
Sous l’Occupation, à en croire le Maréchal Pétain[1] sous la plume d’Emmanuel Berl, la terre avait même, contrairement aux errements politiques jugés responsables de la défaite de 1940, la suprême qualité de ne pas mentir ; « [e]lle est votre recours. » Vaste programme accompagné d’une campagne de glorification de la paysannerie, sagement labourée par la presse sous contrôle d’Havas-OFI[2]. De tout temps vital, le travail de la terre l’est plus encore pendant la Seconde Guerre mondiale, récoltes et élevages devant alors nourrir une nation privée de la main-d’œuvre d’environ un million et demi de prisonniers, rationnée et ponctionnée par l’occupant.
Hebdomadaire phare créé en 1843, L’Illustration consacre à l’agriculture la une et l’essentiel de son numéro du 26 juillet 1941, parsemé de « réclames » et d’une iconographie qui en disent plus long que de fastidieux colloques sur l’incroyable mutation technologique survenue depuis seulement 80 ans. La comparaison, elle, ne ment pas…
De poussins en bébés

L’Illustration, 26 juil. 1941 – Coll. A.-S. Simonet
Aujourd’hui, le paysan ancestral est mort et l’avenir appartient à une sorte d’ingénieur en productivité, les neurones plus développés que les muscles et le bureau jonché de paperasse ! Déjà, à l’orée des années 1940 – dans la foulée de la création, en septembre 1939, de la Fédération du machinisme agricole, muée en août 1940 en un Comité d’organisation – le magazine vantait les mérites de la balbutiante mécanisation agricole, déjà installée en Amérique du Nord : « Faut-il penser que le machinisme ne peut-être […] qu’un accessoire sans importance ? Faut-il […] considérer l’agriculteur comme un lourdaud malpropre, inaccessible au progrès ? Nous répondons avec force non, cent fois non… » Preuves à l’appui avec les illustrations de L’Illustration…
La France étant « une basse-cour de 250. 000 tonnes », l’aviculture ne saurait échapper à la modernité inséminée outre-Atlantique. Mecque des bons usages, la chambre de commerce californienne de Petaluma estime un comptable plus utile qu’un « ancien fermier » tandis que les études du moine autrichien Mendel préconisent de privilégier la lignée par rapport à la race. Ajoutées à ces préceptes, une hygiène rigoureuse et adaptée à chaque volaille ainsi que « la préscience intuitive de la valeur souveraine [des] choses de la terre » pourraient donner à la jeunesse de France l’envie d’imiter les adolescents yankees qui, « en feutre de cow-boy ou en capeline de fermière d’opérette », s’affairent avec entrain dans d’« immenses camps de concentration pour volailles ». Et L’Illustration de lancer un appel aux jeunes filles de France pour qu’elles s’intéressent aux œufs et poussins, « dont le maniement leur donnerait déjà un avant-goût de la maternité ».

L’Illustration, 26 juil. 1941 – Coll. A.-S. Simonet
Les circuits courts, déjà…
Produire tous azimuts, tel est l’un des mots d’ordre de la Révolution nationale, axée autour de la devise Travail-Famille-Patrie. Ainsi, longtemps négligés voire abandonnés, les vergers retrouvent

Carte postale – Coll. Louis/Françoise Saugues
grâce aux yeux de leurs propriétaires qui greffent à tout-va. Pour leurs productions fruitières, L’Illustration félicite les vallées du Rhône et de la Garonne, la Côte-d’Azur, la Touraine, les départements du Cher, de la Sarthe et de la Seine-Inférieure[3], avec une mention spéciale pour les plus belles poires du monde mûries en Seine-et-Oise[4] et les « efforts remarquables » de la pomiculture du Puy-de-Dôme, tout en posant des questions toujours d’actualité… « Il est vexant, quand on se promène en Haute-Provence, […] de ne pouvoir acheter à l’épicerie du bourg que des sachets de pruneaux de Californie ; la sensation est la même pour l’abricot sec et […] plus encore pour les fruits en boîtes puisque l’on se résigne à payer le transport d’un jus sucré qui a couru sur plus de 10.000 kilomètres, quand la pêche se trouve à peu près partout en France.
Enfin, et surtout, en 1941, l’idée de la rationalisation et de la mécanisation de l’agriculture s’accompagnait de la conviction sociale selon laquelle « il est bien plus facile de payer cher un homme qui dirige avec attention et diligence une puissante machine à gros rendement que de payer même médiocrement un ouvrier qui donne seulement son énergie musculaire… car le courant électrique et les divers carburants fournissent une énergie analogue à bien meilleur compte »… Puis, les machines se sont perfectionnées, les exploitations se sont concentrées et, d’un remembrement à l’autre, la biodiversité des haies a disparu pour laisser passer les engins du progrès, cet éternel « [d]espote conquérant » en marche permanente, qui condamne l’humanité à le suivre « à perpétuité » selon l’économiste Alfred Sauvy.

L’Illustration, 26 juil. 1941 – Coll. A.-S. Simonet
[1] Lors de son discours radiodiffusé du 25 juin 1940.
[2] Office français d’Information.
[3] Rebaptisé Seine-Maritime en 1955.
[4] Remplacé, depuis 1968, par l’Essonne, le Val-d’Oise et les Yvelines.
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