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Crédit photo Eric Gauthey.
Chroniques

Kochi, Instantané

Le premier rang du petit théâtre est plein, au cœur de Fort Kochi. La séance de maquillage a commencé. C’est l’heure du Kathakali.

A l’heure du 20ème anniversaire du rendez Vous du Carnet de Voyage[1] (voir précédente chronique[2]) ce premier rang est très symptomatique, pleinement occupé de touristes concentrés, carnet sur les genoux et crayons en main.

Ces nouveaux « croqueurs-voyageurs » deviennent fréquents, se déplaçant même en meutes. Et vous avez huit chances sur dix qu’ils soient français. Si la pratique du carnet de voyage n’est pas une propriété hexagonale, comme le montre d’ailleurs les nombreux carnettistes étrangers présents à Clermont, elle demeure une singularité bien française.

Les voir ainsi sagement croquer comme des élèves en cours du soir aux Beaux-Arts du coin interroge (tout autant que les accros de la photo également présents) quant au regard porté. A (trop) vouloir saisir l’instantané, le regard n’oublie-t-il pas de voir ni d’entendre d’ailleurs ?

Certains arpenteurs du monde s’en tiennent aux mains dans les poches, tous sens en alerte, disponibles.  Leur seule mémoire est leur carnet, leur album photo.

Voilà une interrogation quand on prétend s’ouvrir au Monde, se repaître d’altérité.

La tradition du spectacle populaire

Revenons au Kathakali (le jeu de l’histoire)

A bien observer, il y a dans cette tradition théâtrale du Kérala les mêmes ingrédients que dans le théâtre populaire de Molière (et d’avant) à Mnouchkine.

Une exagération simplifiée qui pourrait presque former un oxymore.

La représentation de la lutte entre le bien et le mal, de la vertu contre le vice et tous ses avatars. Un classique donc, appréhendable par tous, qui constitue finalement la trame de toutes les histoires représentées.

Dans le jeu lui-même, ces saltimbanques chamarrés forcent le trait pour rendre claire la place des figures qu’ils interprètent entre l’ombre et la lumière. Le maquillage outrancier rajoute à cet effort de rendre compréhensible par tous le propos. Aucun doute entre les bons et les méchants ! Les paroles sont rares, la musique permanente en décor de fond de scène. Le chant parfois s’invite.

Il reste pour nos yeux et nos sens l’insaisissable : les mudras, laïcs ceux-ci. Car si la voix est presqu’absente, c’est par les mains que les comédiens expriment en un savant et incompréhensible ballet des doigts et des poignets une multitude de significations[3] : peur, amour, haine, effroi, courage, faiblesse, tristesse, joie, gloire, défaite, vie, mort …

En mimes accomplis, ces artistes modulent l’expression du visage dans une toute aussi grande variété, comme leurs mouvements sur scène : danses et postures.

Fascinant et plaisant. Il est vrai que pour l’occasion, un simple extrait du Ramayana était joué, une heure trente. Bien moins que les sept à huit heures habituelles qui auraient surement mis à mal mon attention.

[1] Polydome, du 15 au 17 novembre 2019

[2] https://www.7joursaclermont.fr/le-rendez-vous-du-carnet-de-voyage-est-devenu-la-reference-et-elle-est-clermontoise/

[3] Mudra veut dire signe, en sanskrit.

À propos de l'auteur

Eric Gauthey

Né avec la crise des missiles de Cuba, son enfance, ses études et ses premières années de la vie d’adulte furent nomades.
Au début des années 90, il émigre à Clermont-Ferrand pour se sédentariser. Son métier, non moins sédentaire, l’engage dans le service au public (transports publics de l’agglomération clermontoise).
Le voyage reste sa passion, pour ses vacances mais pas seulement. Cofondateur d’Il Faut Aller Voir et du RV du Carnet de Voyage, il pousse jusqu’à publier deux ouvrages : « Cher Bouthan » – 2011 et « Buna Tatu » - 2017 (sur l’Ethiopie).

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