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Le « puits de Pascal » aux Granges de Port-Royal des Champs. CP - Coll. Louis/Françoise Saugues
Le « puits de Pascal » aux Granges de Port-Royal des Champs. CP - Coll. Louis/Françoise Saugues
Chroniques Histoire

Blaise Pascal en vedette à Port-Royal

De mai à octobre 1956, après « Racine et Port-Royal », le nouveau musée national de Port-Royal des Champs, ouvert en 1953, consacre son exposition « Pascal et Les Provinciales » à un autre grand nom ami des lieux.
26 août 1664 – Expulsion de douze religieuses de Port-Royal de Paris. © BnF
26 août 1664 – Expulsion de douze religieuses de Port-Royal de Paris. © BnF

Au siècle de Louis XIV et de Blaise Pascal, de l’abbaye de la vallée de Chevreuse à sa filiale parisienne, le jansénisme s’épanouit contre certaines dérives de l’Église catholique, donc le pape, et contre l’absolutisme royal, donc le Roi-Soleil. Dès lors, son destin est scellé… Résistantes dans l’âme sous l’impulsion des Mères abbesses Angélique et Agnès Arnauld, les sœurs cisterciennes sont finalement toutes dispersées, en 1709. Deux et trois ans plus tard, les bâtiments conventuels et l’église abbatiale sont détruits. Parallèlement, intervient l’exhumation des cimetières, notamment de Jean Racine, inhumé le 23 avril 1699 ; ses cendres rejoignent celles de Blaise Pascal dans l’église parisienne Saint-Étienne-du-Mont.
Un coup de disgrâce officiel est donné au jansénisme par la bulle papale Unigenitus Dei Filius, promulguée par Clément XI, en 1713. Dans cette logique punitive, en 1656, le frère cadet des abbesses Angélique et Agnès, Antoine Arnauld dit « le Grand Arnauld », théologien, mathématicien et figure de proue du jansénisme avait été exclu de la Sorbonne où il enseignait la philosophie…

Sous le pseudonyme de Louis de Montalte

Et ce malgré le soutien de son ami Blaise Pascal, exprimé dans la troisième de ses fameuses dix-huit Lettres Provinciales. Publiés séparément en 1656-1657, d’abord anonymement puis sous le pseudonyme de Louis de Montalte, ces pamphlets pleins d’ironie contre les jésuites enchantent les salons mais valent à leur auteur de devoir changer fréquemment de domicile ! L’Église, elle, n’accorde guère sa grâce à la mise sur la place publique, en français, de problématiques internes à ses hauts rangs.
Le cheminement de Pascal vers l’« hérésie » janséniste s’effectue au gré de ses deux conversions 1 , entrecoupées d’une période de vie mondaine. En 1646, à Rouen, son
père Étienne, accidenté, est soigné par deux gentilshommes médecins – lecteurs des écrits de l’abbé de Saint-Cyran, propagateur du jansénisme en France – qui partagent vite leur enthousiasme avec la famille Pascal, notamment la sœur cadette de Blaise, Jacqueline, qui prend le voile à Port-Royal le 4 janvier 1652.

En 1730, la bulle papale Unigenitus est érigée en loi du royaume. © Archives nationales
En 1730, la bulle papale Unigenitus est érigée en loi du royaume. © Archives nationales

« Nuit de feu » et guérison miraculeuse

Le 23 novembre 1654, après avoir miraculeusement échappé à un accident de carrosse sur le pont de Neuilly, Pascal connaît une intense expérience mystique, la « nuit de feu », transcrite sur un papier, le « Mémorial », dont il ne se séparera jamais. Et voilà que le 24 mars 1656 dans la chapelle parisienne de Port-Royal, sa nièce, Marguerite Périer (1646-1733), guérit d’une fistule lacrymale au contact d’une relique de la couronne d’épines du Christ. Officiellement validé, ce miracle n’est pas étranger à l’idée pascalienne de rédiger une apologie du christianisme dont il ne reste que des brouillons préparatoires, les Pensées.
Visiteur régulier de Jacqueline à Port-Royal-des-Champs, début 1655 Pascal s’y retire quelques temps sous la protection spirituelle de Louis Isaac Lemaistre de Sacy, lui-même directeur de conscience des religieuses 2 . De leurs conversations sur les rapports de la philosophie et de la foi, il déduit que les philosophies ne peuvent résoudre les contradictions de l’homme et se réjouit de les voir s’embarrasser dans ces contrariétés !
Le contexte janséniste précisé, voici l’article 3 , quelque peu explicité, que le correspondant parisien et pilier de La Montagne, Paulin Vert, avait consacré, le vendredi 1 er juin 1956, à une exposition pascalienne.

