Accueil » Culture » « Confinement » : le conte de Jean-Yves Lenoir en intégralité
Jean-Yves Lenoir.
Culture

« Confinement » : le conte de Jean-Yves Lenoir en intégralité

Acteur, metteur en scène, enseignant la diction et l’art dramatique, Jean-Yves Lenoir dirige depuis 1977 la compagnie de théâtre Le Valet de Cœur à Clermont. Cet homme de théâtre cultive aussi une passion pour l’écriture. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, poèmes, romans, pièces de théâtre, couronné par plusieurs prix nationaux et régionaux. En exclusivité, 7 Jours à Clermont vous propose de découvrir « Confinement », un conte ô combien d’actualité qu’il a écrit au printemps dernier, alors qu'il était reclus chez lui comme la plupart des Français.

– 1 – 

On m’enferma d’abord dans une maie. C’était un meuble long, spacieux, je m’y allongeai avec aisance et n’eus même pas à replier mes jambes. Il me parut que cette maie était ancienne, proche de celle que nous avions autrefois dans la cuisine de ma grand-mère maternelle. Immédiatement je songeai à ces couverts, à ces assiettes qui nous servaient quotidiennement.

— Tu te souviens ? me dis-je, assiettes creuses aux petites étoiles sur la faïence, chaque soir disposées en cercle sur la toile cirée puisque chaque soir nous mangions de la soupe ! Odeur de bouillon chaud, très chaud : elle m’emplit les narines, je retrouvai le vermicelle fumant et les petites pâtes en forme de trèfle, carreau, cœur, pique qui me faisaient réclamer :  — On joue à l’écarté, ce soir ?

À dire vrai, l’odeur légèrement salée de la soupe se mêla immédiatement à l’esprit du bois de la maie et j’éprouvai un réel bien-être à inhaler longuement le parfum sucré d’amande douce qu’exprimait le merisier blond autour de moi. J’en imprégnai tout l’intérieur de mon corps en me frottant aux six parois du meuble, à la manière, pensai-je, des animaux, des mammifères qui recouvrent l’écorce des arbres ; il me parut encore que le toucher de ce meuble était très doux comme s’il eût été de satin.

cependant, malgré l’obscurité qui m’enveloppait, je compris que le bois était bois et n’était pas étoffe et que la douceur que j’éprouvai me venait directement de ma nudité. J’étais nu dans la maie !

— Pourquoi m’ont-ils mis nu ?

J’ignorais qui étaient ces « ils », cela ne m’importait guère, personne ici ne pouvait me voir.

Durant les deux semaines que je passai dans la maie, je m’appliquai donc à poursuivre les mouvements de mon corps contre les planches de la maie, alternant caresses lentes et saccades, et le plaisir que je retirai de cet exercice renouvelé me permit d’oublier presque totalement les injonctions qu’on m’adressa de l’extérieur, dès les premiers jours :

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

– 2 –

Après ces deux semaines de confinement, il advint – je ne sais comment – que mon corps rétrécit jusqu’à me conférer désormais la taille d’un enfant de douze ans.

— C’est la preuve, constatai-je, qu’une telle métamorphose ne se rencontre pas que dans les mythes et les contes.

On me transporta dans un garde-manger. immédiatement je reconnus le garde-manger de la grand cave. Grand cave fermée par une immense porte aux planches presque jointives dessinant une hachure, la lumière y était pauvre ; très vite cependant je distinguai des formes qui m’étaient familières : le pressoir, là-bas, dans le fin fond de la cave, où mon grand-père chaque automne confectionnait un vin rouge aigrelet, la hotte en osier – les hottes en osier devrais-je dire (la grande et la petite, la mienne !) – et les quelques barriques, trois barriques, car il possédait deux vignes sur le coteau au lieu-dit « Le Brouillard » et plus loin, sur l’autre versant, une vigne à « La Touche au Mai » –, qui faisaient sa fierté.

Le garde-manger était clos par un grillage à grosses mailles de fil de fer. J’imaginai que ce réseau de mailles n’était que l’image de mon propre cerveau.

À l’extérieur les cris n’avaient pas cessé ; dans cette cave de tuffeau, ils étaient amplifiés par la pierre qui leur adjoignait sa propre énergie, ils résonnaient avec plus de force :

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

Ces cris se mêlaient aux mailles de grillage qui, du matin au soir et même la nuit, défilaient devant mes yeux ; j’éprouvais des difficultés de plus en plus nombreuses à distinguer mailles et cris, fallait-il penser que les cris avaient le pouvoir de tresser eux-mêmes le grillage ?

