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Dalie Farah / Photo 7 Jours à Clermont
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Culture Entretiens

Affaire Fiona : l’auteure Dalie Farah a mené son enquête

Le roman "Retrouver Fiona" vient tout juste d'être publié par les Éditions Grasset. Son auteure, Dalie Farah, propose une analyse personnelle, sous forme d'enquête littéraire, de ce qui a conduit, au printemps 2013, à la disparition toujours inexpliquée, de la fillette de 5 ans.

Le roman Retrouver Fiona vient tout juste de sortir, le 8 mars précisément. Avec ce troisième roman publié chez Grasset, Dalie Farah livre sa vision de ce qui reste encore aujourd’hui l’affaire judiciaire clermontoise la plus marquante de la décennie passée. Avec la littérature et son expérience personnelle, l’auteure clermontoise tente de répondre aux questions restées en suspens.

Olivier Perrot : Retrouver Fiona fait écho à vos deux livres précédents. Peut-on parler d’un cycle ?
Dalie Farah : En fait, sans en avoir conscience, j’ai écrit une généalogie de la violence. Retrouver Fiona en est le troisième opus. Retrouver Fiona est une enquête sur un filicide. C’est le point extrême de la violence faite aux enfants. Avec cette enquête, j’ai tenté d’élucider tous les mécanismes de cette affaire qui est plus qu’une affaire, puisque c’est l’histoire d’une enfant et de ce que l’on fait aux enfants.

O.P. Quel a été le point de départ de ce triple récit ?
D. F : Je n’avais rien anticipé. Le point commun c’est la violence, c’est sûr, mais il y a aussi la question de la maternité et de la survie. Le point de départ de l’enquête sur Fiona, est le vol des hélicoptères au-dessus du parc. J’étais chez moi, pas très loin de Montjuzet et j’ai eu une sorte de pressentiment, à la limite de la vision. C’est fou… j’ai imaginé une petite fille, quelque-chose d’inquiétant qui me ramenait à mon propre passé et j’ai eu peur. Le surgissement de l’inédit ou de l’inconnu crée dans l’individu une peur, qui renvoie à un moment de l’enfance ou quelque-chose de vécu. C’est ce que j’ai compris avec mon enquête. C’est un phénomène tout à fait naturel. Après, comme tous les Clermontois j’ai suivi les étapes de l’affaire. Au moment où l’on a appris que l’on ne retrouverait pas la petite, vivante, cela a créé en moi une stupeur qui axé mon regard sur la mère.

O.P : Pourtant, le conjoint Berkane Makhlouf est présent dans la narration
D.F : Au départ, je ne me suis intéressée qu’à Cécile Bourgeon et au mensonge, car cela restait, pour moi, un fait-divers. En arrière-plan j’écrivais d’autres textes. Je suis passée de l’impact du fait-divers à une autre intrigue qui s’est imposée au fur et à mesure que j’enlevais les scories. C’est cela écrire : aller vers un chemin dont on ne connaît pas vraiment le but. Quand on part sur une enquête, on ne sait pas ce que l’on va trouver et donc j’ai dû m’intéresser à Berkane Makhlouf.

O.P : A quel moment avez-vous commencé à réunir de la matière ?
D.F : Au moment du mensonge. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à stocker, plus par curiosité, peut-être… pas forcément honorable d’ailleurs. J’étais coincée entre mon passé et le présent. Je ne mesurais pas tout ce qu’il y avait derrière le fait-divers. A force d’accumuler la matière, l’affaire m’est apparue de plus en plus complexe et j’ai commencé à m’y intéresser en lisant le premier procès, puis je suis allée assister au second au Puy en 2018. Cette tragédie met en valeur tout un charnier d’enfances dévastées. Fiona a été une personne et pas seulement le sujet d’une affaire judiciaire, il fallait déployer pour elle, le livre le plus juste et le plus vaste.

O.P : Du coup, peut-on encore parler d’un roman ?
D.F : C’est une enquête littéraire dans le sens où un journaliste ne pourrait pas se permettre d’écrire certaines choses que j’ai pu écrire, ce n’est pas qu’un travail documentaire. La littérature me donne d’autres latitudes. Finalement, un roman est un espace supplémentaire au réel et je me permets d’écrire les récits manquants, ce qui s’est passé dans les jours précédant le moment fatal. Je suis parti de toutes mes observations, de ce que j’ai entendu, de ce que j’ai pu lire dans la presse et j’ai croisé cela avec ma propre vie. Ayant aussi vécu dans un huis-clos violent, j’ai des données physiques. La violence faite aux enfants se ressemble quel que soit l’endroit, partout, à toute époque, quel que soit le milieu. Le roman comble les vides, ce que ne peut pas faire la police ni la justice. La littérature peut faire cela et parfois tomber juste.

