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La Résidence Europe à Chamalières : une architecture marquante.
La Résidence Europe et ses 175 logements : une architecture emblématique des années 60.
Histoire Immobilier Patrimoine

Résidence Europe : de l’architecture des années 60 en phase avec son site

Point d'attraction du carrefour Europe chamaliérois, la résidence du même nom, projet des architectes Faye & Tournaire, demeure un vibrant témoignage de leur conception de l'architecture, où l'habitat ne se pensait pas en dehors de son environnement.

C’est au printemps 1964 qu’un nouveau chapitre s’ouvre pour la parcelle 704 du cadastre de Chamalières. Un 27 avril, date à laquelle elle fait l’objet d’une demande de permis de construire. Par « le cabinet Fournol » précise le service Urbanisme de la ville. Prélude à un plan d’urbanisme plus large visant à homogénéiser le quartier. Changement de décor pour ce terrain d’un hectare et demi et nouveau projet pour l’agence Faye & Tournaire, en activité entre 1955 et 1999. Si le duo d’architectes est notamment connu pour ses réalisations dans le Sancy, il aura également marqué de sa signature le paysage urbain de Chamalières avec ses constructions du carrefour Europe (ancien Conseil régional, médiathèque) et ses nombreuses résidences (la résidence de France, Sainte-Madeleine). Certaines appartiennent désormais au patrimoine architectural local. C’est le cas du complexe résidentiel de La Source Vive, niché dans un clos de verdure, non loin de la Banque de France. Labellisé en 2015 au « Patrimoine du XXe siècle » par le Ministère de la Culture. Reconnaissable à son béton brut et ses terrasses-bateaux japonisantes. Quant à la parcelle 704, située à quelques mètres à peine au-dessus de la jonction entre l’avenue de Royat et la rue Pierre-Poisson, elle abrite la résidence Europe. Une architecture moderne aux influences multiples, dont la plus manifeste est celle de Le Corbusier.

Qui aura nécessité du temps

Construite sur pilotis.

Paquebot tout en courbes et lignes, Europe se détache dans le panorama urbain, en retrait de la chaussée. Sobre. Visible des rues alentour, la résidence bénéficie d’une configuration topographique favorable – sur la pente douce d’une ancienne coulée de lave -, et d’une intégration harmonieuse à l’environnement. Une volonté de ses architectes qui tiendra à signifier l’approche de leur métier dans un essai au sous-titre explicite : « Sites et sitologies, comment construire sans casser le paysage. » (1) Dialogue entre les espaces autour d’une structure de béton précontraint en forme de Y. Déclinaison du siège de l’UNESCO, à Paris. Idéale pour éviter les vis-à-vis. « Le lien entre espace public et les lieux communs aux habitants est fondamental dans tout projet de logement  » (2), expliquent-ils. Sur ses façades incurvées – pour « éviter l’aspect inerte des grands ensembles » -, courent des balcons filants en altuglas. Des baies vitrées. Autant de transparence et de lumière pour les 175 logements que compte l’immeuble. Autre caractéristique : il est édifié sur pilotis. Un type de construction prisé de l’architecture moderne et popularisé par Le Corbusier. Un choix qui, dans ce cas précis, ne participe pas seulement d’un courant ou d’une tendance mais d’une contrainte géologique. Le terrain se trouve sur d’anciens marécages, dans une zone inondable. « D’aléa moyen à fort  » , commente le service Urbanisme. Il a donc fallu « protéger le bâtiment de l’humidité du sol  » et appliquer les règles parasismiques. La commune est en effet classée en zone de sismicité modérée. Un chantier qui nécessita de lourds travaux. Pas moins de deux ans pour les fondations et près de deux avant son achèvement.

Le goût des finitions et du détail

L’une des entrées.

De superficie variable, les entrées sont ventilées de chaque côté de l’immeuble. Sous des préaux ouverts. Constituées de pans vitrés afin d’assurer la continuité des espaces – entre extérieur et intérieur -, comme fréquemment dans l’architecture moderne. Avec des aménagements personnalisés selon les halls. Du sur-mesure. Dans une attention portée à la diversité des matériaux afin d’en accentuer la richesse et « ennoblir les matériaux primaires (…) qui doivent être envisagés dans leur relation avec les textures avoisinantes. » Car pour le binôme, formes, perspectives, échelles, volumes, textures, lumières, contrastes, tout se pense. Et l’empreinte visuelle d’un bâtiment est essentielle. D’elle naît l’émotion esthétique. C’est pourquoi ils s’appuient sur les sciences de la psychologie et de la communication. Entre autres, la Gestalt théorie et la sémiologie (3). Pour l’aménagement extérieur (pavements, dallages, bassins, allées), Faye & Tournaire optent, là encore, pour des matériaux multiples. Minutieusement choisis. Une étape qu’ils ne négligent jamais. Des matériaux naturels, minéraux. De l’ardoise, des galets, du gravier. Dans des espaces dessinés. Paysagés. A chaque façade, son espace de végétation. Plan de jardin d’inspiration classique pour l’une. Minimaliste pour l’autre. A l’ambiance zen. Hommage, semble-t-il, à Frank Lloyd Wright. Faye & Tournaire ayant toujours eu à cœur, comme le célèbre architecte américain, d’harmoniser dans leurs projets environnement et habitat. « L’attitude envers la nature et le site est un aspect important dans la création de la forme d'(une) maison et la relation existant entre l’homme et le paysage est le premier aspect qu’un (architecte) doit considérer. »

