Le 24 juin dernier, le Conseil d’administration de l’Université Clermont Auvergne a adopté à l’unanimité, moins 2 voix, 3 abstentions, une charte demandant aux agents administratifs et aux enseignants de veiller, dans leur communication interne et externe, à adopter une écriture et à utiliser des images les moins genrées possibles, donc plus inclusives, dans le but de ne pas alimenter les stéréotypes. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une réaction du syndicat étudiant UNI et des Jeunes républicains, qui ont embarqué avec eux quelques figures politiques, dénonçant une charte Wokiste.
« Faire la différence entre un lieu d’apprentissage et un lieu de formatage »
L’UNI, Union nationale inter-universitaire qui accueille des étudiants, des professeurs et des lycéens se réclamant de « la droite étudiante » a été la première à réagir dans un communiqué publié immédiatement après la tenue du Conseil d’Administration expliquant que « l’idéologie woke fait un pas en avant supplémentaire avec la complicité et même l’appui de l’administration qui ne semble pas faire la différence entre un lieu d’apprentissage et un lieu de formatage » ajoutant que leur représentant au sein du CA a voté contre, dénonçant ainsi « des concepts farfelus de l’extrême gauche qui n’ont pas leur place dans notre université ». Dans la foulée, les Jeunes Républicains du Puy-de-Dôme et des responsables jeunes LR d’Auvergne-Rhône-Alpes ont publié une tribune pour dénoncer la décision du Conseil : « Cette charte est une nouvelle attaque portée à la langue française par les adeptes de la culture woke ». Les jeunes LR, une trentaines d’élus ou parlementaires et plus de 120 jeunes, co-signataires demandent l’ »abrogation de ladite charte ». La région Auvergne-Rhône-Alpes (qui en octobre dernier, a décidé de bannir officiellement cette graphie de l’ensemble de ses productions écrites internes et externes) vient également de demander une modification de la charte.
« Une caricature de la démarche » selon le président de l’UCA
Face à ces positions largement reprises dans la presse nationale de droite, et même un peu plus, le président de l’UCA, réagit en expliquant que « la démarche adoptée n’est pas militante, elle a avant tout une valeur pédagogique. Elle s’inscrit dans une volonté inclusive, et non pas communautariste. Elle s’inspire des préconisations contenues dans le Guide pour une communication publique sans stéréotype de sexe, rédigé par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, instance placée auprès du Premier ministre ». Pour Mathias Bernard, les réactions hostiles à cette charte émanent de groupes clairement inscrits dans le champ politique qui caricaturent la démarche de l’Université. « Cette charte est le fruit d’un travail collectif, piloté par notre Comité Egalité, composé de personnels et d’étudiants, et appuyé sur les travaux de recherche de nos laboratoires, notamment dans le champ de la psychologie sociale et cognitive » précise-t-il. « Elle s’inscrit dans la politique de lutte contre les discriminations et pour l’égalité femmes-hommes de l’UCA. Elle est complémentaire de toute une série de dispositions visant à favoriser l’intégration des jeunes femmes dans les filières et les métiers scientifiques et techniques et à assurer une vraie égalité des chances dans leur parcours professionnel ». Pour l’Université, cette charte n’est pas une circulaire et constitue une simple « boîte à outils », dans laquelle les personnels sont libres de piocher. Elle propose seulement d’utiliser des formulations qui évitent les discriminations de genre. Même intention pour les images, il s’agit de ne pas reproduire des clichés liés au genre.
Beaucoup de bruit pour rien
Si pour les jeunes de droite, cette « affaire » de charte représente une opportunité de buzz pour exister sur l’échiquier politique, elle est assez symbolique d’une société qui n’en finit pas de s’autocensurer par peur de blesser, de fâcher, d’être « à côté des clous » sur des sujets dits sensibles car le chemin est étroit entre la volonté de suivre les recommandations de l’Académie française garante du bon usage de la langue, nécessaire égalité des sexes, dérives possibles vers des communautarismes, recommandations tatillonnes, voir superfétatoires l’UCA n’a pas vraiment d’autre choix que de rentrer dans le moule attendu.
Au final, voici le texte intégral de la charte, fourni par l’UCA, qui permettra à chacun de se forger son opinion :
Charte pour une communication inclusive à l’UCA
Le langage et la communication ne sont pas neutres, les mots ont un sens. Changer le rapport au langage et aux images et donc à la pensée permet de faire progresser au quotidien l’égalité entre les femmes et les hommes.
