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Jessy Trémoulière / photo Yves Meunier
Jessy Trémoulière / photo Yves Meunier
Économie

Jessy Trémoulière : « redonner à ce métier ses lettres de noblesse »

Installée en Haute-Loire en Gaec sur une exploitation bio de 290 hectares en production laitière, Jessy Trémoulière enlève ses crampons et livre ses ressentis sur la crise que traverse sa profession.

Jessy Trémoulière est connue comme la meilleure joueuse de rugby à XV du monde et meilleure joueuse de la décennie 2010-2020, titres qui lui ont été décernés par World Rugby. Titulaire de l’équipe Elite de l’ASM Romagnat, cette native de Beaumont a décidé de mettre fin à sa carrière internationale à l’issue du Tournois des Six Nations au printemps 2023, car porter le maillot bleu de l’Équipe de France et celui  jaune et bleu de Romagnat devenait incompatible avec son activité principale d’agricultrice. Jessy Trémoulière est en effet installée en Gaec, avec son père et son frère, sur une exploitation laitière en production bio, sur 290 hectares à Bournoncle Saint-Pierre en Haute-Loire. Elle nous à livré ses ressentis à propos de la crise que traverse sa profession :

« Les actions devraient peut-être se concentrer sur la grande distribution »

Philippe Thivat : La colère agricole gronde depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Quel est ton avis sur ce sujet ?
Jessy Trémoulière : La colère est effectivement légitime dans ce milieu qui est en souffrance. Après il faut faire attention à ce que tous ces blocages sur les autoroutes ne se retournent pas contre nous. Cela embête les gens pour aller travailler même s’ils nous soutiennent vivement. Les actions devraient peut-être se
concentrer sur la grande distribution.

P.T : Un monde agricole très cerné par des multitudes de lois et de normes ?
J.T : En tant qu’exploitants agricole nous avons le monopole sur rien car c’est l’Europe et les marchés mondiaux qui commandent. Nous sommes tributaires de pas mal de choses et de gens ; ce qui fait que nous ne maîtrisons pas grand-chose dans notre profession. Sur nos 3 productions de lait, de viande, et de céréales, les prix nous sont imposés et nous n’avons pas la main dessus.

P.T : Votre ferme étant tournée vers le bio, certains sujets vous sont épargnés ?
J.T : Effectivement il y a certaines revendications où nous nous y retrouvons pas comme le glyphosate par exemple où le domaine des haies. Nous avions déjà anticipé sur ce sujet via notre cahier des charges imposé par notre orientation en agriculture bio. Nous faisons des efforts sur la biodiversité et nous en avons un peu marre que ce métier soit stigmatisé comme « pollueur ». Il est temps que cette profession retrouve ses lettres de noblesse.

« Valoriser les produits de notre territoire »

P.T : Le marché du libre échange n’épargne pas l’agriculture de notre pays ?
J.T : Notre pays importe des poulets d’ Ukraine, des œufs de Pologne, du bœuf en Nouvelle-Zélande, du porc de Roumanie qui sans parler de l’impact
carbone que cela procure met en grandes difficultés l’éleveur français qui peine à valoriser son produit. Nous avons tout sur notre sol pour nous alimenter de la meilleure façon possible.

P.T : Il faut donc encore mieux communiquer sur le fait de bien se nourrir ?
J.T : Oui il est important de mieux communiquer. Après c’est aux consommateurs d’aller chercher directement chez les producteurs. Plus nous allons passer par des intermédiaires, plus le produit sera cher. C’est une question de réflexion aussi sur ce que nous voulons manger pour rester en bonne santé. L’alimentation, c’est le carburant de notre organisme, alors autant essayer de manger sainement. Mais tout cela part d’une meilleure communication, d’une meilleure pédagogie comme il se fait avec les PAT, (projets alimentaires territoriaux) mettant en valeur les producteurs et éleveurs locaux. Nous avons la chance d’avoir un territoire pourvu de produits agricoles de qualité ; peut-être faut il encore mieux le valoriser. La présence des AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) est aussi une chance pour mieux s’alimenter.

P. T : L’avenir de l’agriculture en passe par là ?
J.T : Il y a de moins en moins d’agriculteurs et notamment en productions laitières. Il faut arriver à rendre de nouveau le métier attrayant et lui donner une meilleure lisibilité sur le long terme . Sans agriculture comment faire pour bien se nourrir ? Il faut avoir plus de réflexion que cela et que les gens qui pondent des lois viennent nous rencontrer et passent du temps sur le terrain. Ils se rendront compte de la réalité du quotidien des agriculteurs.

P.T : Pour conclure,  faut-il trouver rapidement une issue à cette crise ?
J.T : Nous entendons de belles paroles venues d’en haut mais finalement rien ne bouge vraiment. Il va falloir attendre les prochains jours qui vont être décisifs. Nous nous sentons un peu isolés par moment malgré notre motivation et toute la passion que nous portons à notre profession.

À propos de l'auteur

Philippe Thivat

Philippe Thivat, est correspondant d’un hebdomadaire dans l’Allier et intervenant auprès de l’ASM Romagnat rugby féminin en tant que rédacteur journaliste sportif. Il est également engagé dans le rugby citoyen qui œuvre grâce à ce sport à l’intégration des personnes handicapées et de personnes migrantes.

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