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

Les rats ! J’allais oublier les rats ! Les rats, par de petits grignotements continuels, tressaient également les mailles. Ils habitaient autrefois la grand cave de mon aïeul mais je n’avais nullement peur de ces petites bêtes. Petites ? allons ! énormes et bruyantes bêtes, que nous appelions, vu leur taille, des loirs.

Confiné au sein de mon garde-manger, cinquante années plus tard, je n’avais toujours pas peur des loirs même s’ils participaient de cette étrange entreprise de construction : mailles, loirs, cris.

— Une maille, un neurone, une synapse, un loir, un cri, récitai-je, une maille, un neurone, une synapse, un loir, un cri, une maille, un neurone, une synapse, un loir, un cri.

Et j’ajoutai :

— Il serait impossible que les loirs de la grand-cave se hissassent… Se hissassent ! m’écriai-je, se hissassent ! Quelle étrange forme verbale ! Quel jeu, celui de la grammaire ! Non, il convient d’écrire : il serait impossible aux loirs de la grand-cave de parvenir à se hisser jusqu’aux mailles du garde-manger.

Je découvris alors que j’avais avec moi dans le garde-manger « Le Bon Usage de Maurice Grevisse », « Le Bouquet des expressions imagées de Claude Duneton » ainsi que mon Gaffiot et mon Bailly.

— Sauvé, criai-je à nouveau. J’étais désormais captif de la grammaire française, des déclinaisons et conjugaisons latines et grecques que j’allais réviser après ces cinquante années d’oubli.

Sauvé ! Deux semaines encore pendant lesquelles je n’entendais plus les exhortations extérieures qui avaient doublé d’intensité :

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

 

– 3 –

 

Au-dessus du pressoir de la grand cave, ma mère avait installé une immense étagère sur laquelle étaient alignés ses bocaux de conserves. L’avais-je baptisée l’apothicairerie ? Je ne sais plus. Le mot était sans doute trop savant pour l’enfant que j’étais.

bocaux de conserves, petits soldats – une centaine de petits soldats, constituaient l’intendance annuelle de la troupe familiale.

Mon corps avait de nouveau considérablement rétréci, – j’avais maintenant la taille d’un garçonnet de huit ans, et l’on me glissa dans un de ces bocaux en verre. Pour l’obstruer, on fit couler une membrane circulaire de paraffine bouillante, on ajouta une rondelle de caoutchouc et l’on fit jouer la fermeture à canette. Le bocal fut placé dans un grand stérilisateur de trente litres, et le stérilisateur sur la cuisinière à gaz de la cuisine, je hurlai :

— Au secours ! À l’aide !

Mon cri ne parvenait sûrement pas à franchir la barrière de verre que constituait le bocal. En revanche j’entendais toujours avec force :

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

La stérilisation se déroula favorablement. bien sûr, une chaleur puissante, excessive, s’empara de tout mon être (j’étais nu, ne l’oublions pas !) mais – l’avouerai-je ? – j’éprouvai une sensation de bien-être identique à celle que procure un hammam.

— Hammam ! rappelle-toi, me dis-je, rappelle-toi que tu as d’abord été servus chez Lucullus (je venais de relire Plutarque) et que chez Lucullus, ton devoir de servus était de prendre un bain chaud chaque matin !

Ainsi confiné dans mon bocal à conserves, on me ramena dans la grand cave, on me plaça sur l’étagère et je reconnus autour de moi aussi bien des bocaux de fruits, pêches, poires, abricots que des bocaux de légumes, haricots verts, haricots blancs et même de champignons, trompettes de la mort et pieds de mouton.

Ma mère venait de temps à autre me rendre visite dans la grand cave, le plus souvent accompagnée de mes deux grands-mères et de ma grand-tante couturière. Les quatre femmes étaient vêtues de sarraus – je pris soin, m’aidant de Grevisse, de mettre un s et non un x à sarraus –, dont le motif à larges carreaux et la texture cireuse évoquaient en moi la toile à matelas.

—  Les femmes sont des toiles à matelas, pensai-je, les femmes sont des toiles à matelas !

Et honteux de moi-même, je me pris à rire longuement.

Elles s’asseyaient sur des pliants de toile, les quatre femmes, en cercle autour d’une grande bassine en inox et la danse des couteaux qui pelaient les fruits, qui tranchaient les légumes et les champignons pouvait commencer.

