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En 1941, au Canada, labourage au tracteur à chenille et à bois. L’Illustration, 26 juil. 1941 - Coll. A.-S. Simonet
Chroniques

Retours Ă  la terre…

Nos ancêtres les « Gaulois réfractaires », comme nos anciens sous l’État français ou nous-mêmes à l’approche de quelque confinement « covidé », tous nous répondons volontiers à l’appel de la ruralité.
L’Illustration, 26 juil. 1941 – Coll. A.-S. Simonet.

Sous l’Occupation, à en croire le Maréchal Pétain[1] sous la plume d’Emmanuel Berl, la terre avait même, contrairement aux errements politiques jugés responsables de la défaite de 1940, la suprême qualité de ne pas mentir ; « [e]lle est votre recours. » Vaste programme accompagné d’une campagne de glorification de la paysannerie, sagement labourée par la presse sous contrôle d’Havas-OFI[2]. De tout temps vital, le travail de la terre l’est plus encore pendant la Seconde Guerre mondiale, récoltes et élevages devant alors nourrir une nation privée de la main-d’œuvre d’environ un million et demi de prisonniers, rationnée et ponctionnée par l’occupant.

Hebdomadaire phare crĂ©Ă© en 1843, L’Illustration consacre Ă  l’agriculture la une et l’essentiel de son numĂ©ro du 26 juillet 1941, parsemĂ© de « rĂ©clames » et d’une iconographie qui en disent plus long que de fastidieux colloques sur l’incroyable mutation technologique survenue depuis seulement 80 ans. La comparaison, elle, ne ment pas…

De poussins en bébés

« Réclames » progressistes, avec option gazogène.
L’Illustration, 26 juil. 1941 – Coll. A.-S. Simonet

Aujourd’hui, le paysan ancestral est mort et l’avenir appartient Ă  une sorte d’ingĂ©nieur en productivitĂ©, les neurones plus dĂ©veloppĂ©s que les muscles et le bureau jonchĂ© de paperasse ! DĂ©jĂ , Ă  l’orĂ©e des annĂ©es 1940 – dans la foulĂ©e de la crĂ©ation, en septembre 1939, de la FĂ©dĂ©ration du machinisme agricole, muĂ©e en aoĂ»t 1940 en un ComitĂ© d’organisation – le magazine vantait les mĂ©rites de la balbutiante mĂ©canisation agricole, dĂ©jĂ  installĂ©e en AmĂ©rique du Nord : « Faut-il penser que le machinisme ne peut-ĂŞtre […] qu’un accessoire sans importance ? Faut-il […] considĂ©rer l’agriculteur comme un lourdaud malpropre, inaccessible au progrès ? Nous rĂ©pondons avec force non, cent fois non… » Preuves Ă  l’appui avec les illustrations de L’Illustration

La France étant « une basse-cour de 250. 000 tonnes », l’aviculture ne saurait échapper à la modernité inséminée outre-Atlantique. Mecque des bons usages, la chambre de commerce californienne de Petaluma estime un comptable plus utile qu’un « ancien fermier » tandis que les études du moine autrichien Mendel préconisent de privilégier la lignée par rapport à la race. Ajoutées à ces préceptes, une hygiène rigoureuse et adaptée à chaque volaille ainsi que « la préscience intuitive de la valeur souveraine [des] choses de la terre » pourraient donner à la jeunesse de France l’envie d’imiter les adolescents yankees qui, « en feutre de cow-boy ou en capeline de fermière d’opérette », s’affairent avec entrain dans d’« immenses camps de concentration pour volailles ». Et L’Illustration de lancer un appel aux jeunes filles de France pour qu’elles s’intéressent aux œufs et poussins, « dont le maniement leur donnerait déjà un avant-goût de la maternité ».

 

Mamans-poules en plein Ă©panouissement !
L’Illustration, 26 juil. 1941 – Coll. A.-S. Simonet

 

Les circuits courts, dĂ©jĂ …

 

Produire tous azimuts, tel est l’un des mots d’ordre de la Révolution nationale, axée autour de la devise Travail-Famille-Patrie. Ainsi, longtemps négligés voire abandonnés, les vergers retrouvent

Pommiers en fleur Ă  Saint-Amant-Tallende.
Carte postale – Coll. Louis/Françoise Saugues

grâce aux yeux de leurs propriĂ©taires qui greffent Ă  tout-va. Pour leurs productions fruitières, L’Illustration fĂ©licite les vallĂ©es du RhĂ´ne et de la Garonne, la CĂ´te-d’Azur, la Touraine, les dĂ©partements du Cher, de la Sarthe et de la Seine-InfĂ©rieure[3], avec une mention spĂ©ciale pour les plus belles poires du monde mĂ»ries en Seine-et-Oise[4] et les « efforts remarquables » de la pomiculture du Puy-de-DĂ´me, tout en posant des questions toujours d’actualitĂ©… « Il est vexant, quand on se promène en Haute-Provence, […] de ne pouvoir acheter Ă  l’épicerie du bourg que des sachets de pruneaux de Californie ; la sensation est la mĂŞme pour l’abricot sec et […] plus encore pour les fruits en boĂ®tes puisque l’on se rĂ©signe Ă  payer le transport d’un jus sucrĂ© qui a couru sur plus de 10.000 kilomètres, quand la pĂŞche se trouve Ă  peu près partout en France. 

Enfin, et surtout, en 1941, l’idĂ©e de la rationalisation et de la mĂ©canisation de l’agriculture s’accompagnait de la conviction sociale selon laquelle « il est bien plus facile de payer cher un homme qui dirige avec attention et diligence une puissante machine Ă  gros rendement que de payer mĂŞme mĂ©diocrement un ouvrier qui donne seulement son Ă©nergie musculaire… car le courant Ă©lectrique et les divers carburants fournissent une Ă©nergie analogue Ă  bien meilleur compte »… Puis, les machines se sont perfectionnĂ©es, les exploitations se sont concentrĂ©es et, d’un remembrement Ă  l’autre, la biodiversitĂ© des haies a disparu pour laisser passer les engins du progrès, cet Ă©ternel « [d]espote conquĂ©rant » en marche permanente, qui condamne l’humanitĂ© Ă  le suivre « à perpĂ©tuité » selon l’économiste Alfred Sauvy.

ArrĂŞt sur image du progrès perpĂ©tuel : battage du blĂ© au milieu du XXe siècle, il y a une Ă©ternitĂ©…
L’Illustration, 26 juil. 1941 – Coll. A.-S. Simonet

 

 

[1] Lors de son discours radiodiffusé du 25 juin 1940.

[2] Office français d’Information.

[3] Rebaptisé Seine-Maritime en 1955.

[4] Remplacé, depuis 1968, par l’Essonne, le Val-d’Oise et les Yvelines.

Ă€ propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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