortunes a explosé. (3) « Quand on enlève l’égalité, on enlève la démocratie », résume Eric. Au risque d’une traduction  contestataire dans les urnes. Or, c’est de cette même insécurité économique que nait l’insécurité sociale.

« Défaire le libéralisme, construire le délibéralisme »

Sans égalité, pas de sécurité, ce à quoi, pourtant, aspire, sans distinction, chaque citoyen. Dans sa vie professionnelle, sa vie privée.
L’opposé d’un libéralisme qui divise, dérégularise, parcellise. Etiole, isole dans un détricotage du tissu social qui affaiblit la démocratie. Mettant à mal l’un de ses fondements selon lequel « le marché est la seule régulation sociale efficiente respectant la liberté. » (4) Faisant fi de ses effets sur les sociétés qui de « démocratiques deviennent des sociétés de marché, impliquant la concurrence de tous contre tous, et une marchandisation généralisée. » (5) Le délibéralisme incite donc à considérer « une nouvelle construction théorique afin de sortir des fausses alternatives proposées jusqu’alors : capitalisme versus communisme, marché ou Etat, globalisation ou protectionnisme. » (6) Dans une démocratie radicale et solidaire, qui s’appuie notamment sur la pensée de John Dewey (7) – « on est en démocratie quand tous les gens concernés par un problème peuvent participer au débat pour le résoudre » – et le convivialisme d’Alain Caillé (8), qui se définit sur cinq principes : humanité, socialité, individuation, naturalité, opposition créatrice.

Le débat, indispensable au consensus

Rendre au citoyen sa capacité d’expression en remettant au centre de la vie démocratique ce qui en fait son essence : le débat. Où apprendre à s’opposer. Et à écouter. En admettant « la météo intime [de chacun] », et  « que l’intelligible émerge du sensible. » Ce à quoi Dacheux encourage ses étudiants. « Il faut éduquer les gens à ça. » En construisant des « désaccords féconds sur des points d’accord. » A condition d’avoir du temps. Pour s’informer, s’éduquer, se former. Inverser ce qui nourrit l’économie du numérique : l’exploitation de l’attention et de l’entre-soi. « Le temps est nécessaire pour la démocratie, et la délibération, c’est prendre le temps. » Une théorie qui ne s’affranchit pas de la pratique, et s’incarne dans des initiatives issues de l’Economie sociale et solidaire. Basées sur le développement durable, la coopération, l’utilité sociale, la gestion non lucrative, la mixité des ressources. Un délibéralisme qui participe de ses réalisations, projets, expérimentations. Tous, collectifs. « Comme Nuit debout. » Ces « possibilités futures des utopies en actes. » Inscrites dans le quotidien, car « le monde d’après est déjà là. » Coopératives, SCOP, AMAP. « Il suffit de les généraliser.»

Des outils économiques à délibérer

Selon « un homme, une voix », et qui, dans le développement d’une intelligence collective, nécessite d’ajuster le modèle économique. Ses murs porteurs, dans une réappropriation citoyenne. A commencer par la monnaie. En créer une nouvelle. « Qu’elle redevienne un bien public […] C’est une question politique. Il s’agit juste d’en délibérer.» Pour des échanges en local qui favorisent les circuits courts, la circulation de monnaie, les liens sociaux. Et sur laquelle appuyer un revenu d’existence, car « vivre, ce n’est pas se résigner. » (9) Ces outils, à l’oeuvre dans l’ESS, sont en pointe à Clermont. « On est très bons dans ce domaine. Il y a de la recherche, des formations, des réseaux associatifs (10). » Une initiative en marge de l’action gouvernementale, qui « tend à instrumentaliser l’ESS [qu’elle perçoit] comme un amortisseur de crise. » Eric d’anticiper : « il va y avoir des actions pour la résilience mais pas dans le sens du délibéralisme. »

 

 

Pour aller plus loin : « Défaire le libéralisme, refaire la démocratie. Les enjeux du délibéralisme », Eric Dacheux / Daniel Goujon, éditions Erès, mars 2020

 

 

 

1),  «Toute la richesse depuis vingt ans a été captée par le sommet », Adrien de Tricornot, Philippe Escande, Antoine Reverchon, Le Monde, 17 septembre 2012.
(2), « Ces 1% de riches qui vont capter autant de richesses que les 99% restant de la planète », Christian Josson, Libération, 19 janvier 2015.
(3), « Inégalités. Les profiteurs de la crise sanitaire au sommet des grandes fortunes », Pierric Marissal, L’Humanité, 8 avril 2021.
(4), extrait de l’introduction à « Défaire le libéralisme, refaire la démocratie. Les enjeux du délibéralisme.», E. Dacheux / D.Goujon, éditions Erès, mars 2020.
(5), idem.
(6), idem.
(7), Philosophe et pédagogue issu du pragmatisme, courant philosophique né à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis.
(8), Sociologue, auteur de nombreux livres sur le convivialisme dont « Pour un manifeste du convivialisme », Le Bord de l’Eau, 2011.
9), in « Noces », Albert Camus, p.49, collection Folio, Gallimard, 1972.
(10), ex : café Les Augustes, Les Cigales.

À propos de l'auteur

Sandrine Planchon

Après une prépa lettres et des diplômes en sciences humaines, Sandrine Planchon s'oriente vers la radio. Depuis 1999 elle travaille différents formats sur Altitude, Arverne, RCF, RCCF. Investie depuis 2015 dans un projet sur le numérique avec Elise Aspord, historienne de l'art, elle encadre aussi depuis 2014 les projets d'étudiants du Kalamazoo College (US).

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