Celle des hommes qui répugnaient à laisser des jupons prendre le pas de leurs bottes
crottées ou derbys de salon.
Gertrude Bell fut de celles-ci, remise dans sa pugnace et nostalgique lumière sous la plume d’Olivier Guez.
Si le romanesque qui ponctue son dernier roman (1) n’offre guère d’intérêt que des amours contrits et déçus, c’est toute l’agitation parfois furieuse d’impérialismes, renaissant de la boue et du sang des tranchées de Verdun et des plaines de la Somme, dans lequel nous plonge l’auteur, avec gourmandise et fascination.
Il nous raconte le façonnage d’un monde par l’arbitraire, l’appétit et la force des vainqueurs dans la défaite de l’empire ottoman moribond, allié de l’Allemagne vaincue. Ou plutôt de cette partie du monde sans continuité historique, sociale et politique. Ce Proche et Moyen Orient, cette Mésopotamie qui quittait le joug des turcs sans ordre, mais avec du pétrole. Sous le regard de la Perse voisine. Nous étions dans les années 20.
Dessiner un monde
La nouvelle carte de la région se dessinait à laquelle Gertrude Bell, anomalie féminine dans un monde d’hommes, influenceuse avant l’heure de talent et de culture, spécialiste des mondes perses et arabes, fit plus que contribuer et imposa ses vues et certitudes.
Plus qu’un découpage, un dépeçage d’un monde en devenir qui attise aujourd’hui encore et non sans liens la coupable fureur des armes et le drame des peuples. Chaque puissance d’alors, la couronne d’Angleterre en tête, jouait des coudes, des canons et des complots pour s’arroger et se partager les parcelles de ces contrées de déserts et d’oasis, de tribus et de nomades.
Déjà la question d’un foyer national juif perçait dans les débats, avec la bienveillance de potentats arabes. Déjà la question palestinienne était ignorée des puissants comme des chefs de tribus. Ils aspiraient à devenir rois et à régner sur des nations de papier. Déjà, ou plutôt toujours, le sunnisme cherchait à s’affirmer ainsi face à la Perse et aux tribus chiites.
Déjà la maîtrise du pétrole assoiffait les empires qui en avaient bien perçu tout l’enjeu à venir. Déjà l’Amérique s’immisçait dans ce « grand jeu », avant de pouvoir s’imposer au monde.
C’était écrit ! Et dans ces temps d’effroi qui s’abattent sur le Proche Orient, les mots d’Olivier Guez, relatant cette dorénavant lointaine histoire sur les traces de Gertrude Bell, éclairent tout autant et agréablement que la lecture plus ardue du Monde Diplomatique. Il n’y a pas d’antagonisme, ce serait même complémentaire.
(1) Mésopotamia, d’Olivier Guez Éditions Grasset, 2024
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