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Dominique Bourg, philosophe, co-commissaire de l'exposition "Demain est annulé" / Photo 7 jours à Clermont
Dominique Bourg, philosophe / Photo 7 jours à Clermont
Culture Économie

Pour Dominique Bourg, philosophe, co-commissaire de l’exposition « Demain est annulé », le monde est en déshérence

Est-il possible de rêver ensemble un monde plus sobre ? Cette sobriété peut-elle faire émerger une société plus harmonieuse et plus juste ? Tel est le questionnement posé par l'exposition "Demain est annulé, de l'art et des regards sur la sobriété" présenté actuellement salle Gaillard. Installations, photographies, vidéos, peintures, musique... apportent des éléments de réponses.

L’exposition Demain est annulé, de l’art et des regards sur la sobriété présentée actuellement à Clermont propose « une déambulation onirique et parfois critique qui, loin de vouloir prescrire, donne matière à penser sur notre rapport à la sobriété ». Le visiteur pourra appréhender à travers les œuvres de 23 artistes français et internationaux, les effets réels du changement climatique et explorer les différentes voies permettant d’y faire face.
Cette exposition initialement présentée à la Fondation groupe EDF à Paris avait déjà accueillis 51 000 visiteurs avant d’être présentée à Clermont. Elle a été conçue par un commissariat tricéphale à la fois scientifique et artistique composé de Nathalie Bazoche, responsable du développement culturel de la Fondation groupe EDF, Patrice Chazottes, ex-directeur de Clermont-Ferrand Massif central 2028 et Dominique Bourg, philosophe présent lors du vernissage.

Demain est annulé, un autre regard sur le monde contemporain

Olivier Perrot : Quel regard portez vous sur le monde contemporain et son mode de fonctionnement ? 
Dominique Bourg : Nous avons réalisé notre humanité dans la réalité consumériste. C’est avoir un statut et l’exprimer par la possession d’êtres, de choses et de services… et cela ne marche pas, ne marche plus. En fait, on y croit plus vraiment même si l’on continue, par inertie, à consommer, et l’on sent très bien que l’on est dans un monde en déshérence, que tous les repères se délitent et effectivement, qu’il va nous falloir inventer une nouvelle manière d’être humain. En général, cette manière d’être humain est inséparable de la manière dont une société entretient ses relations avec la nature.

O.P : Faut-il changer radicalement notre comportement vis à vis de l’exploitation des ressources  ?
D. B : Pourquoi doit-on consommer ? Parce qu’on a l’idée que la terre n’a pas de sens, pas de valeur que ce n’est qu’un stock de ressources et qu’on doit l’exploiter. Donc pour exploiter ce stock de ressources, il faut être consumériste. On doit changer ces deux choses là. On ne doit plus du tout voir la nature de la même manière… c’est en train de se faire… et puis il va falloir maintenant que l’on invente une façon de réaliser notre humanité en fonction de cela. Donc, le monde, matériellement, va un peu se resserrer, il est en train de se resserrer. Il va même de se rapetisser parce que les parties de la terre habitables vont diminuer et on ne récupérera pas ce que l’on va perdre, on récupérera moins et dans des conditions plus difficiles. Si vous voulez amener 300 millions de personnes chez Poutine, vous aurez quelques problèmes mais en même temps on va pouvoir développer des aspects que l’on a pas su développer. Des aspects en terme de relations sociales mais aussi en terme de spiritualité, de dépassement de soi. Cela j’en suis assez persuadé. Si on n’arrive pas à connecter les deux, l’effort n’aura pas de sens, la confrontation à ce qui est dur va devenir un simple pensum et là, on y arrivera pas.

