Selon un rapport de l’INSEE publié fin 2019 (1), les commerces de proximité seraient en baisse dans les villes de taille intermédiaire, et ce, particulièrement dans les centres-villes. Une donnée à nuancer, avec des variables au niveau local. Résisteraient mieux ceux des villes attractives en matière de tourisme, de démographie et d’emploi. Le sujet occupe aussi les métropoles qui, à cet effet, développent une politique urbaine spécifique. C’est le cas de Clermont Auvergne Metropole. Parmi les commerces de proximité à tirer leur épingle du jeu : les boulangeries-pâtisseries. A Clermont-Ferrand, là où elles ont la cote, c’est rue Ballainvilliers. En cœur de ville, sur le plateau central. Quatre sur un périmètre d’à peine quelques centaines de mètres, le phénomène ne passe pas inaperçu. Comment expliquer cette concentration ? Disons qu’elles bénéficient de conditions favorables. De quoi peut-être expliquer leur pérennité. Plus de trente ans pour chacune. Une des plus anciennes, La Pyramide, située à deux pas de l’obélisque date des années 50. Avec près de dix ans au compteur, Le Fournil de Jean, elle, fait figure de benjamine.
De l’importance de l’implantation et du critère « qualité »

Les raisons de cette longévité sont multifactorielles. D’un, la localisation : elle est idéale. A proximité des arrêts de bus et des facs. De deux, l’affluence. Le quartier est très fréquenté par les étudiants et pour cause : beaucoup y habitent. Autre source de fréquentation : les salariés et travailleurs du centre-ville en quête eux aussi, pendant la pause déjeuner, d’un repas vite avalé. Qui pour compléter la clientèle ? Des habitués, des gens de passage, des touristes et des promeneurs, avec une même demande, peu ou prou similaire, et sur les mêmes produits : viennoiseries, petite restauration. Car qui dit rapide ne dit pas nécessairement junk-food. Le consommateur du XXIe siècle est avisé ; il est sélectif. En quête de qualité. Ce critère, autant dire que sensibilisé aux dangers de la malbouffe il y est attentif et c’est bien là l’un des atouts de ces boulangeries de quartier. Ce qui, entre autres, les différencie des boulangeries industrielles : la fabrication artisanale, le fait-maison, la qualité des matières premières, leur traçabilité. Que ce soit de vive voix ou via des panneaux indicatifs, toutes insistent sur la nature artisanale de la fabrication de leurs pains comme sur l’origine des farines utilisées. Ce caractère artisanal, Christophe Bichard, gérant du Fournil Saint-Esprit, tient à le souligner. Ludovic Roux, quant à lui patron de La Pyramide depuis 21 ans, de détailler : « du blé de la région, sans additif et qui provient de Limagrain. » En tête des ventes les pains de fabrication artisanale, à la gamme toujours plus étoffée, répondent aux besoins d’une clientèle toujours plus exigeante. « La baguette de tradition est un de nos produits phares« , atteste Laurence Chatain, vendeuse référente au Fournil de Jean. « Les gens viennent chez nous pour la qualité » assure Marithé Guillaumont, responsable au Fournil Saint-Esprit. Garante de qualité la boulangerie artisanale rassure, participant d’un attachement pour les métiers de l’artisanat. Selon une étude du CSA (Consumer Sciences & Analytics) pour la CGAD (Confédération Générale de l’Alimentation en Détail) parue début 2019, les Français les verraient à « 90% comme des acteurs incontournables de dynamisation des quartiers« .

Sans oublier la diversité des produits
Si le pain reste prisé – « 62% achèteraient au moins une fois par semaine leur pain en boulangerie » (2) -, pour tenir face à la concurrence de plus en plus forte des chaines de boulangerie industrielle la boulangerie traditionnelle a néamoins dû miser sur la diversité de ses produits. Une « partie traiteur et petite restauration qu’il a fallu développer« , explique Marithé Guillaumont, responsable au Fournil Saint-Esprit. Ludovic Roux de la rejoindre dans son analyse : « les « snackies » marchent bien. Les viennoiseries aussi. » Même son de cloche quelques mètres plus haut au Fournil de Jean où la brioche aux pralines « cartonne ». Plus bas, sur le même trottoir, la pâtisserie n’est pas en reste. Traditionnelle, elle s’aligne en rangées chatoyantes dans le comptoir de La Pyramide qui fait face au musée Bargoin. A l’image de son confrère de L’Arc-en-Ciel, elle aussi fait de la pâtisserie traditionnelle. C’est dans son laboratoire situé à l’arrière de la boutique que Ludovic Roux s’active. Il concocte la spécialité de la maison au nom tout trouvé, le Pyramide. Un gâteau moelleux, en forme de triangle, travaillé avec de la ganache au chocolat.
Un tableau à nuancer