Pascal parmi nous

Racine et Pascal, réunis à Port-Royal des Champs. CP - Coll. A.-S. Simonet
Racine et Pascal, réunis à Port-Royal des Champs. CP – Coll. A.-S. Simonet

« Pour comprendre Pascal, il faut aller à Port-Royal. C’est l’un des plus beaux paysages de l’Île-de- France : au creux d’un vallon, d’immenses arbres offrent toutes les nuances du vert. De hautes herbes ondulent sous un vent léger. Un ruisseau court entre des buissons fleuris. Et sur cette splendeur faite d’harmonie, le silence, le plus merveilleux des silences.
C’est là [que] Pascal, retiré aux Granges [exploitation agricole principale de l’abbaye] de Port-Royal, écrit la première des lettres qui devaient former Les Provinciales. Une exposition inaugurée samedi après-midi [26 mai] par M. [Jacques] Bordeneuve, secrétaire d’État aux arts et lettres [à l’origine du décret du 2 mai 1957 instituant l’ordre des Arts et Lettres] rappelle ce souvenir.
Grâce à une habile disposition, on peut suivre, d’étape en étape, l’itinéraire spirituel que devait suivre Pascal avant d’entrer dans le conflit entre jésuites et jansénistes. D’abord lecture de l’Augustinus [publié en 1640], véhément plaidoyer de [Cornelius Jansen, théologien hollandais, dit] Jansénius en faveur de saint Augustin et de sa théorie de la Grâce 4 ; puis le plaidoyer d’Antoine Arnauld, avocat au Parlement de Paris, père de Mère Angélique, et de celui qui devait devenir le Grand Arnauld. Antoine Arnauld, devant la passion que soulève le jansénisme, fait appel à [son ami] Pascal et ce sont Les Provinciales et leurs traits de feu.

Un masque mortuaire plus fort que la mort

Voici les manuscrits : lettres hautes, anguleuses, l’encre est à peine pâlie par le temps. Voici également les ouvrages des adversaires annotés d’une main rageuse : “Cela est faux”, “Triste erreur”, “Fausseté”…
Dans un recoin de la chapelle une lumière douce éclaire le masque mortuaire de Pascal, tel que lui- même, enfin l’éternité l’a changé : le visage émacié, le grand nez aux arêtes fines et une espèce de palpitation que la mort semble avoir été impuissante à interrompre.
Tout à côté, le cilice [chemise de pénitence en étoffe rude] porté jour et nuit ; les humbles objets nécessaires à la vie de chaque jour et, enfin, l’apothéose : les flammes des phrases immortelles des Pensées : “Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé… Dieu de Jacob et d’Israël…”, phrases jaillies du plus profond d’une nuit immortelle.
Dernier regard sur ce que fut Port-Royal : on aperçoit encore les fondations du cloître, que Louis XIV fit raser, et l’emplacement des tombes des religieuses sur lesquelles passa le soc de la charrue afin, avait dit le roi, qu’il ne restât rien de cette hérésie que des herbes folles. Il ne reste en effet que des herbes folles. Mais il reste aussi les Pensées de Pascal. »

1 Passages d’une religiosité tiède à une pratique fervente.
2 À son tour, Pascal deviendra celui de Charlotte de Roannez, sœur de son ami intime, Artus.
3 Coll. A.-S. Simonet.
4 Pour saint Augustin et Jansénius, Dieu seul accorde ou non sa grâce. Peu importent les bonnes
ou mauvaises actions de l’Homme dont le libre arbitre est altéré par la faute originelle d’Adam.

La croix de Serre, à Marcenat (Cantal), en hommage au « Grand Arnauld » dont la famille serait originaire ? © OSM - Mapio.net
La croix de Serre, à Marcenat (Cantal), en hommage au « Grand Arnauld » dont la famille serait originaire ? © OSM – Mapio.net

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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