Campé rue de la Treille, sur le plateau central, entre la rue Saint-Esprit et la place de la Victoire, Spliff continue bon an mal an à propager la musique du diable à une clientèle à la chevelure de plus en plus argentée, tout en s’entêtant à convertir les jeunes générations conditionnées par leur prothétique Smartphone peu enclines à écouter de la musique sur un support physique, un disque pour le dire en vieux français.
De la rue Terrasse à la rue de la Treille

Spliff, synonyme de pétard, de joint, raison sociale impossible à déposer à l’INPI aujourd’hui tant la “bonne morale” asphyxie de plus en plus notre espace vital, Spliff donc débute en 1980 sous forme associative. Au départ, la petite structure organise des concerts, rock bien entendu, publie des fanzines et ouvre un petit local, rue Terrasse, pour vendre des disques, des cassettes et des fanzines avant d’élargir l’activité au label rock, label reconnu en France et à l’étranger. Dans la boutique, on trouve des productions de la scène alternative française, du punk anglais, de la new-wave britannique et du rock australien. Pour s’approvisionner, Spliff se fournit auprès de distributeurs anglais et allemands puisque la France en est encore peu pourvue, Danceteria et New Rose commencent seulement à s’installer sur l’hexagone. Il arrive même aux membres de l’association de se rendre à Londres de temps en temps pour faire le plein de nouveautés ou de passer commande directement aux Etats-Unis. En 1980, Spliff est la seule alternative à la toute récente FNAC à Clermont. Sirènes rue Saint-Dominique et Connen place de Jaude ayant déclaré forfait.
En 1983, la jeune structure déménage pour un local plus grand, place de la Treille, avant de prendre encore plus grand juste à côté, en 1990, au 8 rue de la Treille, où elle se trouve toujours. Des quatre à l’origine de l’asso, Gilbert Biat et Pascal Roussel sont les seuls à continuer. Ils s’associent et créent la société Spliff en 1990 pour l’activité commerciale uniquement, c’est-à-dire la boutique, le label et l’organisation de concerts restant sous l’égide de l’association. Pascal Roussel disparaît en 1997. Depuis, Gilbert Biat fait tourner le Spliff à lui tout seul (humour jamaïcain).
Marché de niches

Spliff s’adapte aux aléas du marché, parfois avec difficulté, mais toujours en gardant le cap, le sourire et la bonne humeur. Dans les années 90, le CD remplace progressivement le vinyle. Pour se procurer la noble matière, il faut se tourner vers l’import puisque la France n’en produit quasiment plus. Le CD représente le gros du marché durant une quinzaine d’années avant d’être lui-même supplanté par les plateformes numériques, ce qui provoque un effet collatéral inattendu et inespéré, le retour en grâce du vinyle pour un marché de niches destiné principalement aux fétichistes. Ces tâtonnements technologiques n’ont pas d’impact significatif sur le chiffre d’affaires du disquaire jusqu’à l’avènement du numérique. « C’est vers 2005 qu’on a vraiment ressenti la crise avec l’arrivée massive du digital » déclare Gilbert Biat. Pour remédier à la concurrence féroce de la musique dématérialisée qui s’installe insidieusement mais sûrement, Spliff est contraint d’élargir son offre sans se fourvoyer. « Ce n’est pas que nous qui avons bougé, c’est tout l’ensemble du métier qui s’est adapté à de nouvelles données » proclame le disquaire débonnaire. Aujourd’hui, à l’instar de tous ses confrères en France, Spliff vend essentiellement du vinyle.
Modes et tendances
La boutique évolue en fonction des modes et des tendances. « Quand le rap est apparu, on a été un peu long à s’y mettre. Même la musique noire ou le jazz, on aimait bien, mais on n’en faisait pas beaucoup. Ça s’est installé petit à petit. » Spliff se met même à vendre de l’électro un temps. Puis vient le tour de l’anti-folk avec comme gloires locales, Cocoon et l’écurie Kütü Folk. En 2019, tout se vend toujours un petit peu, mais il n’y a pas de style particulier plus exposé qu’un autre pour créer un engouement et servir de locomotive comme a pu le faire Nirvana dans les années 90. Gilbert Biat ressent surtout l’impact de la vente en ligne. Un mode de consommation qui frappe directement les commerces de proximité. « Les gens n’ont pas le temps ou n’ont tout simplement plus envie de venir en ville, de faire les boutiques » témoigne le commerçant qui ne cache pas une baisse de fréquentation significative des commerces de centre-ville en règle générale. Les années florissantes pour Spliff sont le début des années 2000. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires est divisé par deux. Heureusement, la passion est toujours là pour maintenir le bateau à flots.
Commenter