Au printemps dernier, en conclusion de cette chronique baptisée Faust, Lucifer, Marguerite… dénonçant le miroir aux alouettes du rugby français, ma conclusion était que le coq tricolore allait se faire plumer au Japon. Point n’était besoin d’être devin pour le prédire.
Toute préjudiciable qu’elle fut, la couillonnade assumée de Vahaamahina rendue (trop facilement) responsable de notre élimination en quart de finale devant une équipe galloise méconnaissable, ne saurait masquer la réalité qui accable notre XV bien aimé de façon récurrente.
Laisser dire et ne surtout rien faire
Le drame, c’est que les dirigeants et observateurs patentés se forgent perpétuellement des raisons d’espérer dans un avenir plus radieux.
Il y a toujours assez de joueurs prometteurs avec lesquels… «…vous allez voir ce que vous allez voir dans quatre ans pour la prochaine Coupe du Monde…surtout en France !»
Depuis une décennie, la politique de l’autruche n’a fait que nous conduire dans le mur. Rappelons-nous 2011 et cette finale mondiale perdue d’un rien par les Bleus face aux Blacks (8 à 7). Un chatoyant trompe l’œil alors même que le rugby pro français souffrait déjà des maux qui l’accablent aujourd’hui à savoir trop de matchs et trop peu de joueurs de niveau mondial éligibles à la sélection nationale (disons comme ça puisqu’il apparaît à certaines oreilles très inconvenant d’entendre que les joueurs étrangers sont un brin envahissants dans le TOP 14) !
La ‘’presque victoire’’ de 2011 aura été préjudiciable en ce sens que le refrain ‘’vous voyez bien qu’on peut rivaliser avec n’importe qui…’’ a occulté toute raison et, donc, toute obligation de réformer quoi que ce soit.
Le pragmatisme anglais
Le coup de pied aux fesses du 2 novembre ne doit pas masquer une réalité : le XV de la rose, auteur d’une somptueuse demi-finale face aux Néo-Zélandais, est installé au top niveau mondial, bien au-dessus du XV tricolore.
Au moment où la France s’endormait sur ses demi-lauriers de 2011, la pragmatique RFU (Fédération anglaise) mettait en place la règle des EPQ (England Qualified Player) destinée à limiter le recours à une main d’œuvre étrangère jugée néfaste à la sélection nationale. Depuis dix ans les clubs de première division doivent ainsi aligner au moins 70% de joueurs de nationalité anglaise sur les feuilles de match. Pas étonnant de constater l’efficacité de la formation et la richesse des effectifs mis à disposition des sélectionneurs anglais.
Pendant ce temps la France, patrie du concours Lépine, inventait l’usine à gaz des JIFF (Joueurs Issus de Filières de Formation) qui possède la particularité de ‘’labelliser’’ des joueurs étrangers non éligibles au XV de France. Pourquoi faire simple quand on peut faire tordu ?
Il est vrai que le souci des instances de notre rugby pro parait être tourné davantage vers l’arrière boutique du bisness que vers la vitrine ‘’bleu-blanc rouge’’.
Les intermittents du spectacle
Il suffit pour s’en convaincre de découvrir les communiqués de presse distillés ces derniers temps par le service com de la LNR. Morceaux (d’autosatisfaction) choisis :
« Le TOP 14, la planète des stars… »
« Le championnat pro français est aujourd’hui la référence du rugby mondial… »
« Le TOP 14 attire les meilleurs joueurs de la planète… »
« Plus de 80 joueurs du TOP 14, issus de 14 nations, étaient sur les pelouses du mondial japonais… »…. Voilà bien le problème !
C’est vrai qu’en matière de pognon, on ne fait pas mieux dans le monde et les ‘’stars’’ ne s’y trompent pas.
Mais demandez donc à un abonné de club pourquoi il ne reprend pas sa carte : « J’en ai marre de payer pour voir jouer les remplaçants la moitié de la saison, on se fiche de nous ! »
Car les stars en question, françaises ou autres, le cochon de payant voudrait bien les voir près de chez lui un peu plus souvent. Avec 8 matchs de TOP 14 disputés pendant la Coupe du Monde + les congés afférents + les deux mois du prochain Tournoi des six Nations, les internationaux seront absents pendant la moitié du championnat.
Y aurait-il un pilote dans l’avion?
Vitrine incontournable, l’Equipe de France n’est en rien coupable de cette aberration dont nos marchands du temple portent l’entière responsabilité en refusant d’ouvrir le dossier du format de la compétition hexagonale.
Tandis que les spécialistes en physiologie estiment à deux mois la coupure indispensable à la régénération du corps des rugbymen de haut niveau…qui s’insurge contre le fait que les clubs aient repris l’entrainement depuis la mi-juillet pour une saison qui s’achèvera le 26 juin prochain soit onze mois et demie plus tard ?
Même le président de la FFR, pourtant virulent et apparemment résolu à faire bouger les choses en arrivant au pouvoir a jeté l’éponge : « Le TOP 14 est-il responsable (du fiasco tricolore) ? Ça n’est pas à moi de le dire, je n’ai pas envie de soulever des polémiques qui ne m’intéressent pas ».(1) Eh ben voit donc !
Effarante confirmation qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion du rugby français dont le secteur pro est accaparé par un inattaquable syndicat de copropriétaires qui se tiennent par la barbichette.
Cela n’est pas le cas outre-manche lorsqu’il s’agit de remettre les choses dans le droit chemin et de sanctionner les tricheurs. Champions d’Angleterre (et d’Europe) en titre, les Saracens viennent d’être condamnés à payer plus de 6 millions d’euros et se voir retirer pas moins de 35 points au classement pour dépassement et détournement du salary cap (2).
Encore une belle leçon de pragmatisme donnée par les Rosbifs !
- (1) Interview de Bernard Laporte, La Montagne du 4 novembre p 20.
- (2) Masse salariale (des joueurs) autorisée.
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