Or, cela ne se fait pas de manière automatique ni sans une vigilance continue, car les stéréotypes de genre sont souvent reproduits de manière inconsciente.
Changer notre manière de communiquer est donc un moyen concret de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes.
Discours, colloques, affiches, vidéos, sites web, textes officiels, nominations des équipements : la communication, qu’elle soit interne ou externe, prend des formes très diverses. Sans une vigilance continue, les stéréotypes de genre sont reproduits.
Leur présence se manifeste par trois aspects :
– un fort déséquilibre dans la représentation entre le nombre de femmes et le
nombre d’hommes.
– un enfermement des femmes et des hommes dans un répertoire restreint de
rôles et de situations, limitant de fait leurs possibilités d’être et d’agir.
– une hiérarchisation des statuts et des fonctions de chaque sexe au détriment des
femmes.
Or une exposition récurrente des citoyennes et citoyens à une communication
influencée par les stéréotypes de genre renforce les inégalités entre les femmes et les hommes.
Pour renverser cette tendance, l’UCA a l’ambition de promouvoir une communication globale, inclusive et sans biais de genre. Pour ce faire, elle s’engage à veiller notamment :
– à une représentation équilibrée entre expertes et experts lors de colloques
scientifiques, de conférences ou de grandes manifestations universitaires ;
– à communiquer par oral sans biais de genre ;
– aux visuels utilisés dans les différents supports de communication ;
– à rédiger sans biais de genre.
L’Université Clermont Auvergne (UCA) décide d’adopter une communication inclusive dans l’ensemble de ses documents officiels, nouveaux ou en révision, en particulier dans ses règlements, directives, rapports, offres d’emploi. Elle demande également à l’ensemble de la communauté universitaire de se familiariser avec les principes de la communication inclusive énoncés ci-dessous afin d’avoir la possibilité de la mettre en œuvre dans l’ensemble de sa communication professionnelle (journaux, magazines, newsletters, sites internet, courriel, courrier…). Afin de mettre en œuvre cette charte et de permettre à chacun et chacune de s’engager dans cette démarche, un accompagnement sera proposé (outils, formations…).
La rédaction sans biais de genre
Le langage inclusif, qu’il soit oral, écrit, iconique… , poursuit un objectif d’inclusion bien sûr, mais également un objectif de non-choix entre le féminin et le masculin et de non- catégorisation des personnes selon leur genre. Le langage inclusif a été introduit à la fin du XX e siècle pour répondre à l’asymétrie
structurelle de la société et plus largement pour réduire les usages stéréotypiques dans le langage et les discriminations qui en résultent. Comme le démontrent les psycho- linguistes Gygax, Zufferey et Gabriel 1 , la visibilité d’asymétrie genrée dans la langue parlée et écrite est souvent accompagnée d’inégalités entre les femmes et les hommes dans la société. En effet, les pays dont la langue est grammaticalement genrée (comme la France) ont un niveau d’égalité sociétal entre les femmes et les hommes plus faible que les autres pays. L’utilisation du langage inclusif est dès lors une façon de tendre vers une
meilleure égalité entre les êtres humains, quel que soit leur genre.
Il serait d’ailleurs plus juste de parler d’un rétablissement d’un état initial de la langue française vers la « neutralité de genre ». En effet, la langue française possédait davantage de termes féminins auparavant (avant le XVII e siècle). Ainsi, doctoresse, poétesse étaient des termes utilisés qui furent par la suite supprimés.
> Cinq principes de base proposés pour la rédaction
S’exprimer et rédiger en s’adressant d’emblée à un public mixte et en tenant compte de la diversité permet de réduire également les biais de communication. L’adaptation d’un texte à la rédaction inclusive requiert une certaine souplesse pour articuler les différentes règles. Il est souvent préférable de varier les principes et de les combiner afin de créer un texte intelligible et fluide.
1. Réintroduire systématiquement le féminin des noms de métiers, titres et fonctions, lesquels ont le plus souvent des siècles d’existence. Pour cela,
ajouter une terminaison féminine au radical du mot.
Exemples : autrice, chercheuse, doyenne, maîtresse, professeure, rectrice.
2. Pratiquer la double flexion (doublet).
Exemples : le vice-recteur et la vice-rectrice, celles et ceux, tous et toutes.
2.1- Respecter ce faisant l’ordre alphabétique.