O.P : L’art est-il un média efficace pour guider les comportements ?
D.B : L’art est déjà une façon d’éviter que l’on ergote. Le climato-sceptiques, on ne sait pas où il va chercher son climato-sceptissisme, mais il va ergoter sur tout. Quand on montre des œuvres, on a plus à faire des espèces de bouts de sens discrets, que l’on peut simplement critiquer pour se faire les dents et passer son agressivité. Pour une œuvre, c’est beaucoup plus difficile de se laisser transporter, se laisser inviter par l’œuvre, mais là, la critique débile ne marche pas. Cela ouvre sans doute plus l’imaginaire qu’un discours.

Demain est annulé,  œuvre 2 / Photo 7 Jours à Clermont

« Ce qui nous fiche dedans c’est d’avoir une relation purement économique avec la nature »

Olivier Perrot : Selon vous, les politiques qui dirigent le monde ont-ils un comportement à la hauteur de l’urgence ? 
Dominique Bourg : Je dois quand même vous avouer que c’est une engeance qui me désespère. Mais ils seraient moins désespérants, en fréquentant plus les expositions.

O.P : Finalement les œuvres présentées dans Demain est annulé montrent que les discours économiques ne sont pas compatibles avec l’écologie.
D.B : Oui totalement… justement ce qui nous fiche dedans c’est d’avoir une relation purement économique avec la nature. L’IPBES qui est l’équivalent du GIEC pour la biodiversité distingue quatre relations avec la nature. On tire des ressources de la nature, on vit dans un écosystème, on vit avec d’autres vivants non humains et on peut aussi vivre en tant que nature, c’est à dire imaginer que l’on peut s’identifier à quelque chose de plus grand que nous qui nous oblige et qui pourrait déboucher sur les droits de la nature. C’est une erreur de penser que l’on peut bazarder ces dimensions.

O.P : Quel exemple pour illustrer ces relations défaillantes ?
D.B : Je vais prendre l’exemple d’Ebola : d’où c’est venu ? Les Aka, les pygmées qui vivaient dans la forêt congolaise étaient très proches de la source d’Ebola, mais pour eux, les bois étaient sacrés, ils n’y allaient jamais. Quand ils rencontraient un animal mort, même fraîchement mort, leur sagesse leur interdisait de le toucher et ils ne se sont jamais payé Ebola. Mais à partir du moment où l’on a pensé que la nature n’était qu’un stock de ressources, que l’on ne devait faire attention à rien, qu’un animal mort est de la viande que l’on peut vendre sur un marché, qu’un bois sacré, non mais faut pas déconner, c’est du vivant que l’on peut vendre, c’est du bois que l’on peut exploiter… il arrive la catastrophe et le malheur. Donc il va falloir que l’on apprenne à remettre l’économie à sa place, mais effectivement nos amis politiques ne nous y aident pas beaucoup.

Demain est annulé, de l’art et des regards sur la sobriété : Salle Gaillard, 2 rue Saint-Pierre à Clermont,  jusqu’au 22 février 2025, du mardi au samedi de 9h30 à 12h30 et de 13h30 à 18h (sauf jours fériés). Entrée libre
Œuvres de : Rita Alaoui, David Ancelin, Bianca Argimon, Art Orienté Objet, Joachim Bandau, Neil Beloufa, Chloé Bensahel, Hicham Berrada, Dominique Dalcan, Odonchimeg Davaadorj, Leandro Erlich, Gabriele Galimberti, Mierle Laderman Ukeles, Franck Lundangi, Philippe Rahm Architectes, Rero, Marike Schuurman et Moffat Takadiwa.

Demain est annulé œuvre 1 / Photo 7 Jours à Clermont

Demain est annulé est la seconde exposition présentée à Clermont avec la Fondation EDF après Faut-il voyager pour être heureux ?  en 2023

À propos de l'auteur

Olivier Perrot

Pionnier de la Radio Libre en 1981, Olivier Perrot a été animateur et journaliste notamment sur le réseau Europe 2 avant de devenir responsable communication et événements à la Fnac. Président de Kanti sas, spécialisée dans la communication culturelle, il a décidé de se réinvestir dans l'univers des médias en participant à la création de 7jours à Clermont.

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