Non ! Il ne ressemblait pas à Christophe Lambert dans le film non impérissable Vercingétorix, la légende du druide-roi (2001) ! Oui, les deux heures de ce Greystoke en braies durent une éternité, ce qui ne fut pas le cas du passage de Vercingétorix sur le devant de la scène historique : moins d’un an (printemps-automne 52 av. J.-C.) !
« Chef suprême des guerriers », tel est le titre que porte, comme son père Celtillos – exécuté par les siens pour avoir voulu devenir roi – notre Vercingétorix national. Héros sans nom ni moustache, il naît vers 82 av. J.-C., quelque part en Limagne – peut-être sur le site de Corent ? –, sous les grands arbres de la Gaule chevelue (boisée), au sein de la puissante tribu des Arvernes. Jules César, qui le qualifie d’« ami de Rome », aurait volontiers fait un « collabo » de ce jeune homme de très bonne famille, préférant la toge aux braies de ses origines. Mais, sans doute après avoir combattu sous l’uniforme romain, l’Arverne sera résistant. En 53 av. J.-C., la Gaule envahie depuis cinq ans entre en insurrection générale. L’année suivante, Vercingétorix s’impose comme son chef fédérateur et charismatique.
« La vie n’est rien pour moi sans la liberté »
Cependant, le Romain avance. Inexorablement. Trois mois après l’Austerlitz de Gergovie, le piège se referme, fin septembre 52 av. J.-C., sur le Waterloo d’Alésia. Au terme de deux mois d’un siège d’enfer au cours duquel des milliers de femmes, d’enfants et de vieillards meurent de faim, plus de 70 000 combattants et autant d’auxiliaires s’enfuient, se rendent, sont massacrés ou réduits en esclavage.
Plus grand orateur que fin stratège, qui avait refusé d’incendier la cité d’Avaricum (Bourges), le chef vaincu harangue ses troupes avec panache : « C’est moi qui ai appelé la Gaule à la délivrance. […] Si vous me livrez à César, sa colère sera adoucie. La vie n’est rien pour moi sans la liberté. »
Après avoir connu, en 46 av. J.-C., l’humiliation suprême de défiler, enchaîné, au triomphe de César, Vercingétorix a la chance d’être étranglé dans son cachot du sordide Tullianum (rebaptisé prison Mamertine au Moyen Âge), au pied du Capitole. Si, comme celui de tous les suppliciés, son corps fut exposé aux gémonies (escalier monumental reliant le Capitole et le forum) avant d’être jeté dans le Tibre, le nom de Vercingétorix n’est plus voué auxdites gémonies !
La « grandeur du souvenir »
C’est en 1828 que, dans son ouvrage à succès Histoire des Gaulois depuis les temps les plus reculés, le journaliste-historien Amédée Thierry le « ressuscite ». Mais la vraie paternité de sa gloire posthume revient à Napoléon III qui se pique d’histoire romaine plus que gauloise au point de signer une Histoire de Jules César. Le 9 juillet 1862, l’empereur vient pique-niquer sur le plateau de Merdogne[1]. Dans la foulée, il finance une colossale statue en cuivre repoussé représentant un Vercingétorix d’opérette, signée du sculpteur Millet (1865) sur l’un des sites présumés d’Alésia, à Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or).
Les descendants des Arvernes[2] ne sauraient être en reste… Le projet de célébrer Vercingétorix à Gergovie remonte à 1843 quand, convaincue par Amédée Thierry, l’un de ses membres, l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont prend les choses en main et son mal en patience, de commissions stériles en souscriptions virtuelles. Enfin, en 1869, un énième appel à la générosité rapporte près de deux millions de francs, en prélude à un concours artistique ; quinze candidats se déclarent prêts à satisfaire aux exigences académiques en s’inspirant de la « grandeur du souvenir ».
Protège-nuque en protège-oreille !
