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Le Petit Robert 1, page 1684 / Photo 7 Jours à Clermont
Chroniques

Résilience : le mot (en trop ?) de l’année 2020

Cadeau en retard : une définition du mot probablement le plus galvaudé de 2020. Il nous intrigue, nous fascine, nous énerve ... c’est bien de la fameuse “résilience” dont je voudrais vous parler, à la manière d’Albert le Dictionnaire. Sans oublier une chose : c’est parce que les mots font l’actualité qu’on les utilise souvent mal. Et, s’ils font l’actualité, c’est parce qu’ils correspondent à un enjeu fort du moment.

Résilience à tous les étages : c’est un peu le sentiment que l’on a en cette toute fin d’année. A part les déprimants “pandémie”, “Covid”, “pangolin” ou le plus technique “ARN messager”, il y a sans doute eu peu de termes davantage utilisés en 2020. Même notre Président de la République s’y est mis, en parlant le 13 avril dernier de “résilience (…) pour faire face aux crises à venir”.

Un bon point, déjà. La résilience est bien liée aux crises. Et plus précisément aux traumatismes : on parle ici d’un choc d’origine exogène, qui impacte subitement et structurellement un organisme. La résilience serait donc, d’une manière générale, la capacité de cet organisme à se “reconstruire” après le choc et à retrouver une existence à peu près normale. Mais cela mérite quelques approfondissements.

Matériaux, psychologie

Le terme “résilience” vient du latin resilire, qui signifie “rebondir”. On le trouve d’abord dans les sciences dures, dès le XVIIème siècle, pour qualifier le phénomène acoustique de l’écho (résilience des ondes sonores) ou la capacité d’un matériau à “absorber” un choc (résilience d’une balle en caoutchouc, par exemple). Cette notion de robustesse et de “survie” va par la suite imprégner le terme de résilience, y compris dans ses usages futurs, et lui conférer une connotation positive.

C’est en 1942 que la notion est appliquée aux humains, en tant que qualité comportementale. Mildred Scoville, spécialiste de la santé mentale, parle ainsi des enfants survivants de la Seconde Guerre mondiale qui développent une “incroyable résilience”. Plus généralement, le terme semble correspondre à ce qui est observé chez les enfants victimes de traumas sévères – comme dans les cas de maltraitance – et qui parviennent malgré tout à se construire et à se développer.

En France, c’est Boris Cyrulnik qui a popularisé dès les années 1970 la notion de résilience en psychologie. Elle peut alors être définie comme la capacité d’un individu à vivre et à se développer après un traumatisme (perte d’un être cher, maladie, agression, accident …) et – de manière plus générale – malgré l’adversité. Pour autant, chaque traumatisme laisse une marque au fond de la personne qui le subit. D’où l’importance de situer la résilience psychologique dans le développement de mécanismes post-trauma, qui se font souvent de manière collective et accompagnée.

Organisations, management

D’individuelle, la résilience devient peu à peu collective. Elle s’applique en effet de manière pertinente aux familles et aux communautés qui font face à l’adversité, et ce jusqu’aux organisations complexes et de grande ampleur. Dans les années 1990, les sciences politiques s’emparent de la résilience pour l’appliquer aux entreprises et aux Etats. C’est à ce moment qu’elle commence à percoler dans les discours publics, et qu’elle devient un objectif à atteindre, une qualité à développer.

Au sein des organisations (publiques ou privées), la résilience complète les processus anticipatifs trop normés et faisant peu confiance à l’homme. C’est notamment le cas dans la sûreté industrielle, au sein de sites très sensibles comme dans les centrales nucléaires : si l’approche de “stock” (prévoir les défaillances des infrastructures, établir des systèmes de contrôles ou de redondance) se comprend, elle doit être complétée d’une approche de “flux” qui mise sur l’adaptation de l’humain face à l’imprévu et la génération dynamique et créative de nouveaux processus. Compilés en “bonnes pratiques”, ces enseignements alimentent la résilience des organisations.

Écosystèmes naturels

On aura compris que la résilience ne s’épanouit vraiment qu’au sein des systèmes complexes : individus, groupes, organisations. La diversité des apports, la plasticité des liens, la possibilité de voies alternatives sont des critères indispensables pour s’adapter et se “sublimer” face à un choc imprévu.

