Avec le grand chelem 2022 et la perspective du Mondial à domicile en 2023, le XV de France a repris la main dans les cœurs tricolores.
Mais derrière les feux de la gloire, il y aurait sans doute à faire pour juguler les artifices du rugby prétendu amateur sans que la justice ait à s’en mêler.
Vous connaissez probablement Sarlat, charmante sous-préfecture de Dordogne fleurant bon le confit et le foie gras au sein de ce Périgord noir riche en saveurs et en histoire.
D’histoire, il en est une toute récente qui fait beaucoup jaser dans les bistrots et aux abords du stade Goumondie où opère le Sarlat Rugby, émanation récente et ambitieuse du très ancien « Club Athlétique Sarladais ».
Salade périgourdine
C’est qu’à la suite d’une enquête de la section de recherche de la gendarmerie locale, le patron de l’entreprise Uniqorn, incubateur de start up installée à Sarlat deux ans plus tôt, a été mis en examen début février dernier après 48 heures de garde à vue et un passage devant le juge d’instruction. Griefs retenus : travail dissimulé, fraude fiscale, aide à l’entrée ou au séjour irrégulier d’étrangers en France.
Parmi les cinq des sociétés de Dominique Einhorn qui sont dans le collimateur… la SAS « Sarlat Rugby », pensionnaire de Fédérale 2, que l’entrepreneur, surnommé « l’américain », préside avec la volonté affichée de rejoindre la ProD2 dés que possible.(1)
L’affaire n’est pas sans rappeler l’épisode des « joueurs-photographes’’ qui avait amené devant la justice le SA XV Charente de Soyaux-Angoulême. Afin d’assumer, là aussi, de légitimes ambitions sportives, le club amateur avait recruté et rémunéré plusieurs dizaines de joueurs en contournant la législation sociale entre 2013 et… 2016, année de la montée des charentais en ProD2.
La plus grosse des ficelles utilisées avait fini par « chauffer » l’URSSAF, 21 joueurs ayant créé (le même jour) leur auto-entreprise spécialisée dans la photographie…afin d’encaisser des contrats d’image. «Une affaire de coquins» avait souligné Madame la procureure tandis que l’avocat du club arguait du fait qu’il s’agissait là d’un «modèle qui prospère dans le monde sportif». Ça, on veut bien le croire, mais quand-même ! Redescendu d’un cran en division Nationale, le SA XV vient d’être condamné à des amendes alors que la procédure court toujours. Sans que la justice s’en mêle, il fut un temps où les autorités sportives crurent bon… ou pas de remettre les égarés dans le droit chemin.
Coup de chapeau et boule de gomme
Du côté de Quillan, bourgade Audoise de 3000 et quelques habitants, il était un homme, Jean Bourrel, qui avait fait fortune en y relançant l’industrie du chapeau. En 1926, vint à l’idée de ce président-mécène de l’Union Sportive Quillanaise, d’être champion de France. Ni une ni deux, il sort son grisbi, dépouille de ses meilleurs joueurs l’Union Sportive Perpignanaise, tenante du titre, recrute une escouade d’internationaux et ainsi fait, ramène le bouclier de Brennus à Quillan au bout de la saison 28/29.
Mission accomplie avec une véritable équipe pro tandis que la FFR jouait à l’autruche en
officialisant le palmarès. Chapeau !
Sauf que, tout de même, la finale remportée face aux voisins de Lézignan fut une telle succession de batailles rangées qu’à ce prétexte de violences les deux clubs furent exclus…puis promptement réintégrés au championnat puisque Quillan fut finaliste la saison suivante.
Quelques années plus tôt, il y a tout juste un siècle, au temps de l’amateurisme pur et dur, l’AS Michelin rebaptisée AS Montferrandaise fut ainsi frappée d’anathème pour cause de « racolage ». Rempli d’ambition mais en manque de produits du terroir, il arrivait au club d’aller chercher ailleurs les joueurs qui lui manquaient. Un journal sportif du Languedoc mettait le feu aux poudres en stigmatisant la méthode, affirmant que « des propositions fermes avaient été faites à plusieurs joueurs catalans avec, à la clé, un emploi chez Michelin ». Damned !
Après enquête, la FFR décidait la suspension du club pour les épreuves officielles de la saison 1922/23 et la guillotine pour plusieurs dirigeants, dont le directeur de l’ASM Antoine Vazeille, exclus définitivement. Et vlan !
La grandeurs et ses folies
Les règlements en forme d’usines à gaz qui régissent aujourd’hui les divisions Fédérales laissent la porte ouverte aux imaginations débordantes.
Dominique Einhorn a voulu installer la pluriactivité au sein de son club en proposant aux recrues potentielles un double projet : jouer à Sarlat et travailler dans sa société. Rien de délictueux dans le principe mais comme les recrues ne viennent pas pour des prunes (même si l’on en distille d’excellentes chez les voisins de Souillac) il faut bien alimenter le budget afin de financer les contrats fédéraux… et autres emplois dans le club.
Pas moins de deux douzaines de renforts issus des cinq continents dont, pour exemple, les Tongiens Fono (passé par les packs d’Aurillac, Oyonnax et Biarritz) et le centre Paea (meilleur joueur ProD2 en 2016), sont ainsi venus faire le bonheur du Sarlat Rugby. Le budget a bondi cette saison de 350 000€ à 1M€, la moitié devant officiellement provenir du réseau anglo-saxon de l’entrepreneur.
Mais aujourd’hui mis à l’écart de toutes ses activités par la procédure en cours, le président Einhorn a dû passer la main à un administrateur judiciaire qui gère les affaires courantes du club. Appuyés sur un marketing galopant, largement exposés sur Sarlat Rugby TV via You Tube et une page Facebook étonnamment likée par 150 000 fans( !), les « noir et bleu » du Périgord survolent l’actuelle saison de Fédérale 2 avec autant de victoires que de matchs disputés. En attendant la suite…
L’exemple Sarladais ne peut que conforter les auvergnats dans leur prudence. Si l’apparent
paradoxe des contrats fédéraux permet aux joueurs de toucher un fixe pour pratiquer le rugby dans les championnats amateurs, ni le R3CA (Clermont-Cournon) ni le RC Vichy qui opèrent eux aussi en Fédérale 2 n’ont les moyens et l’intention de se lancer dans une folle aventure. Il y a peu, les vichyssois avaient commencé à succomber à la tentation mais la raison a repris le dessus.
A l’étage supérieur, où 45% des joueurs de Fédérale1 sont en contrat, l’US Issoire continue de garder les pieds sur terre en se refusant d’entrer dans le système contractuel. La méthode (légale) des primes semble suffire au bonheur des ‘’mauve et Noir’’ même si la concurrence est rude avec des clubs que l’on peut qualifier de semi-pros…voire plus.
(1) Alsacien d’origine, Dominique Einhorn a prospéré dans les médias numériques en Amérique
du nord.
Commenter