La IIIe République prend ses aises quand, le 17 avril 1899, les 8 000 francs que le docteur Girard, député-maire de Riom et conseiller général, offre à l’Académie s’apparentent à une avance sur travaux. D’autant que les habitants de La Roche-Blanche et des environs promettent de transporter sur le plateau les matériaux nécessaires – cent journées de cheval ou autant de paires de bœufs – et que la commune offre le terrain. Le 12 avril 1900, l’entreprise volvicoise Legay-Chevalier s’engage à réaliser les plans de l’architecte choisi, Jean Teillard, pour la somme de 13 000 francs et pour la fin septembre. L’entrepreneur respecte les délais ; il devra cependant attendre le 9 avril 1903 pour être intégralement payé en raison de placements financiers peu judicieux de l’Académie et d’un surcoût de 350 francs, en partie lié à la pose d’un paratonnerre…
Il est vrai que les foudres de l’histoire et celles de la météo se sont souvent donné rendez-vous à Gergovie, notamment le 1er août 1903, faisant tomber à l’eau l’inauguration du monument[3]. Le tonnerre gronde encore les 16 avril 1981 et 22 juin 1983. Il va falloir casquer ! Le devis demandé par La Roche-Blanche s’élève à 115 400 francs, judicieusement pris en charge par les assurances. Grâce au talent du sculpteur Jean Eydieu, de Moulet-Marcenat (près de Volvic), le 24 juillet 1984, deux grues pourvues de flèches de vingt-sept mètres recoiffent la stèle d’un couvre-chef de 1,6 tonne. Las ! Le protège-nuque se retrouve en protège-oreille… Ce qui n’empêche nullement la tempête de 1999 de sévir ; le 27 décembre, patatras ! Heureusement, depuis que, le 30 mai 2002, l’entreprise Louis Geneste a redonné sa fierté anatomique au monument, le ciel ne lui est plus retombé sur la tête, par Toutatis !
Bartholdi à la manœuvre
Évidemment, Clermont-Ferrand doit également s’équiper dignement en « Vercin » ! Avec Frédéric-Auguste Bartholdi à la manœuvre, grandiose et esthétique assurés. En 1865, un comité fédérateur de bonnes volontés, présidé par le doyen de la faculté des Lettres[4] Emmanuel des Essarts, ouvre une souscription nationale et réussit à collecter les 35 000 francs nécessaires à la concrétisation du modèle retenu. En 1900, à l’Exposition universelle de Paris, une version en plâtre annonciatrice de la concrétisation de l’œuvre par la fonderie parisienne Jabœuf est présentée. Durant près d’un an, ses ouvriers donnent vie artistique à cinq tonnes de bronze de 6 mètres de haut sur 4,70 mètres de long. Réalisé en une dizaine de morceaux rivetés, Vercingétorix s’offre pour la première fois à la curiosité des Parisiens lors du salon du cycle, au Grand Palais, avant de partir pour Clermont, le samedi 11 janvier 1902, juché sur un chariot automobile spécial offert par de Dion-Bouton.
Le 18 janvier, quand il retrouve sa terre natale, les crédits pour son socle n’ayant pas été débloqués, on ne sait où le mettre ! Le temps de confier à l’entrepreneur clermontois Pougheon la confection d’un socle en porphyre vert de Hauteville (Jura) et un entablement en calcaire bourguignon de Comblanchien, une réplique grandeur nature en bois montée sur roulettes sillonne la ville. Aux Clermontois de choisir le lieu idéal pour fixer leur héros dans l’éternité… Ce sera la place de Jaude. Il ne reste plus, les 10 et 11 octobre 1903, qu’à inaugurer l’œuvre en grande pompe républicaine… Et à attendre 1994 pour qu’elle soit enfin classée Monument historique.
[1] Qui deviendra Gergovie en 1865.
[2] Mentionnés pour la première fois par l’historien romain Tite-Live, au IIIe siècle av. J.-C.
[3] Classé Monument historique en 2018.
[4] Comprenant notamment le président de la société folklorique Les Enfants de l’Auvergne, la société parisienne La Soupe au chou…
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