— La danse, la danse, chantonnai-je.

Mais les cris redoublaient, que ne semblaient pas entendre les quatre femmes :

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire. 

 

– 4 –

 

Cette danse avait tant marqué mon enfance, je m’agitai tant depuis deux semaines sur l’étagère que l’on décida de me soustraire à mon bocal à conserves ; je quittai la grand cave et me retrouvai dans un endroit étrange, plongé à nouveau dans une obscurité presque totale.

Qu’était-il, ce cube en bois qui me corsetait, avec un judas ouvert à hauteur du menton et des yeux ? Je découvris devant moi une scène parquetée. Oui ! une scène parquetée, c’est-à-dire la scène d’un théâtre ! J’étais donc en bas d’une scène de théâtre, j’étais dans le trou du souffleur.

— le trou du souffleur ? dis-je. Oh ! je sais bien, le trou du souffleur n’existe plus. Celui-ci doit être le trou du souffleur du théâtre où je fis mes débuts de comédien, il y a plus de cinquante ans.

Confortable malgré l’exiguïté, ce réduit, avec son petit siège revêtu de cuir, et le dossier rembourré, délicieusement élastique contre lequel il était aisé de s’assoupir ! Une odeur de bois, comme dans la maie, mais plus pointue, plus épicée, une odeur de conifère mélangée à des effluves de moisi et de salpêtre !

— Ce théâtre est désaffecté, pensai-je. Personne n’est venu jouer ici depuis des décennies !

Je haussai la voix :

— Il y a quelqu’un ?

J’aperçus au fond de la scène une lampe médiocre suspendue à un fil imitant le pendule de mon cours de physique au lycée : la servante du théâtre.

— Il y a quelqu’un ? hurlai-je.

Et je répétai :

— On doit bien m’entendre, on doit bien m’entendre, c’est le propre d’un souffleur d’être entendu !

Une voix masculine me répondit :

— Avec le confinement, tous les théâtres sont désaffectés. Ils ne rouvriront pas.

— Miracle ! m’écriai-je, il y a des semaines qu’on ne m’a pas parlé et maintenant on m’entend, on me répond !

Et de nouveau cette voix masculine, venue probablement du grill du théâtre :

— Avec le confinement tous les théâtres sont désaffectés. Ils ne rouvriront pas.

Je frappai du poing le rebord de la scène :

— Comment ? Ils ne rouvriront pas ? Tous ces sièges rouges derrière moi, ces millions de sièges rouges que je ne vois pas mais que je sais exister, sont condamnés à rester vides ? C’est impossible ! Impossible ! tonnai-je encore.

— Faites votre métier de souffleur, soufflez des textes à des acteurs invisibles, qui eux-mêmes les diront à des spectateurs invisibles, on vous a mis des dizaines de livres près de vous : Molière, Musset, Claudel, Giraudoux.

— Molière, Musset, Claudel, Giraudoux ! fis-je apaisé.

Durant trois jours et trois nuits je relus à voix haute, à voix soufflée devrais-je dire, « Le misanthrope », « Lorenzaccio », « Partage de midi » et tant d’autres pièces. J’étais épuisé mais je savais que je ne devais jamais m’arrêter, il en allait de l’avenir du théâtre.

— Faire vivre le théâtre par le souffle, pensai-je, faire vivre le théâtre par le souffle, par la pensée et j’employai de grands mots : par la communion des esprits.

Après trois jours et trois nuits devant cette scène vide, médiocrement éclairée par la servante, j’entendis enfin des pas sur le parquet.

— Délivrance ! Des pas de femme ! murmurai-je.

Car je n’en doutai pas, il s’agissait des pas de femme, feutrés, presque aériens.

Devant moi, apparurent deux jambes de femme.

— Une comédienne de théâtre, bien sûr ! m’exclamai-je joyeusement.

Dans la position étrécie qui était la mienne au sein du trou de souffleur, il m’était impossible de voir davantage que les jambes et les genoux de cette comédienne.

Mais elle était chaussée de sandalettes rouges vernies, lacées sur des socquettes blanches.

— Des sandalettes rouges vernies, des socquettes blanches, c’est toi, Janine ? criai-je en direction de la scène.

Janine était la fille de mon institutrice dans la « petite école » de Thilouze, en Touraine. Janine était ma première amoureuse.

— Janine ! Janine !

