Dépaysement total à bord du voilier construit en 1896
21h00 : La nuit est tombée depuis un bon moment sur le port de Sète, la température est étonnamment douce pour un début d’automne. Le Belem, solidement amarré au quai n’attend plus que ses passagers éphémères venus de tous les départements d’Auvergne et du Limousin dans le cadre d’un programme d’inclusion développé par le département RSE de la CEPAL. Son immense mature est formidablement mise en valeur par un système d’éclairage halogène embarqué et la lumière de la pleine lune apporte la touche romantique à ce qui s’apparente à une veillée d’arme. L’équipage annonce le premier briefing. Dans une ambiance quasi militaire, le commandant en second donne les consignes pour que chacun puisse trouver sa bannette et son placard dans la cale. Les jeunes découvrent les quelques mètres carrés dans lesquels ils vont passer la nuit et tenter de trouver le sommeil. Le dépaysement est total à bord du voilier construit en 1896, le monde extérieur n’existe déjà plus.
Les 46 passagers mis à contribution pour hisser les voiles
7h00 : L’heure du réveil a sonné sur le Belem. Petit déjeuner en commun, la table a été dressée par des volontaires. Café, tartines, puis retour dans le carré pour un nouveau briefing, les choses sérieuses vont débuter. Des petits groupes sont formés et partent sur les différents ponts pour comprendre les rôles à jouer pendant la navigation. Les 46 passagers seront mis à contribution pour hisser les voiles sous le contrôle des 16 membres de l’équipage. Le capitaine est formel, la journée va passer très vite et il ne sera pas possible de hisser l’ensemble des 22 voiles aux noms exotiques. Les deux énormes moteurs de 500 cv sont mis en route, le pilote est monté à bord, il guide le capitaine pour la sortie du port. L’instant est solennel, le trois-mats s’éloigne enfin du quai et capte toutes les attentions. La météo est idyllique.
« Certains se prenaient pour des pirates »
10h30 : Le capitaine coupe enfin les moteurs. Le Belem sous voile, glisse sur une mer d’huile. Sur le pont principal Stéphane Dutour éducateur spécialisé à La maison d’enfant La Cordée de l’association clermontoise Altéris, n’a pas ménagé ses efforts pour remonter un gros canot pneumatique à bord, puis aider à hisser une des voiles carrées du mât de misaine. Durant la manœuvre, il a observé Andrew, Alexandre et Shanna, les trois clermontois qu’il accompagne. « Ils sont très satisfaits et très heureux. En fait certains se prenaient pour des pirates et ils avaient envie de découvrir comment on vivait sur un bateau. Ils sont contents parce que c’est assez similaire à ce qu’ils s’était imaginé tout en découvrant comme c’est difficile. Ils comprennent que cela porte ses fruits quand on tire sur les cordes. Tout est en mouvement et on peut faire une similitude avec leur vie. Quand on tire sur un axe cela permet de développer quelque chose derrière. La valorisation est très importante pour eux, tout comme l’estime de soi. La pauvreté culturelle amène parfois chez eux des retards. On essaie d’étayer cette pauvreté pour rattraper ces retards et les amener à s’éveiller à autres choses ».
Jack Sparow, n’a qu’à bien se tenir
12h00 : Sur le pont arrière, un des membre d’équipage à cédé sa place de barreur à Andrew. Le jeune clermontois a très vite compris comment tenir le cap en anticipant les mouvements du voilier de 58 mètres de long et en évitant de lui faire faire des zigzags. Il est manifestement doué pour barrer et n’en revient pas qu’on ai pu lui confier cette mission. Johhy Depp, pardon Jack Sparow, n’a qu’a bien se tenir. À l’instant, Andrew se verrai bien devenir marin. Il ambitionne d’être cuisinier alors pourquoi pas sur un bateau… Pendant ce temps la moitié des passagers est à table.
Tout en écoutant une mini formation en navigation prodiguée par le second officier, Stéphane Dutour surveille le jeune homme qui continue à tourner la barre avec sérieux « On ne les éloigne pas de leurs problèmes, on les met à distance de la situation pour remettre les choses en place. Des expériences comme celle du Belem permettent de les amener un peu plus à l’autonomie, de les valoriser, de faire des découvertes, d’avoir accès à la culture et au patrimoine, choses auxquelles ils n’ont pas forcement accès au sein de leurs foyers. Grâce à la Caisse d’Épargne et à la Fondation Belem, cette expérience est très positive.. mais il y a d’autres expériences à vivre, en montagne, à la découverte de l’environnement…beaucoup de choses sont mises en place. »
Badauds et amateurs d’aventures maritimes observent avec jalousie les nouveaux loups de mers
13h00 : Le commandant ordonne un changement de bord. Il veut honorer le rendez-vous avec le pilote pour le retour au port de Sète. Tous les bras disponibles tirent de nouveau sur les bouts ou plutôt les boutes et font tourner les voiles. Le voilier entame son voyage retour. Peu à peu, le port de la « Venise du Languedoc » se rapproche. Il est temps de rassembler son paquetage pour le mettre en attente sur le pont. La manœuvre est longue car il faut faire tourner le bateau dans le port en le poussant avec le pneumatique au puissant moteur qui a été remis à l’eau… le moment est intense. Sur le quai, badauds et amateurs d’aventures maritimes observent avec jalousie les nouveaux loups de mers regroupés sur le pont. Ils profitent jusqu’à l’ultime instant, de l’aventure exceptionnelle qu’ils viennent de vivre. Les nouveaux copains du bord retrouvent la terre ferme. Il est temps de mettre le cap sur des destinations moins prometteuses d’aventures : Limoges, la Chaise-Dieu, Aurillac…
Sable chaud pour finir la journée
17h00 : Le soleil est encore haut sur l’Archipel de Thau. Alexandre et Shanna ne ressentent pas encore l’angoisse du retour vers Clermont. Avec Stéphane, il vont jouer les prolongations jusqu’au lendemain. En attendant, ils partent à la plage pour finir la journée. L’équipage du Belem remet tout en ordre, il reprend la mer dès le lendemain pour une nouvelle sortie. Au printemps prochain, ce monument historique flottant, traversera la Méditerranée pour aller chercher la Flamme Olympique à Athènes avec pour mission de la ramener à Marseille point de départ du traditionnel périple en direction de Paris.
À Clermont, Stéphane Dutour aura repris une activité plus classique. « L’association est engagée dans la protection de l’enfance et l’accueil d’enfants en situation de handicap. À La Cordée, il y a 40 enfants restant en moyenne deux ans, parfois plus, parfois moins, sous régime d’internat 365 jours par an. Ils ont néanmoins des droits de visite et d’hébergement pour les familles en fonction de ce qui a été défini, soit par le juge soit par l’Aide sociale à l’enfance. Ils ont généralement des problèmes sociaux, mais on reçoit aussi beaucoup de jeunes qui ont des problématiques psy, des déficiences intellectuelles. Du coup c’est un melting-pot de tout cela et on essaie de les accompagner vers l’autonomie et le retour en famille autant que possible » précise l’éducateur.
L’admission dans la structure peut être volontaire, ce sont les placements administratifs, via l’aide sociale à l’enfance. Les parents, cosignataires, demandent le placement car ils ont besoin d’aide. Ils sont alors accompagnés le temps que la situation familiale se stabilise. Des placements judiciaires, peuvent également être prononcés par un juge après enquête. Les enfants sont alors dispatchés dans la structure qui correspond le mieux à leur situation sur le territoire.
On imagine aisément que le quotidien des jeunes suivis par La Cordée est bien différent de l’ambiance à bord du Belem.
super Olivier