Eric Tabarly était un taiseux, rugueux, courageux, solitaire, un symbole de virilité. Révélé en 1964 par sa victoire dans la course transatlantique en solitaire et sans escale (Ostar), jusqu’ici apanage des navigateurs britanniques dont le fameux Francis Chichester, le Nantais était devenu un héros français. « Le Grand Charles » avait choisi de lui décerner la légion d’honneur à l’époque où elle ne constituait pas une simple breloque à la portée de tout un chacun. Tabarly, au fur et à mesure de ses exploits accomplis à bord de ses « Pen Duick » – dont une deuxième « Transat » remportée en 1976- avait popularisé la voile dans notre pays et suscité des vocations. Parmi lesquelles celle d’Alain Colas qui fut son équipier lors d’un périple vers la Nouvelle-Calédonie puis sur le « Cristal Trophy », une course multicoques, et la « Transpacifique » en 1968 et 69.
Devenus adversaires
Colas, à son tour, atteignit les sommets, après avoir racheté l’ancien bateau de Tabarly, « Pen Duick IV », rebaptisé « Manureva ». En 1972, il pulvérisa le record de « La transatlantique », de Plymouth en Angleterre à Newport aux Etats-Unis, en vingt jours, treize heures et quinze minutes. Devenu le rival numéro 1 d’Eric Tabarly, Colas prit en 1978 le départ de la première édition de « La Route du Rhum », courue entre Saint-Malo et la Guadeloupe, avant de disparaître corps et biens dans la tempête qui s’était déclenchée au large des Açores. Englouti par l’océan. Aucune trace du « Manureva » ne fut jamais retrouvée.
Quant à Eric Tabarly, il se noya, presque banalement, en mer d’Irlande, en 1998, alors qu’il convoyait en équipage son bateau pour participer à un rassemblement de voiliers.
Rescapé
De cette époque glorieuse et charnière de la voile, où les communications avec les concurrents étaient rares et où les liaisons-satellites n’existaient pas, il ne demeure aujourd’hui que quelques rares figures. Parmi lesquelles celle de Jean-Yves Terlain, dauphin d’Alain Colas dans la « Transat » de 1972, sur son « Vendredi 13 » alors financé par le réalisateur Claude Lelouch. Interrogé récemment par le quotidien « Ouest France », l’ancien skipper semble regretter des temps où les navigateurs étaient « maîtres de leur destin ». Et de dénoncer, selon lui, les dérives technologiques de la voile moderne qui « ressemble de plus en plus à de la Formule 1 ». « Avant on mettait plus de temps mais il y avait de l’aventure, de la découverte… Aujourd’hui, on livre un bateau super léger, sponsorisé par une grosse entreprise et pensé par des dizaines de spécialistes. Les skippers sont devenus interchangeables… » explique-t-il. Il est vrai que la technologie ne s’embarrasse pas de poésie et ne fait pas bon ménage avec l’imaginaire. Nostalgique sans aucun doute, l’oncle de Loïck Peyron n’a pas pour autant tourné le dos à la mer. Il s’est aujourd’hui « mis au service » de l’association « Sea Sheperd » qui lutte contre le braconnage et la surpêche, en se servant de son bateau « Columbus ». Il est ainsi un proche du fondateur de l’association Paul Watson, actuellement incarcéré au Groënland pour ses actions musclées contre la pêche à la baleine. Le dernier combat du marin est aussi le plus beau, le plus essentiel…
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