Comme toujours sur une scène de théâtre, le régisseur fait le noir à l’instant de l’acmé dramatique : Je lançai à nouveau :

— Janine ! Janine !

Et l’obscurité se fit sur la scène et dans mon trou de souffleur.

De nouveau les cris m’invectivèrent :

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

– 5 –

J’avais gardé en mémoire un objet précieux et insolite, posé sur la commode de la chambre de mes parents : une poupée de chiffon et de papier, droite sur un socle circulaire en bois noir et coiffée d’une cloche en verre. La poupée représentait une magicienne, ne devrais-je pas dire plutôt une devineresse ? tenant une longue baguette qui permettait, lorsqu’on avait soulevé la cloche, d’écarter les plis de sa jupe. Ces plis – une centaine de plis en papier de soie, composaient une harmonie de pastels : des bleus, des roses, des ocres très doux à regarder, recelant, chacun d’entre eux, un petit mot manuscrit que la baguette permettait de lire.

Encre violette passée mais encore bien lisible, écriture cursive ancienne témoin sans doute du dix-neuvième siècle, écriture féminine que je n’avais la permission de découvrir que sous la conduite de ma mère :

— Vous recevrez une visite qui vous fera grand plaisir !

Je rêvais déjà de Janine.

— Pensez à vous rendre utile, rendez-vous utile pour aimer, aimez pour être heureux.

Mon cœur chavirait pour Janine.

La missive parfois était moins amène :

— Vous vous croyez grand philosophe mais on voit l’orgueil à travers les trous de votre manteau.

Et celle-ci :

— Vous êtes le fléau des salons.

Moi, orgueilleux ? Moi, le fléau des salons ?

On m’extirpa de mon trou de souffleur.

On me transporta, sur la commode, dans la chambre de mes parents. Juché sur un socle de bois et enveloppé d’une cloche en verre de soixante ou soixante-dix centimètres de hauteur, je m’attendais, on le devine, à découvrir à côté de moi une poupée de chiffon et de papier et un pli de jupe mentionnant ironiquement :

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

Mais la poupée devineresse avait disparu et j’étais seul sous la cloche. 

Seul.

Un bruissement de papier m’interpella. Quelle surprise ! À l’autre extrémité de la commode, Janine se tenait elle-même sur un socle de bois, encapuchonnée d’une cloche en verre de même hauteur que la mienne !

— Janine ! Janine !

Je criai de joie, voulant ignorer une fois encore que nul à l’extérieur ne pouvait entendre ma voix.

— Regardez ! Sandalettes rouges vernies, socquettes blanches, Janine ! Janine !

J’étais heureux, tellement heureux de retrouver mon amoureuse qui était devenue petite, toute petite comme moi-même.

Mais je pris soudainement conscience de ma nudité : oui, j’étais nu, toujours nu après sept semaines de confinement. Je portai les mains devant mon pénis et mes testicules, comme une statue biblique tenant une feuille de vigne.

— Sept semaines de nudité ! Non ! Non ! m’exclamai-je. Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible, Janine est habillée, elle !

Habillée et tellement belle, Janine ! Une robe jaune citron, à manches bouffantes sous les épaules, un croquet rouge sur les emmanchures et sur les bras, une ceinture rouge et son large nœud sous le buste, une fleur, une pivoine rouge brodée au point de croix sur la gorge. Et les socquettes blanches de petite fille sage et les sandalettes assorties au croquet, à la ceinture, à la broderie rouges.

Je répétai en moi-même :

— A-t-elle remarqué que je suis là, très près d’elle, sous une cloche en verre, comme elle ?

J’ajoutai :

— Elle m’a remarqué, bien sûr, je suis certain qu’elle m’a remarqué : Janine a toujours été perceptive, beaucoup plus perceptive que moi, elle savait toute chose avant moi, elle devinait toute chose avant moi, c’était elle, la devineresse ! Mais ce n’est pas possible, ce n’est pas possible, peut-être n’a-t-elle pas découvert ma nudité, peut-être, trop surprise de me retrouver, n’a-t-elle vu que mon visage !

Je me qualifiai d’imbécile !

— Imbécile ! Elle a vu que je suis nu, forcément, puisque tout, absolument tout, est montré au travers de ces maudites cloches en verre. Mais a-t-elle détourné le regard ? Oui, je dis bien : a-t-elle détourné le regard par pudeur ? Et surtout, surtout, pour ne pas se sentir fautive à m’observer ?

Les cris, les cris ne voulaient pas cesser :

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

Fautive, fautive !