O.P : Ce livre est aussi une enquête sociologique
D.F : Nous sommes des êtres sociaux, tous… il faut arrêter de penser que nous sommes des êtres imaginaires ou abstraits, nous sommes des créatures sociales. Il y a plusieurs facettes à ce qui est arrivé à Fiona, violences physiques mais aussi crime social. Bien sûr, il y a des coupables mais il y a aussi tout un faisceau de causes autour de ces coupables. La philosophe Simone Weil dit que l’on ne peut pas abolir un mal sans comprendre en quoi il consiste. Cela fait partie de la question, même s’il y a une part du mal qui échappera toujours.

O.P : Au cours de l’enquête avez-vous fini par trouver des circonstances atténuantes aux protagonistes ?
D.F : Non, ce n’est pas mon rôle, je n’excuse pas la violence, jamais, la littérature n’est pas faite pour ça. Ecrire la violence et la comprendre n’excuse pas. Ce qui a été commis est un crime. Par contre, ce que l’on peut observer avec ces protagonistes aliénés par leur situation, leur parcours et la drogue c’est qu’ils ont, comme chacun, une part d’innocence. Cette part d’innocence, c’est celle de l’enfance, c’est l’enfance nue. Chacun possède cette part, même le plus terrible criminel a eu une enfance. C’est ce que la littérature apprend à reconnaître. Ce livre dépasse la petite notion de fait-divers que l’on appréhende en se bouchant le nez, c’est une tragédie sociale, humaine qui touche à ce qu’il y a de plus important, c’est à dire l’enfance. Pour moi c’est le socle de toutes les violences.

O.P : Malgré tout, on ressent par moment une sorte d’admiration pour Cécile Bourgeon
D. F : J’ai été impressionnée par Cécile Bourgeon, par sa capacité à dominer une situation. Elle met à genoux 80 enquêteurs alors qu’elle a qu’un CAP agro-alimentaire, on a du mépris pour elle… pourtant elle argumente, face au procureur, aux avocats… donc il y a quelques-chose de fascinant dans cette puissance. Je suis passée par différentes émotions, mais l’important était l’analyse et la compréhension d’une femme complexe qui renvoie à différents fantasmes sociaux et culturels. C’est au dernier procès que je saisis vraiment ce qui s’est passé et j’ai un camp : celui des enfants.

O.P : Lorsque que vous avez commencé à écrire, vous imaginiez où se livre allait vous embarquer ?
D.F : Non. Je l’ai écrit pendant 9 ans et demi et entre-temps il y a eu la publication des autres livres, ma vie personnelle a changé, mes enfants ont grandi et j’ai vieilli, j’ai appris à mieux écrire. Ce livre a une composition très complexe, cela a été une folie de tout recomposer en enquête minutieuse qui ne soit pas ennuyeuse, ni obscène, qui soit au plus juste. Je ne pouvais pas m’approprier une mort d’enfant. C’était très important pour moi de garder la vérité du crime et de l’effroi, de ne pas rester dans le pathos et dans l’indignation et aller vers la pensée. Retrouver Fiona est un roman-enquête. Il arpente une ville – la mienne – Clermont-Ferrand, mais aussi des vies, une affaire policière, puis juridique jusqu’à chercher à combler les récits manquants : Que s’est-il passé dans le huis-clos de l’appartement de Cécile Bourgeon ? Qu’est-il arrivé à Fiona dans ses derniers jours ? Le lecteur pourra faire cette enquête avec moi, sur le fait-divers, sur l’enfance, sur la violence autour de lui et pourquoi pas – sur lui-même.

Retrouver Fiona

 

À propos de l'auteur

Olivier Perrot

Pionnier de la Radio Libre en 1981, Olivier Perrot a été animateur et journaliste notamment sur le réseau Europe 2 avant de devenir responsable communication et événements à la Fnac. Président de Kanti sas, spécialisée dans la communication culturelle, il a décidé de se réinvestir dans l'univers des médias en participant à la création de 7jours à Clermont.

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