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MMM _ Photo DR-Scoutopédia
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Gens de Clermont IV, par Dalie Farah – MMM, l’amour ne suffit pas

Marguerite-Marie Michelin, 1894-1984, surnommée MMM, fut une responsable des Guides de France. Arrêtée et déportée en Allemagne, dans les camps de Sarrebruck et de Ravensbrück, elle s'y trouve confrontée à la détresse de prostituées, elles aussi déportées. À son retour, elle reprend des responsabilités nationales aux GDF puis fonde l'Association nationale d'entraide féminine, aujourd'hui l'ANEF.

J’ai dans l’idée d’écrire ma ville et ses habitants comme un géographe cartographie et comme un historien travaille sur des archives.
Mes romans se passent à Clermont-Ferrand ou dans ses environs. J’aime écrire depuis ce qui m’est proche, ce qui est sous mes yeux. Pour mes textes à dire, je me suis aussi engagée auprès des gens de ma ville.
A l’occasion de l’anniversaire de l’ANEF63, « association d’entraide contre les exclusions qui intervient dans les départements du Puy-de-Dôme et de l’Allier et exerce des missions de protection de l’enfance et d’insertion par le logement. », j’ai réalisé un recueil de paroles auprès des bénéficiaires et des salariés.
Voici un extrait :

Au commencement :  Choryphée / MMM

– Choryphée : De 1939 à 1945, a 80 km de Berlin, le IIIe Reich établit le camp de Ravensbrück, le seul camp de concentration réservé aux femmes. Des enfants aussi vivent dans ce camp. Des femmes survivent, d’autres meurent. 70 000 à 92 000 morts. On assassine des détenues communistes et des résistantes, qu’elles soient polonaises, allemandes, françaises, et les femmes juives, Tziganes, Roms.
– Marguerite-Marie Michelin : J’ai vécu dans l’horreur une expérience humaine extraordinaire.

– Choryphée : Marguerite-Marie Michelin, c’est pas exactement une fille Michelin, c’est la bru, elle n’était pas seule, elle appartenait au réseau des équipières de France.
– Marguerite-Marie Michelin : C’est un mot important pour moi. Les équipières s’entraident. On partageait tout, on s’occupait de nous entre nous. Femmes violentées, femmes enfermées, femmes exploitées. Je ne suis pas une petite nature, j’ai mon tempérament, je ne regrette pas d’avoir protégé cet aumônier résistant pendant la guerre. J’ai vécu ce que j’ai vécu. On m’a arrêtée le 7 juillet 44, la gardienne de prison au 92 m’a pris mon eau de Cologne. On avait toutes notre Saint-Nectaire en prison, la gardienne ne nous l’a pas pris. En prison, au départ, les autres filles me dégoûtent un peu, mes conventions ne me servent à rien, il y a les puces, il y a la faim, les odeurs, les ronflements des autres femmes et la peur partout autour. J’ai une chemise de nuit en crêpe de Chine et je suis en prison. La première nuit, je me dis que je ne pourrai pas rester une nuit de plus, on se dit toujours ça quand on vit l’exceptionnel, et quand ça dure, on s’habitue, je me suis habituée ensuite à bien pire. Les hommes qui ne revenaient pas des interrogatoires, les paquets de chairs battues au nerf de bœufs, les filles aux cuisses et dos marbrés de coups, la hantise de la gestapo de Royat qui torture et assassine. On était quelques-unes à se ragaillardir la nuit. Un matin on n’a pas trouvé Madame M, Madame Gé nous a dit entre ses sanglots qu’on l’avait emportée dans la nuit. C’est cette nuit-là que j’ai compris que la lâcheté et la cruauté pouvaient mettre en défaite notre amour. Après la libération de Clermont, Mme Gé a été appelée à la fosse d’Aulnat pour identifier, elle a reconnu Mme M. Elle avait encore les pantoufles de la prison, celles que Lise lui avait faites. Mme M. n’a pas été fusillée, mais assommée, sa boîte crânienne défoncée, son ventre ouvert, elle était enceinte et le corps mutilé. Heureusement, on ne savait pas. Et on a quitté la prison pour le camp. On a pris le train. J’avais ce foulard bleu sombre semé d’edelweiss. Il avait une petite bordure rouge vif. Et après, après, on a connu toutes sortes d’enfers. Il faut l’avoir vécu pour se rendre compte de tout le mal que les forts peuvent faire à ceux qui ne peuvent pas se défendre.

– Choryphée : On la désigne par ces trois lettres majuscules, Marguerite-Marie Michelin. M. M. M. (…) Marguerite-Marie MICHELIN fut déportée du 7 juillet 1944 au 17 mai 1945. Dans le camp, on exploite le corps et le travail des femmes, on fait des expériences sur leur corps, elles sont mises en esclavage dans les mines de sel, l’industrie allemande de l’armement mais aussi dans l’entreprise Siemens voisine du camp. 132 000 femmes et enfants sont enfermés, quasiment tous les enfants meurent de dénutrition. Marguerite-Marie Michelin survit. Elle revient. Elle revient vivante, elle quitte l’horreur.
– Marguerite-Marie Michelin : J’en ai rencontré des femmes, je me souviens presque de toutes, de toutes leurs histoires, de toutes leurs peines. J’avais mon missel et mes prières, c’est avec les femmes de Ravensbrück que j’ai découvert ce qu’est le vrai courage. Le courage c’est pas l’uniforme et l’arme à feu, c’est pas la guerre, le courage, c’est tenir, c’est s’enfuir, le courage c’est être à genoux et l’accepter, le courage, c’est garder sa dignité quand on l’a perdue, le courage c’est la main tendue, même quand on ne possède rien. Pour tenir on se consacrait les unes aux autres, sans espérance et dans le plus grand dénuement nous luttions pour survivre et on ne peut pas survivre seule. On se disputait pour un bout de savon, fallait surveiller ta robe et tes souliers, ta soupe. Lutter pour manger, se laver, aller au WC. Survivre. Le vrai courage est toujours un épuisement. Femmes tendues à l’extrême, on n’était pas des saintes, pas toutes des sœurs, couverte de la poussière noire de l’incinérateur, un troupeau sans visage.

– Choryphée : Sa frénésie à aider existait avant l’expérience de Ravensbrück, mais elle a trouvé son sens après. C’est une affaire de femmes l’Anef à ses débuts, c’est la sororité avant l’heure. L’ANEF, Association Nationale d’Entraide Féminine est née en 1952. En 1976, on inclut les hommes.

Affiche "l'amour ne suffit pas"
Affiche « l’amour ne suffit pas »

Lecture de Gens de Clermont IV- L’amour ne suffit pas, Jeudi 27 avril à 17h à la Maison de la Culture de Clermont. Avec : Fabrice Roumier, Béatrice Chatron, Constance Mathillon et Dalie Farah. Musique : Julien Ladevie chant, Manu Bigeard basse.
Entrée libre mais réservation conseillée en suivant ce lien Inscriptions aux évènements des 70 ans de l’ANEF 63 (google.com)

À propos de l'auteur

Dalie Farah

Clermontoise, Dalie Farah est professeure, agrégée de lettres et écrivaine. Son premier roman "Impasse Verlaine" a été publié aux éditions Grasset en 2019 et son second "Le Doigt" en 2021 toujours aux éditions Grasset

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