Pour autant le tableau est-il idyllique ? Pas tout à fait. Il s’agirait de le nuancer. La concurrence, si elle n’a jamais été abordée, est bel et bien réelle. Preuve de cette réalité, quelques dizaines de mètres plus haut : l’Arc-en-Ciel. Dans cette pâtisserie au charme désuet, l’activité semble tourner au ralenti. Dans le comptoir de la vitrine qui donne sur la rue, quelques « snackies », galettes des rois et viennoiseries se disputent les rayons. A l’intérieur, près de la caisse, des meringues. L’enseigne n’est pas récente ; son propriétaire, très discret. Malgré un âge qui l’autoriserait à prendre sa retraite, il poursuit son activité. Modestement, rigoureusement, à son rythme. Éloigne du bruit du monde. Et même si la clientèle se raréfie, chaque matin il est sur le pont. Signe de son attachement à la vie de quartier, sur la porte d’entrée, les annonces et les évènements. Dans le même temps, ses confrères continuent eux de répondre à l’affluence, quand il y en a ; de remplir les présentoirs à pain lorsqu’ils sont vides, avec parfois de légers signes d’interrogation sur l’avenir. « Un peu de publicité ne ferait pas de mal » glisse dans la conversation une responsable du Fournil de Jean. Marithé du Fournil Saint-Esprit de remarquer : « on souffre un peu du manque de stationnement et des chaines qui se créent partout. »
De grosses amplitudes horaires mais avec des pauses
Tous reconnaissent avoir beaucoup de travail. A tous les étages, les équipes ne comptent pas leurs heures. Fabrication et préparation le matin ; forte mobilisation pour la vente aux heures d’affluence. Les amplitudes horaires sont fortes, voire maximales pour certaines d’entre elles. 13 heures d’ouverture non-stop au Fournil Saint-Esprit mais avec « deux jours de pause dans la semaine. » A La Pyramide, Ludovic Roux annonce, lui, une moyenne de soixante heures hebdomadaires. Au Fournil Saint-Esprit, la cadence, là aussi, est soutenue, avec une « logistique importante« . Plus de vingt personnes chaque jour, en boutique comme en laboratoire. Si l’amplitude horaire journalière semble élevée, elle reste conforme à la convention collective du secteur et respectée par l’ensemble des boulangeries. Une astreinte qui, néanmoins, de l’avis de tous, n’empêche pas la bonne ambiance. Dans leurs boulangeries respectives, les employés interrogés se sentent bien. Idem pour les gérants. Ludovic Roux et Christophe Bichard de témoigner tout de go qu’ils aiment leur métier ; qu’ils s’y épanouissent. Des heures, certes, ils en font mais pour Ludovic ces deux jours de récupération en fin de semaine lui permettent de prendre du repos et « d’avoir des loisirs« .

Une politique de revalorisation du centre-ville en bonne voie
Bien dans leurs baskets, tels semblent vivre au quotidien les employés des boulangeries-pâtissiers de la rue Ballainvilliers. Illustrations de la vie des commerces de proximité au cœur d’une métropole. Si nécessité il y a à les conserver, ce n’est pas uniquement pour les services qu’ils offrent aux usagers mais aussi pour d’autres, moins visibles, plus indirects : la recherche de proximité. Une des priorités d’action publique la plus attendue des Français en cette période pré-électorale des municipales, ce que confirme une récente étude de l’Observatoire de la démocratie de proximité (3). La fonction sociabilisante de ces commerces de proximité est avérée. Un paramètre à ne pas négliger dans la redynamisation des centres-villes, cette consolidation du tissu social. Au Fournil de Jean, un espace de collation est d’ailleurs mis à disposition de la clientèle pour une pause, avec une boisson et le journal local. « On a nos petits habitués du matin« , souligne Laurence. « Souvent des gens qui sont dans des situations un peu difficiles et qui viennent prendre un petit café pour se réconforter ici. (…) On les chouchoute. Y en a certains qui reviennent tous les jours. »
« La revalorisation complète du centre-ville et de la butte historique sera le grand chantier de 2020-2026 » (4) avait déclaré Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand lors du lancement d’un programme de soutien aux commerces de proximité au printemps 2017. Une politique qui, à ce jour, parait porter ses fruits, le taux de vacance étant tombé à 7,7% en 2018 contre 10% en moyenne pour les métropoles (5). Eu cet égard, Clermont fait office de bon élève. Amplifier la synergie entre les acteurs concernés, publics comme privés, tel est, semble-t-il, aujourd’hui le souhait de la Ville. De quoi donner de l’espoir à des commerces de proximité indispensables à la vie des quartiers, des centres-villes, de leurs résidents sans oublier, bien sûr, de Ballainvilliers.
(1), « Le commerce de centre-ville à la peine dans les villes de taille intermédiaire« , Charles-Julien Giraud, Aline Labosse, Stéphanie Depil, INSEE, N°88, 14 novembre 2019
(2), Observatoire BVA – Presse Régionale de la vie quotidienne – 9 ième vague – Les Français et les commerces de proximité, septembre 2008
(3), Deuxième enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité, AMF-CEVIPOF/SciencesPo, juillet 2019
(4), « Clermont-Ferrand renforce son soutien au commerce de proximité« , Patrice Campo, L’Eveil de la Haute-Loire, 15 mai 2017
(5), in « Deux villes du plan « Action cœur de ville » au palmarès Procos« , Laurel Mati, Banque des territoires, 28 mars 2019
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