L’histoire d’une rencontre entre un lieu et un jeune architecte

Un minimum de verdure au milieu du béton.

« Tous les détails, ils les ont pensés« , témoigne Valentin Phelut, architecte en retraite qui connaît bien la résidence Europe. Sa genèse. Son premier contact avec l’immeuble remonte à plus de 50 ans. Sur le chantier de sa construction, à l’occasion d’un stage de fin d’études. Valentin avait alors 19 ans. Le chantier touchait à sa fin. De cette période il garde un souvenir tendre, comme son expérience dans l’agence, qu’il intègre peu de temps après. Il y restera sept ans. L’agence était à deux pas, juste en contrebas. Familier cet endroit, pour lui. Hier comme aujourd’hui. Retrouvé quelques décennies plus tard, quand une fois la retraite sonnée et de retour dans la région, il dénichera son Home Sweet Home en haut d’Europe. L’histoire d’une boucle enfin bouclée. De confier, enthousiaste : « Par jour de beau temps, on peut voir jusqu’à 40 km à la ronde. La vue est imprenable sur la montagne thiermoise. » Et d’enchaîner sur des considérations d’ordre architectural qui dénotent son attachement à l’édifice. La nécessité de garder intact le bâti. De ne pas altérer l’intégrité du béton brut. Témoignage d’une époque d’après-guerre cette matière, dont Le Corbusier disait : “Puissent nos bétons si rudes révéler que, sous eux, nos sensibilités sont fines…” (4) Soin qui, de toute évidence, n’aura pas été pris à l’observation de la corniche, biffée de grossières retouches de maçonnerie. Valentin le déplore. De nuancer : des règlements protègent la résidence, elle qui, par ailleurs, est soumise à un entretien régulier.

Et de la technique en creux

Comme toute résidence, Europe a ses secrets. Le sien, c’est son étage fantôme, dédié à la partie technique. « Très bien coulé (…) De l’épaisseur d’un faux-étage. » Qui pour connaitre les recoins de ce vaisseau aux innombrables couloirs ? Ses architectes. Ses résidents, anciens ou actuels. Et, bien sûr, les techniciens de la maintenance. Pour les passants, promeneurs, flâneurs et autres usagers, en revanche, la résidence Europe n’a rien de fantômatique, même si un passage permet de la traverser. Une présence qui se fond dans le paysage environnant. Stylée. L’histoire d’une harmonie qui relève de tout sauf du hasard.

(1), « Sites et sitologie« , Paul Faye, Bernard Faye, Michel Tournaire, Alain Godard, éditions J.J Pauvert, octobre 2012
(2), in « Sites et sitologie« , Paul Faye, Bernard Faye, Michel Tournaire, Alain Godard, éditions J.J Pauvert, octobre 2012
(3), « La Structure absente : Introduction à la recherche sémiotique« , Umberto Eco, Mercure de France, 1972
(4), « Le Corbusier et la question du brutalisme, LC au J1« , sous la direction de Jacques Sbriglio, Collection : Architectures, éditions Parenthèses, 2013

 

 

À propos de l'auteur

Sandrine Planchon

Après une prépa lettres et des diplômes en sciences humaines, Sandrine Planchon s'oriente vers la radio. Depuis 1999 elle travaille différents formats sur Altitude, Arverne, RCF, RCCF. Investie depuis 2015 dans un projet sur le numérique avec Elise Aspord, historienne de l'art, elle encadre aussi depuis 2014 les projets d'étudiants du Kalamazoo College (US).

1 Commentaire

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  • Juste une précision à cet excellent article, sauf erreur de ma part cet espace était en grande partie occupé précédemment par l’Usine de cycles et motocycles Favor… merci de mettre en avant l’architecture contemporaine qui est souvent bien ignorée….

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