Exemples : le chercheur et la chercheuse, le recteur et la rectrice, le collaborateur et la collaboratrice ,
les étudiantes et les étudiants, elles et ils
2.2- Adopter ce faisant l’accord de proximité (accord au plus proche), ce qui permet, si on respecte l’ordre alphabétique, d’alterner dans un texte les accords
au masculin ou au féminin. Exemples : – les vice-recteurs et les vice-rectrices sont nombreuses – les doyennes et doyens sont satisfaits.
3. Utiliser les mots englobants (langage épicène) qui permettent d’inclure toutes les personnes.
Exemples :
– la classe, le groupe, l’équipe de recherche, la direction, la présidence ;
– le corps professoral, estudiantin, administratif et technique ;
– le personnel enseignant, le collège professoral ;
– les membres du rectorat, du personnel ;
– les personnes, les responsables, les titulaires d’un master, les bénéficiaires d’une bourse.
4. Utiliser l’infinitif.
Exemples
– être titulaire d’un doctorat ;
– être capable de travailler en équipe.
5. Laisser la possibilité d’opter pour la forme contractée avec le point médian quand les autres principes ne peuvent être appliqués. Utiliser la barre oblique
quand la terminaison du mot le requiert et seulement lorsque le doublet n’est pas possible (manque d’espace).
Exemples avec le point médian : professeur·e, étudiant·e.
Exemples avec la barre oblique lorsque le doublet n’est pas possible (manque d’espace) :
collaborateur/rice, administrateur/rice, chercheurs/euses, huissier/ère.
– Ce faisant, utiliser la barre oblique pour les déterminants.
Exemples : la/le professeur·e / sa/son doctorant·e
Principes pour une communication visuelle inclusive
Les images, comme les mots, sont porteuses de sens. Les visuels des affiches, documents, infographies, pictogrammes, sites web et vidéos illustrent un propos, délivrent un message. Ces visuels sont des leviers pour lutter contre les stéréotypes à l’égard des femmes et des hommes. Une image peut activer ou figer un stéréotype sexiste auquel on n’avait pas pensé au départ et qui va renforcer des rapports inégaux et déséquilibrés entre les femmes et les hommes. Veiller à bien choisir, concevoir ses images permet de réduire les biais d’une communication qui véhicule trop souvent des normes sociales auxquelles les femmes et les hommes devraient se conformer.
>Six principes pour une communication visuelle non-sexiste 2 et inclusive
1. Représenter les femmes et les hommes en nombre égal.
2. Veiller à la représentation des activités exercées.
Éviter d’associer par la représentation les femmes à des activités d’exécution et les hommes à des fonctions de décision. Éviter d’exclure les femmes ou les hommes de certaines disciplines : veiller à représenter, par exemple, des hommes infirmiers et des femmes physiciennes.
3. Veiller à l’attribution d’objets, de vêtements et de couleurs. Ne pas limiter le matériel technique aux hommes : montrer par exemple des femmes utilisant un
ordinateur ou un matériel de laboratoire. Ne pas réserver aux hommes les tenues professionnelles (costume-cravate, blouse de laboratoire, toge universitaire, etc.) et aux femmes les vêtements décontractés, associés à la vie privée. Éviter de réserver les tons pastel aux femmes et les couleurs sombres aux hommes.
4. Veiller à la représentation dans l’environnement. Ne pas représenter systématiquement des femmes dans les espaces intérieurs et des hommes dans des
espaces extérieurs. Éviter de représenter les hommes au centre et les femmes sur les côtés. Éviter la marginalisation ou la distanciation symbolique (éviter de représenter les femmes en arrière-plan, en plus petite taille).
5. Veiller aux postures et attitudes.
Éviter de représenter les femmes dans des positions statiques, rêveuses ou passives et les hommes dans des attitudes concentrées, dynamiques et assurées. Éviter également de représenter des rapports de domination hommes/femmes : ne pas représenter un homme qui montre et une femme qui regarde ; un homme debout et une femme assise ; un homme au premier plan et une femme au second.
6. Encourager l’inclusion et la diversité.
1 Gygax, P., Zufferey, S., & Gabriel, U. (2021). Le cerveau pense-t-il au masculin ? Cerveau, langage et représentations sexistes. Le Robert2 Données issues notamment du guide réalisé dans le cadre de la convention régionale interministérielle 2013-2018 pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif
Les images choisies ou conçues, doivent représenter la diversité des membres de la communauté universitaire et de la société. Pour cela, dans l’ensemble des visuels, il faut veiller à représenter de façon égalitaire les différentes ethnies, morphologies, genres et orientations sexuelles Ainsi que les personnes en situation de handicap.
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