Mais n’oublions pas que la résilience est d’abord née dans les sciences dures, et qu’elle ne concerne pas que les humains. C’est pour cela que le concept a fait florès dans l’écologie des années 1970, au sujet des écosystèmes naturels. Assurément, il s’agit de systèmes complexes (à voir la composition et les mécanismes à l’oeuvre dans n’importe quelle forêt) qui sont soumis à un “stress” majeur – celui du dérèglement climatique – et qui peut se traduire par des événements extrêmes, des chocs – tempêtes, incendies, canicules, inondations …

Or, la nature est par essence résiliente, sans quoi nous ne serions pas là pour l’analyser. Si les premiers mammifères (des rongeurs) ont survécu à la météorite qui a anéanti les dinosaures voici 63 millions d’années, si les forêts ont pu alors se reconstituer après une vague de chaleur de 400 degrés sur la planète et un ciel obscurci pendant des mois, c’est bien une preuve de résilience.

Mais la résilience de l’environnement conditionne celle des humains : les premiers travaux scientifiques sur ce thème apparaissent dans les années 1950, avec les psychologues Emmy Werner puis Michel Rutter. Ils montreront à quel point une personnalité résiliente est étroitement liée à un environnement résilient. En d’autres termes, une personnalité devient résiliente parce que son environnement lui offre du soutien. D’où le travail sur la résilience nécessaire des organisations … et des territoires.

Territoires

Car la vraie “valeur” de la résilience concerne bien les sociétés humaines. La nature nous survivra toujours, sous une forme ou sous une autre. Nous savons – d’autant plus après cette année 2020 – que nos sociétés sont mortelles. Etant donné que le dérèglement climatique que nous avons causé va encore produire de nombreux “chocs” dans les années à venir, il me semble que les deux grandes questions sont : comment devenir résilient en tant que sociétés – au-delà des individus et des organisations ? Et : comment travailler sur le contexte de survenue de ces chocs, afin d’en réduire progressivement la fréquence et l’impact ?

J’ai un élément de réponse à vous proposer … et (désolé) c’est un autre mot assez galvaudé : le territoire. Si les acteurs d’une société – les individus, les entreprises, les collectivités, la “société civile” – se mettent à échanger dans un but de résilience au niveau du territoire qui les unit, et dans une logique d’amélioration long-terme de la situation, une approche commune et partagée peut voir le jour. L’important est de réaliser que nous sommes tous habitants d’un territoire qui nous est cher, et que, si ce territoire est menacé par le dérèglement climatique, nous devons nous unir pour trouver des solutions acceptables et applicables rapidement. C’est le concept ultime, sans doute le plus compliqué à atteindre, de “résilience territoriale”.

Pour conclure, peut-on être résilient en souhaitant juste “revenir à la normale” ? Quel est la définition de la normale dans ce cas : est-ce la situation antérieure au choc ? Mais, il se peut que ce soit cette situation qui ait engendré le choc. Après un traumatisme, veut-on réellement revenir à un état qui peut en engendrer un second, voire un troisième, dans un organisme potentiellement affaibli par le premier ?

C’est pourquoi il me semble capital de lier résilience et transition, dans le sens de changement de modèle structurel. Dans le cas de la résilience territoriale, il sera donc nécessaire – au-delà de la préparation, de la survie, du dépassement des chocs – de travailler sur le “fond”, c’est à dire d’imaginer et de mettre en place une société et une économie qui ne dégradent plus les écosystèmes qui les font vivre, et qui réparent les dégâts causés. C’est le seul moyen de réduire l’impact et la fréquence des chocs, si ce n’est pour nous, au moins pour nos enfants.

Et une bonne résolution 2021 pour terminer : ne pas refuser un mot parce qu’on ne le comprend pas, ou parce qu’il est trop utilisé par les communicants et les politiques. Que ce soit “résilience”, mais, avant lui, “innovation”, “territoire”, “transition”, “changement”, “nation”, “peuple” … tous ces termes ont un ou plusieurs sens spécifiques. S’il faut en préciser la signification à chaque usage, il est capital de savoir les employer et les comprendre.

Sources :

  • “La résilience, nouvel horizon de société” par Marie Dupont dans Le Monde, 7 octobre 2020
  • Benoît Journé, chaire RESOH, conférence donnée à l’Open Lab du CLERMA en février 2020
  • merci à Emmanuelle Collin et à Virginie Rossigneux pour leurs contributions                                                                             

 

À propos de l'auteur

Damien Caillard

Vidéaste, entrepreneur, homme de médias, Damien Caillard "navigue" dans l'écosystème d'innovation clermontois depuis 2016 avec sa participation au Connecteur puis au Club Open Innovation Auvergne. En 2018, suite à la démission de Nicolas Hulot, il choisit d'orienter son action professionnelle sur la transition écologique et sociale et sur la résilience territoriale. Pour ce faire, il édite un média dédié (Tikographie), organise des événements à Epicentre Factory et développe une offre d'accompagnement des groupes humains à la transition et à la résilience.

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