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire. 

 

– 6 –

Le confessionnal était imprégné d’une odeur de vin de messe, qui me tirait des haut-le-cœur. J’entendis que, derrière moi, derrière le rideau, on clouait des planches afin de barricader mon compartiment et m’empêcher de fuir.

— De quoi a-t-on peur ? lançai-je comme une provocation. — Que je coure à toute vitesse jusqu’à la porte de l’église ? Vous auriez dû me laisser sous ma cloche en verre !

— écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire.

— On tira le volet qui fermait la grille, laquelle découvrit ses losanges de bois en nids d’abeille. Le curé pouvait être l’abbé Loison, aumônier du Lycée Descartes à Tours, ou le curé Giraud qui m’enseigna le catéchisme à Villaines les Rochers : la pénombre et l’attitude compassée de ce serviteur de Dieu dans sa loge ne me permirent pas de distinguer son visage.

— Bénissez-moi, mon père, parce que j’ai péché, murmurai-je à peine distinctement.

— Depuis combien de temps ne vous êtes-vous pas confessé ? demanda-t-il.

— Depuis combien de temps ? Je ne sais pas. C’était avant le confinement.

— Quels sont vos péchés, mon fils ?

— Pendant le confinement, j’étais sous une cloche de verre, nu, nu comme un ver. En fait ce n’est pas moi, c’est Janine, je crois, qui est fautive.

— Janine est venue se confesser, elle attend dans l’autre compartiment.

— Elle est là ? Elle est là ?

Je cherchai vivement à me dégager malgré la tablette devant moi, malgré l’agenouilloir, malgré les planchettes clouées.

— Restez calme, mon fils, restez calme, vous dis-je, vous êtes prisonnier et vous ne pouvez pas rejoindre Janine. Dites-moi ce que vous avez fait avec Janine.

— J’ai… J’ai… Ou plutôt Janine… Janine était infirmière parce que j’avais la typhoïde.

— La Covid19, vous voulez dire ?

— Non, non, la typhoïde. C’était en 1954, j’avais huit ans et Janine en avait sept. Janine était infirmière, enfin…, elle faisait semblant d’être infirmière, elle jouait à être infirmière. Elle avait enfilé une blouse d’écolière, à peine rose, presque blanche, celle qu’elle portait à l’école l’année précédente. Trop courte évidemment car Janine, pendant l’été, avait grandi, trop courte et étriquée, si bien que les boutonnières tiraient sur le tissu, faisaient apparaître la peau, la culotte. Elle ne portait donc rien en-dessous, que cette culotte de coton blanc, avec son liseré imprimé de minuscules pivoines, comme le papier peint de la chambre de mes parents où j’étais couché … Alors elle a…

— Dites votre acte de contrition, mon fils.

— Mon acte de contrition ? Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités que vous nous avez révélées…

— Non ! Votre acte de contrition, mon fils. L’acte de contrition dit ceci : mon Dieu, j’ai un très grand regret de vous avoir offensé…

— Écris, écris, tu es écrivain, profite de ce temps de confinement pour écrire. 

– 7 –

Le 16 mars 2020, nous avons été tenus par le gouvernement de la France à respecter un confinement que je qualifie de strict, même s’il était permis à chacun de sortir une heure au maximum de sa demeure chaque jour et dans un rayon de un kilomètre, à la condition d’être muni d’une dérogation règlementaire.

Le 11 mai 2020, deux mois (ou presque) plus tard, nous avons eu la possibilité de quitter notre domicile, comme nous l’entendions, dans un rayon de cent kilomètres.

 

Aussitôt je me suis dirigé vers le Jardin des Prébendes dans le centre de ma ville : Tours. Un simple papillon jaune, un Citron, de la même couleur que la robe de Janine, voletait sur un parterre de pivoines. J’ai commencé à écrire.

Clermont-Ferrand, le 27 mai 2020.

Jean-Yves Lenoir.

À propos de l'auteur

Marc François

A débuté le métier de journaliste parallèlement sur une radio libre et en presse écrite dans les années 80. Correspondant de plusieurs médias nationaux, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Info Magazine (Clermont, Limoges, Allier) pendant 9 ans, il a présidé le Club de la Presse Clermont-Auvergne entre 2009 et 2013. Il est l’initiateur de 7 Jours à Clermont.

Commenter

Cliquez ici pour commenter

Sponsorisé

Les infos dans votre boite

Sponsorisé