Qui est-il ce premier ministre effacé, terne, obéissant? Un personnage de l’ombre, chargé d’entreprendre des réformes pour le bénéfice d’un autre qui, bien-sûr, espère en recueillir les fruits ? Un transfuge du Parti Républicain , tendance Alain Juppé, converti aux bienfaits du macronisme ? Un homme à barbe barbant? Ou un opportuniste à la recherche d’un peu de gloire politique, d’une place de choix sur l’échiquier républicain aux côtés d’un président omnipotent?
Homme de l’ombre
Edouard Philippe, en tous cas, convient pour le moment au monarque absolu. Il est discipliné, pas trop bavard, pas trop brillant… Un bon équipier, un gregario, dont l’ambition, en réalité, ne saute pas aux yeux. Bref, il n’est pas prêt à lui faire de l’ombre. Et si les choses devaient se gâter pour l’homme de l’Elysée, si le ciel devait s’obscurcir, si les futures élections municipales (de 2020) devaient tourner au fiasco pour son parti, alors il serait temps de s’en débarrasser et de le renvoyer à sa bonne ville du Havre, où le vent océanique lui garantira un peu de fraîcheur même au plus fort de l’été. Il pourrait même s’y rendre en voiture sur des routes dont il a fixé lui-même la vitesse à l’aberrante barre de 80 km/h. En ce cas, peut-être, après tout, pourrait-il porter le chapeau ?
Un Ayrault, un Raffarin
Dans la galerie des premiers ministres de la Ve République, Edouard Philippe appartient assurément à la catégorie des « bons soldats », des dociles, des sans éclat. A l’image d’un Michel Debré, obligé d’avaler des couleuvres, en l’occurrence l’indépendance de l’Algérie dont il était, à l’origine, un farouche opposant ; des « obscurs » Maurice Couve de Murville, Pierre Messmer et Jean-Pierre Raffarin, simples porteurs d’eau du Président de la République, ou bien encore d’un Jean-Marc Ayrault, lui aussi maire d’une ville de l’ouest, avant de devenir le premier ministre dévoué et transparent de François Hollande. Cette discrétion semble condamner l’actuel locataire de Matignon à disparaître du paysage politique national dès lors que Macron s’en sera lassé et qu’il l’aura renvoyé à une plus modeste condition.
Contre-exemples
Car pour exister et rebondir au-delà de la fonction, l’histoire en témoigne, un Premier Ministre doit savoir marquer son territoire, se distinguer, taper du poing sur la table et sortir des rangs. Georges Pompidou, en 1968, et Jacques Chirac, en période de cohabitation, avaient joué cette carte avec succès au contraire de Michel Rocard, « désamorcé » par le machiavélique François Mitterrand. Lionel Jospin fut près de parvenir à ses fins et Alain Juppé, pourtant programmé pour réussir, fut emporté par sa fidélité maladive à Chirac, jusqu’à rejoindre le Canada après avoir ressenti La tentation de Venise. Quant à Manuel Valls, qui a perdu sa boussole politique, il n’a sans doute pas renoncé à retrouver le haut de l’affiche.
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